Ils s’appellent Noh Blaghen ou encore Brice Ludovic Bindzi et demeurent des pionniers dans leur domaine : ils représentent la première génération de « mangakas » made in Africa. Dans un art pourtant très codifié, ils sont parvenus à diluer et à adapter leur style.
« Il faut sans cesse innover. Dans le manga, il y a très peu de noirs. J’ai dû inventer un style pour dessiner les corps, la peau, les cheveux crépus, les lèvres… Un style africain ! » Témoigne Noh Blaghen. « Le manga n’appartient pas qu’au Japon ! Il appartient aussi à l’Afrique ! » Lance Brice Ludovic Bindzi.
Cette appartenance a toutefois eu du mal à se matérialiser. « Mes parents étaient contre, il y avait du mépris, de l’incompréhension. À cause du temps passé à dessiner, mes notes ont commencé à chuter. Ma mère m’a menacé de brûler mes dessins. J’ai dû m’exercer en cachette », se souvient Blaghen.
Après des études d’informatique, il s’est accroché à son rêve et a poursuivi le dessin. Il présente aujourd’hui son premier album « Rêve de football africain », l’histoire d’un jeune nigérien qui souhaite devenir footballeur contre l’avis de son père. Un récit quelque peu autobiographique, mais pas seulement.
« Il y a des thèmes d’ici qui pourraient très bien être adaptés, comme le vaudou. Dans les mangas, il y a de la magie, avec des êtres extraordinaires. Le vaudou, c’est ça aussi ! » Renchérit-il.
Brice, 28 ans, a monté la toute première revue dédiée au manga au Cameroun : AfroShonen (120 pages pour 1 000 francs CFA, soit 1,5 euro). Mais la diffusion reste compliquée : le tirage ne dépasse pas les mille exemplaires et la livraison s’effectue au porte-à-porte, dans Yaoundé et les localités avoisinantes. « Ça reste un test », admet le jeune rédacteur en chef.
Le Maghreb : une terre propice au manga
L’essai a pourtant été déjà transformé, notamment au Maghreb où le manga vit ses heures de gloire. Le premier Manga Café algérois a ouvert ses portes en juin. Depuis 2008, les DZ mangas, « 100 % Algériens » (DZ, comme le nom de domaine de l’Algérie sur Internet), publiés par la maison d’édition Z-Link, sont traduits en français, en arabe dialectal et bientôt en berbère.
Le 8 février, Casablanca accueillera le Manga Afternoon, autoproclamé comme le « plus grand rassemblement d’amoureux de mangas, de japanimations, de cosplay et de karaoké au Maroc ». 4 500 fans sont attendus.
Un historique compliqué
Alors pourquoi la mayonnaise ne prend-elle pas partout ? Il semblerait que l’Afrique ait un contentieux avec les mangas. Des personnages comme Mr Popo de Dragon Ball Z ou le pokémon Lippoutou sont des représentations jugées racistes par l’auteure afro-américaine de livres pour enfants Carole Boston Weatherford.
Mais ce n’est pas tout les thèmes japonais, la blancheur des visages, les yeux bridés, les robots, les arts martiaux : tout est trop étranger, trop différent, et rejeté par les rares maisons d’édition et festivals.
Le manga comme vecteur de tolérance
L’opération « Mangafrica » lancée par l’école de Manga Japonais de Montréal tente de remédier à la situation. De concert avec une petite association bretonne appelée Madig, elle a acheminé 180 mangas – en français – jusqu’à Aplahoué au Bénin, pour aider à l’alphabétisation des zones rurales.
« Elles accrochent vraiment ! », s’enthousiasme Delphine Logiou-Nicolas, présidente de l’association. « Le sens de lecture de droite à gauche ne pose aucun problème. Elles sont intriguées par le monde japonais ! Les œuvres d’un certain Noh Blaghen participent à la promotion de cet art.
À AfroShonen, la couverture d’un numéro a soulevé une polémique. On y trouvait trois jeunes, deux noirs et une blanches, et à l’intérieur, une histoire d’amour interculturelle « Lovely Secret ». « Beaucoup de gens se sont indignés de voir une femme blanche mise en avant », regrette Bindzi. « Nous, au contraire, nous voulons faire évoluer les mentalités, promouvoir le multiculturalisme ».
La tâche parait noble, mais le parcours reste semé d’embuches