Revenir aux fondamentaux pour endiguer l’impérialisme occidental

Le bilan d’une politique ne réside pas dans le dénombrement des actions entreprises, mais plutôt dans la « capabilité » des politiques à arrimer, au fil des exigences du moment, les programmes de manière à obéir à une vision. La politique des urgences est la pire chose qui puisse arriver à un pays qui rêve de l’émergence. Parce que l’émergence n’est pas un récital de bonnes intentions mais une Croyance. Aucun Etat sérieux ne peut se bâtir sans une bonne dose de spiritualité, sans qu’on ne puisse faire des institutions de la République des sanctuaires au même titre que la chapelle. La gouvernance par les urgences conduit indubitablement aux politiques de rattrapage essentiellement conjoncturelles, spontanées et non viables.

Bâtir solidement une philosophie de développement sur des substrats exogènes, dont la maitrise est très exigeante en termes technologique et géostratégique, c’est précisément se tromper de chemin. La division internationale du travail initiée depuis 15 siècles par l’entregent de la traite négrière, reste le plus puissant tendon d’Achille de nos peuples condamnés à faire les bimanes et les comptoirs des dominants. Le foisonnement culturel est souhaitable dans l’hypothèse principale de la maitrise des réalités endogènes locales, avant d’envisager l’ouverture (Mbog Bassong).

Les logiques exogènes de maitrises technologiques et socioéconomiques sont plus complexes quand on ne se connait pas déjà soi-même. Il ne s’agit assurément pas de s’auto-ériger des barricades ou des sortes de boucliers économiques, mais d’aller découvrir et surtout nous imprégner, primo, de ce qui nous rassemble plutôt que de ce qui nous divise. Ainsi, la haine primaire comme substrat de lutte contre l’impérialisme occidental ou français, est-elle nécessaire même en temps de guerre? Ne devons-nous pas (re)questionner nos programmes d’enseignement pour asseoir de façon structurelle la résistance ? Peut-on de façon viable vouer la France aux gémonies tout en béatifiant des administrateurs commis pour protéger leurs intérêts, sans garantie aucune, auxquels ils ont renoncé ? A qui s’adresse réellement Paul Biya lorsqu’il affirme implicitement avoir participé à l’assassinat de ceux qu’il appelle souvent et sans conviction aucune, les « héros nationaux » ? Existe-t-il une réelle volonté politique d’enseignement des héros et du culte de résistance ? Deux choses essentielles constituent pour nous les fondamentaux : le culte de résistance et la volonté politique. Les deux approches sont fortement corrélées et doivent s’inscrire dans une stratégie globale pour demeurer efficace.

L’ « échelle ivoirienne » pour mesurer le degré du sentiment anti-français !

Les haines qui se construisent dans l’ébranlement tout azimut ou dans la misère, sont éphémères parce conjoncturelles. Elles manquent de hauteur et très souvent guérissent une fois la cause entendue. Par contre, celles qui viennent des cœurs, produits d’une construction subtile, voire savante s’éternisent même cicatrisées. Elles ont les racines adventives et pivotantes enfouies très profondément dans le sol. Elles se transmettent plus facilement de génération en génération pour peu qu’on l’enseigne vraiment. Dés lors, elles n’apparaissent plus jamais sauvages parce que validées, par notre « grand-mère » de la communauté internationale. Elles deviennent plus politiquement correctes parce qu’on les appelle nationalisme, patriotisme ou tout simplement résistance. Quels doux euphémismes !

La montée du sentiment anti-impérialiste, mieux, anti-français, est une réalité bien vivante au Cameroun. Elle manque de substance parce qu’elle ne repose sur aucun fondement, sur aucune structure, aucune stratégie. Si on parlait de tremblement de terre, on dirait qu’on est au degré 8 de l’échelle ivoirienne, au regard de la propagande et des discours qui prennent corps ça et là, après la déclaration de guerre au Boko Haram et en particulier au lendemain de l’attaque de Kolofata. Comme si on découvrait tous, et tout naïvement seulement aujourd’hui, que l’indépendance proclamée en 1960, était une vaste escroquerie politique. Comme si personne ne se souvenait que Mboua Massock avait été traité de malade mental, puis déporté dans la forêt de Yabassi pour avoir revendiqué ce que nous appelons ici les fondamentaux : « nos héros d’abord ».

