Lettre anonyme aux africains et africaines sur le continent

Dans mes multiples débats avec des africains concernant la situation de notre continent et notre peuple, certains africains argumentent que les africains sont responsables de leurs malheurs, parce que leurs “dirigeants” sont corrompus, égoïstes, dictateurs et que c’est à eux et eux seuls qu’il faut remettre la responsabilité des malheurs de l’Afrique. Certains vont plus loin en affirmant que le problème africain est le manque de démocratie, et que si les “dirigeants” africains devenaient des démocrates (en admettant que cela soit possible compte tenu de la structure socio-économique des sociétés africaines), alors l’Afrique émergerait. 

J’ai déjà répondu à cette thèse en argumentant qu’elle n’est pas recevable, car elle est fondée sur une fausse hypothèse que les “dirigeants” africains sont libres d’agir dans l’intérêt de leurs peuples, s’ils le souhaitent. Je vais essayer de renforcer mon argumentaire à travers un exercice simple: faire le rapprochement de la situation africaine avec une autre situation similaire, mais mieux lisible et mieux compréhensible: le fonctionnement dans les plantations pendant l’esclavage des noirs. 

A l’époque de l’esclavage des noirs, dans une plantation, il y avait initialement deux acteurs: l’esclave (noir) qui vivait et travaillait dans les champs, et le maître (blanc) qui possédait et administrait la ferme. Au début de l’esclavage, le maître était lui-même présent (ou embauchait un contremaitre blanc) tous les jours dans les champs, pour surveiller que les esclaves travaillaient jusqu’au bout de leurs forces pour enrichir le maître, et aussi punir et tuer si nécessaire les esclaves rebelles. Avec le temps, le maître est devenu plus ingénieux. Au lieu de passer son temps dans les champs, il a pensé qu’il pourrait coopter un esclave et lui confier cette tâche, sous sa supervision, mais à distance. Ce qui lui permettrait de continuer à s’enrichir, tout en ménageant ses efforts. Mais avant de coopter un esclave, pour minimiser les risques que ce dernier se mette plus tard avec les autres esclaves contre le maître, ce dernier a appliqué une stratégie édictée par le célèbre Machiavel, dans son livre intitulé Le Prince. Cette stratégie consistait à monter l’esclave coopté contre les autres esclaves, de sorte qu’entre les deux il y ait suffisamment de haine pour que l’esclave coopté sache que son seul soutien dans la ferme est le maître blanc, et que le jour où il perdrait la confiance du maître il se ferait massacrer par les autres esclaves. Pour y arriver les maitres avaient recours à des stratégies consistant à semer la discorde entre les esclaves en leur disant que certains esclaves étaient plus évolués et plus “civilisés” que d’autres. En mettant en avant certains traits physiques ou caractères de certains esclaves, que d’autres n’avaient pas. Et ça a marché. Dès lors, l’esclave coopté savait qu’il n’avait pas intérêt à garder la confiance du maître. Il s’avèrerait même être plus cruel que le maître. Dès lors on avait deux catégories d’esclaves dans les champs: les esclaves qui travaillaient pour produire, et ceux qui les surveillaient pour le compte du maître. En plus de ces deux catégories d’esclaves il y avait une troisième  catégorie plus privilégiée, et qu’on appelait esclaves ou “nègres” de maison, qui travaillaient dans la maison du maître. Ils faisaient son lit, nettoyaient sa maison, lui faisaient à manger, tondaient son gazon, veillaient sur ses enfants,… 

Cette histoire des plantations d’esclaves est superposable à la situation de l’Afrique actuelle: la plantation c’est l’Afrique, de laquelle on exploite et pille toute sorte de richesses pour enrichir le maître occident. Les esclaves dans les champs sont le peuple africain, l’esclave en charge de surveiller les champs pour le compte du maître ce sont les “chefs d’états” africains, et les esclaves de maison sont les africains de la diaspora (ou du moins une partie de cette diaspora). Si vous êtes convaincus de ce rapprochement entre les deux situations, revenons maintenant au thème initial, qui était de savoir à qui incombe la responsabilité de la situation désastreuse de l’Afrique. 

