Le discret soutien de la France au Nigeria contre Boko Haram

Pour la France, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), nom choisi par Boko Haram depuis son allégeance en mars 2015, est devenu une préoccupation majeure depuis le sommet de l’Elysée en décembre 2013. Ce groupe djihadiste qui met le nord du Nigeria à feu et à sang a même débordé sur le Niger et le Cameroun. Pour y faire face, plusieurs pays se sont alliés au sein d’une Force multinationale mixte soutenue par plusieurs puissances occidentales. Le commandant de cette force, le général nigérian Lamidi Adeosun, a présenté le 27 avril à la presse l’urgence de ses besoins :

Plusieurs engagements ont été pris par des bailleurs internationaux et les partenaires stratégiques en vue d’un soutien à la force, mais on n’a rien vu de concret sur le terrain (…) Tout ce que nous avons reçu, ce sont des moyens de communication et onze véhicules.

C’est dans ce contexte que le ministre de la Défense français doit entamer ce jeudi une visite au Nigeria, au Niger et en Côte d’Ivoire. Les deux premiers États sont très directement confrontés à la menace de l’EIAO. Le troisième accueille une base militaire française. C’est là également que plusieurs passeports ivoiriens avaient été retrouvés à plusieurs reprises sur des djihadistes. Jean-Yves Le Drian va-t-il faire une annonce forte ?

Avant la France, les Britanniques ont officialisé en décembre dernier le doublement de leurs forces spéciales sur place (125 à 300 hommes) pour la formation de l’armée nigériane. Les Américains auraient aussi des commandos qui se prépareraient à venir appuyer les Nigérians sur le terrain, comme l’ont laissé entendre des officiels du Pentagone.

La France, soutien discret du Nigeria

Officiellement, l’armée française n’intervient pas au Nigeria. Quelques conseillers spécialisés dans la lutte contre le terrorisme avaient été envoyés sur place en 2014 après l’enlèvement des 276 lycéennes de Chibok par les hommes de Boko Haram. Comme d’autres pays, la France avait donné un coup de main à l’armée nigériane pour retrouver les jeunes filles. Paris avait notamment fournit du renseignement. Des djihadistes avaient à cette époque raconté à la presse locale avoir croisé des commandos de forces spéciales françaises en mission de reconnaissance, et avoir donné l’ordre à leurs hommes de ne jamais engager le combat contre elles. Des informations qui n’ont jamais pu être confirmées.

Depuis, l’action militaire française se limite officiellement à la zone d’action de l’opération Barkhane, une force lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne. A plusieurs reprises, des vols de reconnaissance ont approché les frontières nigérianes, sans jamais les franchir selon le ministère de la Défense. Le président François Hollande, ainsi qu’un diplomate français, avaient pourtant laissé entendre dès septembre 2015 que les avions français survolaient le nord du Nigeria. L’état-major des armées (EMA) confirme à iTELE l’absence de troupes sur place :

La France ne dispose pas de troupes prépositionnées au Nigeria. Mais ce pays fait bien partie des partenaires africains avec lesquelles la France entretient une coopération bilatérale. Cette coopération bilatérale s'inscrit dans le cadre de l'action globale de la France visant à aider ces pays africains dans la consolidation de leur outil de défense, pour leur permettre d'exercer leur propre sécurité.

Et précise en quoi consiste ce partenariat :

Conformément aux accords bilatéraux entretenus par la France avec ses partenaires africains et à la demande de ces derniers, les forces françaises peuvent fournir un appui ponctuel ou planifié utiles à l'exercice de leur sécurité. Ce soutien est mis en œuvre au cas par cas et en cohérence avec l'approche globale de lutte contre le terrorisme transfrontalier dans cette région et peut se traduire en effet par des vols d’avions français.