Le conflit ivoirien qui sert de repère nostalgique à la montée du sentiment anti-français, est un très mauvais déterminant de la lutte contre l’impérialisme, quand il n’aura pas tout simplement contribué à le renforcer. Le profil des acteurs de toute lutte est très révélateur de son issue. Le héros bergsonien existe. Il n’appartient pas à une philosophie de l’esprit. Cependant, quand il se construit dans la rupture de pactes, il doit tenir compte du rapport des forces en présence. Il doit surtout construire son retrait dans du roc afin de ne jamais légitimer la fabrication de son propre fouet.

La faiblesse des forts est à questionner dans sa capacité à broyer tous ceux qui de près ou de loin, même le temps de la réflexion, enfreignent l’idéal normatif dont ils se donnent eux-mêmes la latitude de construire au nom de la communauté internationale et surtout par le truchement des collabos de l’intérieur. C’est l’allégorie d’un enfant trahi par ses frères auprès d’un voisin zélé, mais qui retourne tout de même auprès des siens reconstruire sa Revanche sans avoir pris soin de se poser des questions essentielles : celles de savoir comment en arrive-t-on là ? Sommes-nous vraiment frères ? À quel niveau nos parents ont-ils péché ?

Le fort est fort et ce n’est pas une tautologie que de le dire. Sa seule faiblesse réside d’ailleurs dans sa volonté effrénée et toujours disproportionnée à dominer sans retenue. A écraser jusqu’à ce que le tort lui soit réparé. Il sait aussi qu’il est fort parce qu’il existe des faibles qu’il ne faudra pas souvent écraser au même moment, au risque de s’auto-affaiblir. Le fort est éternellement fort quand il réussit à se faire des alliés parmi les dominés. Parce qu’il n’est pas bon d’avoir toujours raison seul, parce qu’il n’est pas judicieux et même stratégique de conserver tous les pouvoirs, il faut les redistribuer sans en perdre le fil conducteur.

Les Américains l’on fait avec le plan Marshall, les Français le font avec les dirigeants qu’ils maintiennent au pouvoir en Afrique et ailleurs. Le fort a de quoi infiltrer nos administrations, diviser les politiques et la société civile qu’elle finance, et installer qui il veut par des mécanismes aussi subtils que cruels. C’est lui qui valide nos élections du moment où il les finance. C’est encore lui qui décide de qui sera appelé dictateur. Il va même jusqu’à choisir les  concepts qu’il estime meilleurs pour nous. Il dit même qu’il a de quoi nous protéger (accords militaires) contre ses amis et on le croit. Il a même le pouvoir de choisir avec qui on fera l’amour (protection des minorités sexuelles) et va bientôt décider de ce qu’on va manger (APE).

Il est illusoire de penser la déconstruction de l’impérialisme occidental sans nous arrêter un temps soit peu, pour méditer sur les mobiles de nos propres impérialistes encore plus dangereux que ceux venus d’ailleurs. On ne lutte pas contre une telle machine économique, par des simples déclarations d’intention, des discours haineux et de la propagande médiatique, sans que cela ne s’inscrive dans une stratégie pure et dure. Parce qu’on a en face une idéologie de domination pensée des siècles dans des laboratoires avec le soutien des institutions internationales, économiques, politiques et religieuses même les plus insoupçonnées.

