Immigration: Obama régularise quelque cinq millions de clandestins

Un immigrant sans papiers du Mexique avec son enfant... (Photo LUCY NICHOLSON, Reuters)

«Une amnistie de masse serait injuste. Des expulsions de masse seraient à la fois impossibles et contraires à notre caractère», a expliqué le président américain lors d’une brève allocution solennelle depuis la Maison-Blanche, promettant un système «plus juste et plus équitable».

Vent debout contre des décisions présidentielles qu’ils jugent anticonstitutionnelles, ses adversaires républicains ont immédiatement promis de les combattre, au Congrès ou en justice.

«Ce n’est pas comme cela que notre démocratie fonctionne», a tonné John Boehner, président de la Chambre des représentants. «Le président a dit qu’il n’était ni un roi, ni un empereur, mais il se comporte comme s’il en était un».

 

«Je n’ai qu’une réponse: votez une loi!», a lancé le président Obama à ses détracteurs, assurant que ses décisions reposaient sur de solides bases légales et qu’elles s’inscrivaient dans la lignée de celles prises par tous ses prédécesseurs, républicains comme démocrates, depuis un demi-siècle.

À partir du printemps prochain, tout clandestin vivant depuis plus de cinq ans aux États-Unis, et ayant un enfant américain ou titulaire d’un statut de résident permanent, pourra demander un permis de travail de trois ans. «Ce n’est ni une garantie de citoyenneté, ni un droit à rester ici de manière permanente», a cependant souligné M. Obama.

L’exécutif américain a par ailleurs annoncé un assouplissement des conditions d’accès au programme Daca («Deferred Action for Childhood Arrival»), lancé en 2012, qui offre des permis de séjour aux mineurs arrivés sur le territoire américain avant l’âge de 16 ans. Quelque 600 000 personnes en ont déjà bénéficié à ce jour.

«Si vous remplissez les critères, vous pouvez sortir de l’ombre et vous mettre en accord avec la loi. Si vous êtes un criminel, vous serez expulsé. Si vous avez l’intention d’entrer illégalement aux États-Unis, vos chances d’être attrapé et renvoyé viennent juste d’augmenter», a résumé M. Obama.

«Un pas dans la bonne direction»

Depuis les régularisations massives de 1986, sous Ronald Reagan, toutes les tentatives de réforme du système d’immigration ont échoué. Début 2013, après la rédaction d’un projet de loi au Sénat par des ténors des deux partis, un compromis semblait possible. Mais la perspective d’un accord au Congrès s’est vite éloignée et les discussions sont dans l’impasse depuis.

«Merci au président d’avoir, face à l’inaction, choisi l’action sur l’immigration», a réagi Hillary Clinton sur Twitter. «Et maintenant, travaillons à une réforme bipartisane», a ajouté l’ex-secrétaire d’Etat qui pourrait bientôt se lancer dans la course à la Maison-Blanche pour succéder à Barack Obama en 2017.

L’association DREAM Action Coalition a elle salué «un pas dans la bonne direction», tout en appelant à faire plus. «Quel sera l’avenir des millions d’immigrants sans papiers qui ne remplissent pas les critères?», a-t-elle demandé, regrettant que le président ne soit pas allé «aussi loin qu’il le pouvait légalement».

Le sénateur démocrate Luis Gutiérrez a loué le «courage» du président sur ce dossier politiquement sensible, tout en jugeant que ces mesures ne sauraient se substituer au vote par le Congrès d’une réforme en profondeur.

La tempête politique que cette annonce a déclenchée augure mal des relations entre le Congrès et la Maison-Blanche dans les mois à venir. La donne politique vient en effet de changer à Washington, après la large victoire des républicains lors des législatives de mi-mandat du 4 novembre. Pour le sénateur du Kentucky Mitch McConnell, qui deviendra en janvier l’homme fort du Sénat, la démarche de M. Obama revient purement et simplement à «rejeter la voix des électeurs».

Désormais majoritaires à la Chambre des représentants comme au Sénat, les républicains ne peuvent bloquer un décret présidentiel, mais ils disposent de nombreuses armes pour rendre les deux dernières années d’Obama à la Maison-Blanche difficiles.

Certains élus, tel le sénateur texan Ted Cruz, farouche opposant de M. Obama et candidat possible à sa succession, plaident ainsi pour une trêve des confirmations d’ambassadeurs, juges et responsables de l’administration nommés par le président américain, freinant ainsi le travail de l’exécutif.

Mais ce proche du Tea Party est loin de faire l’unanimité. Et à l’approche des primaires en vue de la présidentielle de 2016, le débat s’annonce animé au sein d’un parti qui aimerait séduire une partie de l’électorat hispanique, qui a voté à plus de 70% pour Barack Obama.

«Nous sommes et serons toujours une nation d’immigrants», a conclu M. Obama, qui se rendra vendredi à Las Vegas (Nevada, ouest) pour expliquer sa démarche. Selon un sondage NBC/Wall Street Journal, 48% des Américains la désapprouvent, contre 38% qui y sont favorables.

