En parcourant Un président ne devrait pas dire ça… (Stock), la chronique quinquennale des états d’âme de François Hollande, on n’est pas surpris par les éloges de ce dernier sur Ségolène Royal, mère de ses enfants et actuelle ministre de l’Environnement, sur Jean-Marc Ayrault, ex-soldat fidèle et dévoué, ou encoreManuel Valls, jugé énergique et bon communicant. En revanche, on ne s’attendait pas à y découvrir un président admiratif du travail effectué par l’un de ses adversaires les plus pugnaces, Marine Le Pen.
« La force d’un parti uni »
Selon les auteurs du livre Gérard Davet et Fabrice Lhomme, un rendez-vous avec la présidente du FN l’aurait particulièrement marqué. Soucieux d’associer toutes les formations politiques à la réforme des régions concoctée par l’exécutif, le président la reçoit le 16 mai 2014. Hollande a été « saisi », ce vendredi de mai, « sincèrement étonné par le travail fourni par le Front national, très argumenté, bien charpenté », racontent les auteurs. « Et puis c’est le pack d’une équipe de rugby qui se présente face à lui, groupé, pénétrant. Il ressent la force d’un parti uni », ajoutent-ils. Une dynamique qui tranche avec les autres formations politiques, et notamment l’UDI, « venus à sept ou huit », avec « autant de positions que de participants », remarque Hollande.
Évidemment, le président est à des années-lumière des idées de Marine Le Pen. Mais, lorsque elle lui lit son texte très critique contre la réforme, il juge son discours « très efficace » : « La seule qui est venue avec un texte articulé, avec une logique, qui peut s’entendre, qui est de dire : En fait, vous faites cette réforme parce que l’Europe vous demande de la faire, c’est Marine Le Pen..» « Si ce discours avait été prononcé à l’extérieur, il aurait été très efficace. Les autres étaient dans le calcul politicien… » explique-t-il encore aux journalistes du Monde.
« La cohérence de l’argumentation »
Pour Davet et Lhomme, « cet épisode résume assez bien ce qu’inspire à Hollande la patronne du FN » : le président aurait d’autant plus peur de Marine Le Pen qu’il reconnaît ses qualités. Hollande ressentirait « une extrême inquiétude face à la démagogie des arguments avancés, et surtout au potentiel explosif des propositions d’un mouvement populiste ». Mais aussi « une forme d’admiration devant la faconde politique, l’organisation huilée, la cohérence de l’argumentation… Un respect très professionnel face à la puissance de la machine FN, miroir de son incapacité à l’enrayer ».
Le président ne fait donc pas l’erreur de sous-estimer l’adversaire. Avant les régionales, alors que la capacité du FN de gérer des localités est sans cesse mise en cause par ses collègues socialistes, il explique que, si elle était élue dans le Nord, Marine Le Pen ne commettrait « pas d’erreur significative de gestion » : « Pendant un an et demi, elle ne va pas faire de provocations, se projette-t-il. Elle va prendre deux ou trois décisions symboliques, supprimer deux ou trois prestations, elle ne va pas faire la faute de créer une situation de tension, de rupture, qui ferait qu’elle serait mise au ban de la société française, ou des acteurs publics, ou même des Européens. »
Pour François Hollande, sa volonté d’occuper le pouvoir la rend beaucoup plus redoutable que ne l’était son père. Pour le reste, les deux partagent « la même politique, la même philosophie, la même idéologie », à quelques points de détail près : « Le Pen père était obsédé par les juifs, Marine Le Pen est obsédée par les musulmans. Le Pen père était contre l’immigration, Marine Le Pen est contre la francisation, les gens qui accèdent à la nationalité, le métissage… Elle va s’en prendre aux nationaux, pas aux immigrés. Elle ne pense pas à chasser les immigrés. Elle pense à redonner une clarification à ce que veut dire être français. »
En résumé, « Marine Le Pen, c’est Bruno Mégret » assène-t-il. Pour lui, la dirigeante du FN a repris, avec succès, la stratégie de « normalisation » de l’ancien numéro 2 du parti. Au passage, il oublie que le très droitier Mégret n’aurait jamais enrôlé le chevènementiste autoproclamé Florian Philippot. Or, pour Hollande, la gauchisation du discours de l’eurodéputé est une des clés de son succès : « Là ou Le Pen arrive à marquer des points, c’est qu’elle, à la différence de son père, ne laisse pas penser qu’elle va détruire le modèle social. »
Au milieu de ces compliments, Hollande relève tout de même son talon d’Achille : « Là où elle est mal à l’aise, c’est sur les questions de politique étrangère, ce ne sont pas ses sujets. » Selon les journalistes du Monde, si Hollande est « intarissable » sur l’« anathème » Marine Le Pen, c’est « sans doute parce qu’au fond de lui il ressent cette hantise, qui le renvoie à sa propre impuissance : être celui qui aura permis au FN d’accéder au pouvoir ». Une analyse reflétant l’impression qui se dégage à la lecture des confidences présidentielles : celle d’écouter François Hollande confortablement installé dans le carré VIP de son propre naufrage.