Enseigner à tous le culte de résistance, c’est précisément gagner des hommes et des femmes

Revenir aux fondamentaux signifie, pour nous, repenser urgemment les programmes d’enseignement qui font le lit actuel du discours dominant et l’enracinement des cultures imposées aux détriments de celles souhaitées. Au cœur du développement, se trouve la grande bataille culturelle. Si on ne comprend pas mieux son environnement, il est plus difficile de se l’approprier. La domination occidentale vient justement de sa capacité à nous bombarder, via des medias et surtout via les programmes scolaires hérités de la colonisation, sa vision du monde. La construction de l’esprit de résistance commence par la reconnaissance des pairs, ceux qui ont donné leur vie afin que vive le Cameroun. Ceux qui ont inscrit en lettres d’or l’idée de l’amour pour les institutions.

Quand Sarkozy prend le pouvoir en 2007 en France, l’une des décisions majeures qu’il prend en début de mandat est d’exiger que la lettre de Guy Môquet soit lue dans toutes les écoles de France. Guy Môquet était un jeune Français et communiste de 17 ans, qui a choisi de résister  à l’occupation nazie à travers une lettre qu’il envoya à sa famille le 22 octobre 1941. Lettre dans laquelle il disait, avoir fait ce choix, afin que sa mort serve à quelque chose. En prenant la décision de faire enseigner Guy Môquet aux jeunes Français à travers son acte patriotique et symbolique, on éternise en eux le culte de la résistance. On leur apprend que mourir pour son pays, c’est assurément mourir pour une cause juste.

Nos héros doivent être enseignés au plus jeunes depuis la maternelle à travers des illustrations, jusqu’à l’université, quelle que soit la filière considérée, parce que le développement, mais alors le vrai, passe par la connaissance, mieux, par l’acceptation de ce que l’on est et puis la conjonction des réalités locales aux savoirs exogènes dont il est difficile de s’éloigner aujourd’hui avec la mondialisation. Cela suppose donc l’élargissement des formations philosophiques de base à côté de l’histoire. Aux plus jeunes des écoles maternelles, par la morale (respect des ainées, l’amour du prochain, surtout le respect des institutions et de ses armoiries…). L’amour pour son pays et la capacité à le défendre requiert une bonne dose d’endoctrinement que les enseignements à travers les filières histoire et philosophie peuvent nous garantir. C’est un grand tort fait aux peuples que d’avoir pensé que certaines disciplines étaient des sectes uniquement réservées à une catégorie d’élèves ou d’étudiants.

Aucun Etat dans le monde ne s’est développé sans une bonne dose de spiritualité. L’endoctrinement des valeurs à travers l’enseignement doit nous amener à faire des armoiries de la République, des sanctuaires autant que la chapelle. Cela nous amènera à faire de nos institutions ce que nous faisons de nos églises. C’est-à-dire comme la prière du matin, la levée des couleurs doit reprendre vie avec des frémissements quotidiens et permanent non plus seulement, le temps des matchs de lions et celui des honneurs militaires dans des casernes, mais aussi, tous les matins à l’école et dans nos familles

Paul Biya et la légende arabe

« … Frappe ta mère, tue ton père ou bois de l’alcool… ». La légende arabe est implacable. Les pactes se terminent presque toujours par des choix cornéliens où les moins exigeants sont les plus dangereux. Quand le centre de l’équilibre est atteint parce qu’on a bu de l’alcool, tout peut arriver. Pour justifier son état psychologique d’éternel vainqueur, Paul Biya vient d’annoncer aux Camerounais qu’il a tué les maquisards, pardon ! Des gens qu’il a appelés lui-même par la suite et sans conviction aucune, les héros nationaux, sans jamais citer un seul nom pendant le cinquantenaire des indépendances. Les lieux et  moments choisis trahissent la posture d’un homme qui a un message à passer, aux gens qu’il croit être au cœur des manœuvres de déstabilisation de son régime à travers le Boko Haram. Le choix des nationalistes n’est donc pas ex nihilo. Il obéit à un discours d’assurance et de rassurance de l’ordre dominant sur la préservation des acquis du sol et du sous-sol depuis 1958.