Les républicains contestent

Les adversaires républicains de Barack Obama ont immédiatement qualifié d’anticonstitutionnel le projet de régularisations de cinq millions de clandestins annoncé jeudi, qu’ils promettent de combattre au Congrès et en justice.

«Ce n’est pas comme cela que notre démocratie fonctionne», a lancé le président républicain de la Chambre des représentants, John Boehner. «Le président (Obama) a dit auparavant qu’il n’était ni un roi, ni un empereur, mais il se comporte comme tel».

Les mesures «sont anticonstitutionnelles et menacent notre démocratie», a affirmé le représentant républicain Michael McCaul.

Le ministre de la Justice du Texas, et gouverneur à partir de janvier, a annoncé dès jeudi qu’il porterait l’affaire devant la justice.

Le Texas a une très longue frontière avec le Mexique.

«Les Texans ont constaté directement les coûts et les conséquences de la politique dictatoriale du président Obama en matière d’immigration», a déclaré Greg Abbott, un républicain, dans un communiqué. «Je suis prêt à défier immédiatement le président Obama devant la justice, afin de rétablir la souveraineté de notre Etat et garantir un État de droit».

Mêmes menaces au Congrès, où le sénateur républicain John McCain et d’autres parlementaires ont évoqué la possibilité de contester les mesures devant les tribunaux.

«Nous avons l’obligation et la responsabilité de combattre cet abus de pouvoir éhonté, qui ne résout en rien les vrais problèmes», a promis Kevin McCarthy, chef de la majorité républicaine de la Chambre.

Depuis des semaines, les républicains réfléchissent à la façon dont ils pourront empêcher l’exécutif américain de donner des permis de travail temporaires à des millions de sans-papiers.

Les lois de finances 2015, qui doivent impérativement être adoptées d’ici le 11 décembre, pourraient devenir le moyen de résistance des élus conservateurs. Beaucoup souhaitent «définancer» les services d’immigration à cette occasion, pour empêcher les fonctionnaires de remettre des permis de travail temporaires.

Mais la commission responsable des lois de finances a indiqué jeudi que c’était impossible, car ces services sont financés par des frais payés par les demandeurs, et non par le budget voté par le Congrès.

Les chefs de file n’ont pas annoncé quelle serait leur tactique. Tout juste ont-ils annoncé qu’ils sauraient être «créatifs».

Des voix s’élèvent cependant pour que le prochain Congrès, qui sera contrôlé par les républicains à partir de janvier, s’attaque à une réforme du système d’immigration, au lieu de se contenter de bloquer les actions de Barack Obama.

«L’immigration est un sujet qui doit être débattu et tranché par les représentants du peuple, pas par décret», a répété John McCain.

Les détails

LA POPULATION CLANDESTINE ACTUELLE

Environ 11 millions de clandestins vivent aux États-Unis, en baisse depuis 2007 quand ils étaient environ 12,2 millions, selon le Pew Research Center.

Environ 60% d’entre eux habitent dans six États: Californie, Floride, Illinois, New Jersey, New York, Texas.

Environ la moitié du total des clandestins est d’origine mexicaine, et également la moitié vit aux États-Unis depuis plus de 13 ans.

LES RÉGULARISATIONS DE TROIS ANS

Grâce à un nouveau programme, environ quatre millions de clandestins pourront demander au printemps un permis de travail de trois ans, accompagné d’un sursis les protégeant d’une expulsion.

Les critères:

– être présent sur le territoire américain depuis au moins cinq ans;

– avoir un enfant citoyen américain ou résident permanent (titulaire d’une «carte verte») né avant le jeudi 20 novembre 2014, quel que soit l’âge de l’enfant.

VOIE SPÉCIALE POUR LES JEUNES CLANDESTINS

Les critères d’un programme créé en juin 2012 spécialement pour les personnes arrivées étant enfant sur le territoire seront assouplis, ajoutant potentiellement 270 000 clandestins aux quelque 600 000 qui en avaient déjà bénéficié au 30 juin dernier.

Les nouveaux critères:

– être présent depuis le 1er janvier 2010 (au lieu du 15 juin 2007 précédemment);

– l’âge maximal de 31 ans en 2012 pour déposer la demande est supprimé;

– les demandeurs doivent être arrivés aux États-Unis avant l’âge de 16 ans (inchangé).

– les conditions de diplôme (équivalent du bac) et d’antécédents criminels (pas de condamnation grave) sont inchangées.

EXPULSIONS

Les autorités fédérales concentreront leurs moyens pour expulser en priorité les clandestins jugés dangereux, appréhendés à la frontière ou arrivés depuis le 1er janvier 2014, y compris les mineurs.

Les moyens seront aussi renforcés à la frontière avec le Mexique, et dans le système judiciaire pour accélérer les décisions d’expulsions.

IMMIGRATION LÉGALE

L’administration s’apprête enfin à assouplir la remise de visas pour les travailleurs très qualifiés et les étudiants scientifiques, ce qui concernera potentiellement environ 500 000 personnes.

En particulier, les diplômés étrangers d’universités américaines dans les disciplines en pénurie (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques) pourront travailler plus longtemps aux États-Unis après leurs diplômes sans avoir à effectuer de démarches de visas, grâce à une extension du programme «Optional Practical Training» (OPT).

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