La Centrafrique, seule face au chaos ?

La fin de la période de transition, prévue pour le 15 février 2015, devait être marquée par l’organisation d’une élection présidentielle en bonne et due forme. Las, elle vient d’être repoussée de sept mois. Autant dire renvoyée aux calendes grecques, dans un pays où l’on survit plus qu’on ne vit, où l’urgence de chaque instant est prégnante, où seul le présent compte (rappelons que la moyenne de vie y est de 49 ans). 

En attendant, il va falloir désigner un nouveau président de transition. La présidente en place, Catherine Samba-Panza, n’a pas su conduire une politique de médiation efficace, malgré ses bonnes intentions. Tout est donc à refaire, et les ONG présentent sur place (Croix-Rouge, ACF, MSF, etc.) doivent composer avec un manque de moyens criant. Ce qu’appuie Fanny Martin-Blondel, responsable régionale pour Première Urgence : « En 2012-2013, la RCA a souffert d’une absence de financements, d’où la difficulté pour les ONG de répondre aux besoins de base comme la santé ».

Des ONG elles-mêmes plongées dans une forme d’insécurité permanente, comme en témoigne l’enlèvement lundi 19 janvier, à Bangui, d’une ressortissante française de 67 ans, membre de l’association caritative Imohoro. L’enlèvement a immédiatement été revendiqué par des miliciens anti-balaka (opposés aux ex-rebelles de la Séléka), qui ont exigé la libération d’un de leurs chefs, le général Andilo, arrêté deux jours auparavant par des casques bleus à Bouca – l’homme est poursuivi pour assassinats, détention illégale d’armes, association de malfaiteurs, viols, pillages, etc.

La Centrafrique se retrouve donc dans la position délicate de devoir répondre à une urgence de tous les instants, tout en échafaudant son avenir sur les moyen et long termes, le tout dans des conditions loin d’être idéales. Mission impossible ? Peut-être pas. Ex-ministre conseiller à la stratégie et défense du gouvernement de transition du pays, Lionel Saraga Morais prône une rupture nette avec la politique conduite jusqu’à présent.

Au programme, arrêt des négociations avec les belligérants, mais également réappropriation par les Centrafricains de leur souveraineté nationale, afin de couper court au morcellement du pays en partie orchestré, selon lui, par un certain nombre d’agents extérieurs : « Pendant que les Centrafricains essaient de dessiner un avenir dans ce désordre et ce chaos, des affairistes peu scrupuleux et des pays énergivores profitent de la situation », n’hésite-t-il pas à lancer.

Concrètement, Saraga Morais propose la création d’une ONG 100 % centrafricaine, reconnue par l’ONU, ayant vocation à unifier les jeunes des sept régions que compte le pays, dans le cadre d’un « service national à but éducatif et tourné vers le développement économique ». Si l’objectif est louable, reste qu’il semble difficilement concevable que la Centrafrique, pays sans structures étatiques ou presque, réussisse à s’en sortir seule ex nihilo.

Pour faire face au double impératif centrafricain (traiter l’urgence du moment, instaurer un Etat de droit sur le long terme), la Commission européenne vient de mettre en place un nouvel outil, intitulé fonds Bêkou (« espoir » en sango) ayant vocation à répondre à ce double impératif. Valable au moins cinq ans, il a vocation à procéder à des décaissements rapides, tout en accompagnant la restructuration des services prioritaires du pays.

Le fonds Bêkou est pour l’instant abondé à hauteur de 74 millions d’euros. Un certain nombre de programmes ont déjà été lancés, contribuant par exemple à la réhabilitation des centres de soins, la mise à disposition de stocks de médicaments, ou encore la remise en état de fonctionnement des infrastructures publiques dans la capitale. Reste que selon Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale d’International Crisis Group, « l’aide internationale ne va pas régler la crise en RCA : c’est un outil d’un ensemble qu’il va falloir articuler ». C’est d’autant plus vrai que le pays est toujours à la merci de groupes armés divers, et pourrait bien constituer une proie de choix pour Boko Haram.

Ce dont a besoin la Centrafrique, c’est moins d’être maintenue en vie artificiellement à l’aide de perfusions sporadiques, que d’un programme d’aide globale, qui doit autant venir de l’intérieur du pays, comme le préconise Saraga Morais, que de la communauté internationale. Ce n’est qu’à ce prix que le pays pourra s’offrir une certaine stabilité, et que les Centrafricains pourront de nouveau avoir confiance en leurs pairs. Une confiance, élément clé de toute reconstruction, qu’ils sont actuellement plus de 90 % à avoir perdue. 

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