Selon un consultant bien informé sur les opérations militaires françaises, Paris fournirait déjà un soutien bien concret sur le terrain dans les combats contre Boko Haram : livraison de matériel (lunettes de vision nocturne, munitions, gilets pare-balles), vols de reconnaissance, actions des forces spéciales depuis le Niger et le Tchad, partage de renseignement, formation à l’exploitation de ces données, ainsi qu’un appui aux soldats britanniques présents sur le sol nigérian.

Des éléments qui relèvent donc de la coopération bilatérale entre la France et le Nigeria et qui sont fournis au compte-gouttes. Un officier de l’opération Barkhane confirme à iTELE une très grande prudence de Paris sur ce terrain

La France est très peu présente au Nigeria. Elle dispose d’une petite équipe de liaison qui participe à la lutte contre Boko Haram. Elle permet de faire le lien entre les différents partenaires américains, britanniques et nigérians. Elle complète le dispositif mis en place au Tchad où une cellule coordonne la liaison avec la Force multinationale mixte. Cette organisation permet de ménager les susceptibilités africaines car le multipartisme n’existe pas entre eux. Le bilatéral reste la règle.

Une armée nigériane composée de petits chefs de guerre

L’une des grandes difficultés pour les Français reste la coopération avec une armée nigériane ravagée par les dérives. A tous les niveaux, des militaires abusent de leur pouvoir pour en tirer un intérêt personnel. Il y a quelques mois, un haut responsable du renseignement militaire français confiait la difficulté à coopérer avec eux :

Nous avons une grande méfiance vis-à-vis de ce qui est fait du renseignement que nous fournissons. Ils aimeraient bien qu’on leur donne des images brutes. Mais pour être certains qu’ils n’en font pas autre chose que lutter contre le terrorisme, on ne donne que des images déjà analysées par nos soins.

Un chercheur français, qui préféré rester anonyme, confirme à iTELE que l’armée nigériane est en grande partie incontrôlable :

Dans l’armée nigériane, de nombreux cadres détournent de l’argent. Une grande partie de l’inefficacité de l’armée est due à cette corruption, à l’absence de respect des droits de l’homme, à des hommes qui sont mal payés… Autant de raisons qui motivent les désertions. De nombreuses personnes se servent sur la bête. Cette corruption est généralisée.

Pour faire face à cette corruption endémique de l’armée nigériane, le nouveau président Muhammadu Buhari a réclamé des enquêtes approfondies. Depuis son élection en mai 2015, une quinzaine d’officiers supérieurs et généraux ont été poursuivis et condamnés pour avoir vendu de l’armement et des informations… aux djihadistes de Boko Haram.

Facebook Comments
- Publicité -

Plus populaires

Autres actualités

Coup d’Etat de Maïdan : Ces révélations du New York Times qui ont poussé...

C'est ainsi que tout a commencé» Le New York Times a publié un article explosif dans lequel il admet que les...

RDC : Les Renseignements militaires aux trousses de la jumelle de l’ex-dictateur Kabila (J.A.)

La sœur jumelle de l’ancien président congolais a été auditionnée ce vendredi 15 mars pendant plus de quatre heures dans les...

Quel pays de l’OTAN n’a pas de troupes en Ukraine ? Les États-Unis, le...

Les discussions européennes sur l’envoi de troupes occultent le fait que plusieurs pays de l’OTAN ont déjà des troupes sur le terrain.

Le Royaume-Uni envisage de payer les demandeurs d’asile pour leur déportation au Rwanda (Al...

Les plans sont distincts du projet de loi sur le Rwanda, un plan bloqué visant à expulser de force la plupart...

Gabon – Qui a enlevé et séquestré les leaders syndicaux Alain Mouagouadi et Thierry...

Au Gabon, Alain Mouagouadi et Thierry Nkoulou, deux leaders syndicaux, ont été enlevés et séquestrés pendant près de deux jours...
- Publicité -
Facebook Comments
WordPress » Erreur

Il y a eu une erreur critique sur ce site.

En apprendre plus sur le débogage de WordPress.