L'Afrique qui gagne

Tout le monde se les arrache. Ces icônes de la réussite africaine incarnent l'espoir d'un monde meilleur. 

Les 2 et 3 juin prochain, une petite centaine d'entre eux sera présente à Paris invitée par l'Institut Choiseul Afrique. Ce "think tank" français indépendant sort chaque année un classement des leaders français de moins de 40 ans. Depuis 2014, il publie aussi un classement Choiseul 100 Africa. Parmi ces businessmen, on relève des noms déjà connus dans leurs pays comme Hassanein Hiridjee à Madagascar, Ken Etete au Nigeria, Sébastien Kadio Morokro en Cote d'Ivoire ou Ermias Eshetu en Ethiopie.

Cette année, les responsables politiques français leur déroulent le tapis rouge. Ils seront reçus à l'Hôtel de Ville de Paris par la maire, Anne Hidalgo, au Conseil régional d'Ile-de-France par sa présidente, Valérie Pécresse, à l'Hôtel Matignon par le Premier ministre, Manuel Valls, et par le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, au siège de Business France. Enfin, ils auront droit à une visite privée des Galeries Lafayette, le grand magasin du boulevard Haussmann, par le patron du groupe lui-même, Philippe Houzé et son fils Nicolas. 

Pour rencontrer cette Afrique qui gagne, nous avons assisté à l'Africa CEO Forum le 21 mars 2016 à Abidjan. Organisé par le groupe “Jeune Afrique” , ce grand raout annuel accueille le gratin des décideurs. Moyennant un ticket d'entrée plutôt élevé, une foule se presse dans l'espoir d'arracher un mot à Aliko Dangote, l'homme le plus riche du continent. Pour cette génération montante, abonnée à “Forbes Afrique” l'histoire coloniale n'évoque qu'un lointain souvenir.

“Si vous me donnez 5 milliards de dollars, j’investirai tout au Nigeria”, Aliko Dangote

Parmi les entrepreneurs présents, se trouvent de nombreuses femmes d'affaires, riches et sans complexes, comme Tigui Camara,  unique patronne – au féminin – dans l'industrie minière en Guinée. Elle a fait ses études à Conakry et au Maroc. Sa société, Tigui Mining Group emploie 50 personnes.

Longues nattes, tenue colorée, Ghislaine Ketcha Tessa, directrice générale de Millenium Immobilier, est quant à elle, diplômée de l'Ecole spéciale des travaux publics (ESTP) de Paris. Si elle n'a pas vraiment le look de la profession, elle construit pourtant bien des routes et des immeubles et emploie 200 salariés au Cameroun où elle investit dans la “promotion durable”.

“Le plus dur, en Afrique, c'est de démarrer, de trouver les financements, l'investissement en fonds propres. Après, il faut faire les bonnes rencontres”, confie Diane Chenal.  Ancienne directrice de la communication à la Fondation Montaigne, elle a créé Dianox en 2007, une société de distribution de matériel médical en Côte d'Ivoire. Son entreprise, qui vend tous types de produits des seringues jusqu'aux scanners, pourrait s'internationaliser sur le Mali et le Burkina Faso.

Igho Sanomi, fils de policier de la région pauvre du Delta du Niger devenu milliardaire à 39 ans 

Ces décideurs et créateurs ne sont pas tous issus de bonnes familles. Lauréat du classement Choiseul Africa, le Nigérian Igho Sanomi est benjamin d'une famille de cinq enfants, né dans l'Etat pauvre du Delta, au Nigeria. Il figure déjà sur la short-list des milliardaires africains.

A l'âge de 28 ans, Sanomi a monté son entreprise, parvenant à se tailler une place dans le business très fermé du négoce de pétrole. Sa société,Talaveras, implantée aujourd'hui au Royaume-Uni, en Suisse et un peu partout en Afrique, travaille aussi à la réhabilitation d'une grande centrale électrique avec le groupe Alstom. A l'image de Bill Gates, le fondateur de Microsoft, ce patron de 40 ans donne dans la philanthropie avec laDickens Sanomi Foundation, qui œuvre dans l'Etat du Delta.

Un autre Nigérian, l'industriel Tony Elumelu, 26ème fortune africaine a été reçu en grande pompe à Paris par le Medef en novembre 2015. Il y a dit croire “au changement de vision de la part des entrepreneurs français à l'égard de l'Afrique”. Heureux de son séjour, le Nigerian était de retour dans l’hexagone vendredi dernier. Il a revu son ami Pierre Gattaz puis participé au grand rendez-vous de la Banque publique d’investissement. Le BpiFrance Inno Generation (BIG) rassemble 30000 entrepreneurs dont les Tavares, Niel, Bazin, Decaux etc. Invité VIP de BpiFrance, Tony Elumelu a prononcé un discours devant 4000 personnes. L’occasion de dire combien il espère un jour “changer la manière de raconter l’Afrique”. “Je veux créer la prochaine génération d’Africapitalistes, pas seulement des rois de la finance, mais des champions du développement”, a-t-il ajouté. Les photos de son Show à l’AccorHotels Arena de Paris sont postées sur son compte Instagram (ci-dessous).   