Les fondamentaux que nous appelons de tout nos vœux deviennent hypothétiques parce qu’intrinsèquement liés à la volonté politique qui, visiblement, tardera à venir tant qu’on continue d’avoir des dirigeants plus soucieux de leur survie que de celle des institutions. Les dirigeants forts sont ceux qui ont un peuple fort, imprégné de l’idée de la résistance et non des dirigeants qui pensent le développement par l’auto-infantilisation. Il n’existe et n’existera jamais de corrélation positive entre la survie des gens d’en bas et celui de l’élite locale ou internationale. Les institutions fortes avant les hommes forts est la plus grosse escroquerie du 21ème siècle. Les institutions ne se font pas d’elles-mêmes, même pas celles des Etats-Unis ou de la France. Dans le dernier cas, il a fallu que de Gaulle et Michel Debré se mettent au-dessus de tous afin que personne, jamais personne ne le refasse plus après eux. Le Ghana que nous aimons à prendre en exemple aujourd’hui, a eu un homme qui s’appelait Jerry Rawlings. Ce que les Camerounais reprochent à Paul Biya est au-delà de ses 32 ans passés au pouvoir sans partage, c’est de n’avoir pas pu développer son pays.

Conclusion

Paul Biya peut encore rentrer dans l’histoire et même s’y retrouver du bon côté. Au lieu des propagandes médiatiques nocives qui nous rappellent la triste « échelle ivoirienne du sentiment anti-français » dont le but essentiel réside dans la défense sociologique des strapontins, il faut structurer la résistance par des programmes scolaire et universitaire qualitatifs et adaptés. C’est le prix à payer pour bâtir un socle moral fort où chacun de nous se reconnaitra et fera de chaque institution un véritable sanctuaire. C’est la voie royale qui fera couler dans chacune des veines des générations futures le sang des martyrs. Quand on apprendra, comme Guy Môquet, à mourir pour libérer nos Etats, quand le sentiment de la mort fera dans nos cœurs la symbolique de l’immortalité, quand nous pourrons faire de nos Etats ce que nous faisons de nos religions où même de nos ethno-nations, l’impérialisme reculera de lui-même.

S’il est un évènement qui a particulièrement marqué Paul Biya durant ses 32 ans de règne, ce n’est assurément pas la lutte contre le projet national Camerounais, mais plutôt, le coup d’Etat du 06 avril 1984, qui survient alors qu’il avait à peine pris le pool des réalités du pouvoir. Il fût sans doute un élément du dispositif de répression des nationalistes, mais le fait qu’il veuille se l’approprier aujourd’hui, montre très bien qu’il (Paul Biya) a pris la mesure de la complexité de la lutte contre le terrorisme islamique et s’inscrit dans une posture d’un appeleur du pied. Il envoie des signaux d’assurance et de rassurance,  pour la préservation des acquis coloniaux métropolitains qu’a toujours garantis la mise à l’écart des nationalistes.

 

La guerre la plus redoutable pour Paul Biya en tant qu’artificier en chef, c’est bien contre le Boko Haram. Celle de Bakassi, eu égard aux implications occidentales supposées ou avérées, avait l’avantage d’avoir des ennemis identifiables et identifiés. La guerre contre le Boko Haram est non seulement asymétrique, mais arrive dans un contexte particulier où la France ne cache pas ses ambitions de « Serval » à Barkhane ». De Bakassi à Kolofata, on est passé des soupçons aux quasis certitudes. C’est sous ce prisme qu’il faut comprendre les déclarations faites à l’aéroport en partance pour les Etats-Unis. Cela dit, on reste dans l’auberge tant qu’on ne structure pas la lutte. Dans le contexte international actuel, il faut assez « d’énergie » pour ménager toutes les susceptibilités. Honnêtement, Paul Biya ne l’a plus malgré toute la volonté.

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