·         Dans ce contexte, penseriez-vous que cela fasse sens pour l’esclave des champs de débattre des systèmes politiques devant régir la société (quelle société d’ailleurs?)? Il est dans les champs, esclave et il débat pour savoir s’il doit être démocrate, démocrate-chrétien, …. Le maître assis sur sa véranda doit se plier de rire lorsqu’il voit ces esclaves dans les champs en train de se déchirer sur ce sujet. Le bon sens voudrait que l’esclavage des champs mette toute son énergie pour arracher avant tout un minimum d’autonomie. 

·         Sans chercher à disculper l’esclave qui fait le travail du maitre dans les champs contre les autres esclaves, qui est responsable au moins d’avoir accepté d’accomplir la tâche, pensez-vous que le véritable ennemi de l’esclave des champs soit l’esclave que le maître a installé à leur tête, ou bien le maître lui-même? Les esclaves des champs devraient-ils gaspiller leur énergie à combattre l’esclave placé à leur tête? Sachant que même s’ils le font tomber le maître le remplacera par un autre encore plus violent et plus cruel, et ainsi de suite tant que les esclaves des champs les feront tomber. Ne pensez-vous pas que la meilleure stratégie pour les esclaves des champs consisteraient (i) d’informer les esclaves des champs de la stratégie du maître afin qu’il ait de moins en moins de candidats pour jouer le rôle de collaborateurs contre les autres esclaves, et (ii) de faire tout ce qu’ils peuvent pour rassurer, gagner la confiance et ramener vers eux l’esclave choisi par le maître pour le seconder dans les champs? 

·         Est-ce que cela fait sens que les esclaves des champs accusent l’esclave qui les surveille d’être la cause de tous leurs problèmes? Est-ce que ce n’est pas se tromper de combat? Même si l’esclave au service du maitre est responsable d’avoir accepté cette tâche. 

·         Les esclaves des champs peuvent-ils et doivent-ils inviter les esclaves de maison dans leur combat d’émancipation? Ma réponse est non, car dans cette configuration, plus que le maître blanc, les esclaves de maison sont ceux qui souhaitent le moins voir la situation changer. Ils sont à l’aise à leur place dans la maison du maitre, ils portent des habits du maitre, ils mangent la nourriture du maître, il leur arrive même de temps en temps d’oublier qu’ils sont différents du maître. Pourquoi voulez-vous qu’ils risquent de voir le système s’effondrer et peut être se voir renvoyer dans les champs. Ils n’ont aucune envie de retourner dans les champs avec des “esclaves sauvages”. L’esclave de maison est celui, plus que le maître lui-même, vous dira que vos malheurs sont dus à vos propres frères esclaves que le maître a mis à votre tête (il ne veut surtout pas que l’on touche à son maître en l’accusant de quoi que ce soit. Lorsque dans votre lutte d’émancipation vous égratignerez le maître, l’esclave de maison sera dix fois plus virulent que le maître l’aurait été lui-même à votre encontre. Il vous traitera, vous, qui êtes dans les champs et qui essayez d’en sortir, de raciste. Si vous avez à choisir entre le maître et l’esclave de maison pour vous punir, choisissez le maître. L’esclave de maison n’aura aucune pitié pour vous, car vous êtes  l’image de lui-même qu’il déteste, celle qu’il essaye de fuir. Vous voir, se mélanger à vous lui rappelle cette “triste réalité”. Par contre si un esclave de maison propose volontairement de de battre à vos côtés,  il serait judicieux de l’accepter, car mieux que quiconque il connait le maître, ses forces et ses faiblesses. 

 

En définitive je pense que les « chefs d’états » africains sont responsables de complicité avec le prédateur occidental, mais ce serait une erreur stratégique de la part des africains, d’épuiser leurs énergies à les combattre. Il serait plutôt judicieux de les rallier à leur cause, dans la véritable lutte contre le colon oppresseur. Les « chefs d’états » africains ne sont que des marionnettes de l’impérialisme occidental ; ce sont des feuilles qui cachent la foret. Les africains doivent concentrer toute leurs énergies pour combattre leur véritable ennemi : l’impérialisme et le colonialisme occidental qui tend à les maintenir à jamais dans l’esclavage.

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