La journée de Tony Elumelu ne s’arrête pas là. Suit une rencontre avec Cédric de Bailliencourt, homme fort du Groupe Bolloré; puis Pierre-André Terisse, DG Afrique chez Danone, qui a investi plus d’un milliard d’euros en Afrique depuis 2012; Jean-Michel Guelaud, patron de la Sogea Satom filiale de Vinci en Afrique; et Bruno Mettling directeur général d’Orange pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Enfin un diner avec son ami Lionel Zinsou, artisan du nouveau look des relations franco-africaines en termes de business. Il était temps que cela change, soufflent de nombreux connaisseurs de l’Afrique. 

“Nous, Européens, avons une vision très réductrice de la réalité de ce continent.” 

“On ne se rend pas compte, explique Pascal Lorot, qu'une jeune génération ouverte sur le monde et bien formée est en train de prendre le pouvoir économique et sans doute bientôt en politique.” Parmi les lauréats Choiseul, certains sont déjà bien lancés dans leur conquête du pouvoir. Ainsi, le financier Zimbabwéen Busisa Moyo (ci-dessous) 40 ans, est une figure incontournable du monde des affaires. Il démarre dans un petit fonds d'investissement puis il prend la direction d'une raffinerie d'huile de colza qu'il transforme en géant industriel, la United Refineries Ltd., premier propriétaire terrien du pays. Moyo est aussi à la tête de la Confédération des industries du Zimbabwe.

Même talent, même flair pour le Tanzanien Mo’ Dewji, 41 ans, qui a transformé la société familiale de fabrication de clous et de brouettes en l'un des tout premiers conglomérats d'Afrique de l'Est.

Autrefois frileux pour l’Afrique, les investisseurs occidentaux revoient leur position. Les risques restent importants et la rentabilité incertaine, mais les grandes tendances sont à la hausse. Certains pays traversent des crises terribles puis rebondissent. C'est le cas du Rwanda anéanti par un terrible génocide en 1994 et que l'on surnomme, vingt ans plus tard, “la Suisse de l'Afrique”. “C'est le pays qui a fait le plus d'efforts pour favoriser la création d'entreprises”, explique Paul-Harry Aithnard, 42 ans, directeur des marchés de capitaux et de l'Asset management du groupe Ecobank, la première banque panafricaine.

Autre exemple, à l'image plus démocratique que le Rwanda dirigé par le même chef d'Etat depuis seize ans: la Tunisie. Le pays de la révolution du jasmin a bien accru son capital sympathie auprès des investisseurs étrangers.

“En 2011, on a senti les clients sensibles au développement des start-up démocratiques”, confie Neila Benzina. Diplômée de l'Institut national des télécommunications à Paris, cette entrepreneuse a créé l'implantation tunisienne de la société Business & Decision (B&D) en 2001. Son domaine: le traitement des données, le conseil et l'intégration de systèmes. Aujourd'hui, la filiale dont elle est la directrice générale, emploie plus de 300 salariés pour un chiffre d'affaires d'environ 15 millions d'euros. 

 Selon Paul-Harry Aithnard, les secteurs clés du développement sont la finance et les biens de consommation. Sur le terrain financier, les initiatives se multiplient parce que, comme l'explique l'avocat d'affairesYves-Justice Djimi, “le taux de bancarisation en Afrique subsaharienne est de 5 % alors que dans les pays développés il dépasse 100 %”. 

Autre créneau porteur: le microcrédit. Valérie Neim a quasiment décuplé le chiffre d'affaires du groupe familial CCPC Finance qu'elle a repris en 2011.

Après avoir étudié à Londres et travaillé pour la banque Abn Amro et le groupe Siemens, cette Camerounaise de 36 ans prend les rênes de l'entreprise qui salarie alors 30 personnes dans cinq agences. “Aujourd'hui, nous en employons 200 dans dix agences.”

Une innovation a révolutionné son marché: l'Internet banking, c'est-à-dire la possibilité de payer des factures ou de recevoir de l'argent via son téléphone portable, une alternative au paiement en liquide. Peu utilisée en France, cette technologie est omniprésente en Afrique.

Dans les deux pays où le mobile banking est le plus développé, au Kenya et en Tanzanie, 60% du PIB circule directement entre tablettes et cellulaires.

“Même si la bancarisation progresse, il reste des couches de population qui n'ont pas accès aux services bancaires. C'est un vrai créneau”, explique Paul-Harry Aithnard. Certains se font une spécialité d'aider ceux que les banques refusent de financer. C'est le cas de l'Ivoirien Jean-Luc Konan fondateur de la Cofina. Cet ancien banquier regrettait de devoir rejeter des dizaines de dossiers et de projets faute de garanties suffisantes. Du coup, il crée, au Sénégal, la Compagnie financière africaine (Cofina) qui propose des crédits à ceux qui se voient refuser des prêts par les établissements bancaires classiques.

Un pari gagnant dès son premier client. Celui-ci avait pour projet était la construction d'un centre commercial Aujourd'hui, il emploie 300 personnes. “L'accès au crédit a augmenté de 20 % à 35 % sur les cinq dernières années dans la zone francophone”, note Paul-Harry Aithnard.

Malgré la crise liée à la chute des cours du pétrole, le secteur des biens de consommation continue lui aussi de progresser. L'enseigne Carrefour vient d'inaugurer, au mois d'avril 2016 son premier magasin à Nairobi, la capitale kényane. “Le continent traverse souvent des crises terribles, explique Zyad Limam éditeur du mensuel Afrique Magazine, mais cela n'empêche pas le mouvement de fond. Physiquement et dans les têtes, l'Afrique s'urbanise, se construit, rajeunit. Et elle bouge.”

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