Bénin: des biens culturels «bien mal acquis» par la France

 
Les vitrines des trésors royaux d’Abomey, exposés au musée du quai Branly à Paris. Musée du quai Branly-Jacques Chirac/Cyril Zannettaci 

Le Quai d’Orsay oppose un refus catégorique au Bénin, qui demande la restitution de ses trésors culturels pillés durant la conquête coloniale.

La réponse officielle a tardé. Elle prend la forme d’une fin de nonrecevoir plutôt sèche. Le 27 juillet dernier, dans une démarche inédite, le gouvernement du Bénin réclamait la restitution des trésors des rois du Dahomey pillés durant la conquête coloniale. À Paris, on prétendait alors n’avoir jamais reçu de « demande officielle », une conseillère de l’Élysée assurant même sans rire que Béhanzin, le roi du Dahomey, avait « offert son trône, son sceptre et les statues de son père et de son grand-père de façon volontaire » aux troupes coloniales du général Dodds qui ont mis Abomey à feu et à sang, en 1892.

Dans une lettre du 12 mars dernier adressée à son homologue béninois Aurélien Agbénonci, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, confirme le refus français de restituer à l’ex-colonie ces biens culturels mal acquis. « Les biens que vous évoquez ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public mobilier de l’État français. Conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution est impossible », tranche le chef de la diplomatie. En guise de lot de consolation, Ayrault, qui dit avoir « conscience de la valeur historique et culturelle de ces biens pour le Bénin », propose des « coopérations muséales de grande ampleur ». En clair, la France est disposée, tout au plus, à prêter au Bénin les objets du trésor royal d’Abomey exposés au musée du quai Branly, comme elle l’a déjà fait en 2007 à l’occasion d’une exposition de la Fondation Zinsou à Cotonou, à l’occasion du centenaire de la mort de Béhanzin. « La protection et la valorisation des biens culturels font, de longue date, l’objet de coopérations entre la France et le Bénin. Nous sommes désireux de les approfondir. Un dialogue est engagé à ce sujet entre les ministères de la Culture français et béninois », insistait hier le porte-parole du Quai d’Orsay.

La demande béninoise revêt un caractère hautement politique

La restitution est-elle impossible, comme l’affirment les autorités françaises ? Non, répondent les signataires français et béninois d’une pétition pour le retour au Bénin de ces biens culturels. « Certes, ces objets sont classés au patrimoine de la France, mais il existe une commission scientifique nationale des collections, dont la mission est justement de déclasser les objets soumis à son examen, en vue d’une éventuelle restitution. Le principal critère est le mode d’acquisition. Quand des objets du patrimoine ont été volés, la commission statue en conséquence et peut alors les déclasser en vue d’une restitution intégrale. Par conséquent, ces biens qui ont été emportés par les armées coloniales ­ il n’y a évidemment aucun débat sur leur origine ­ peuvent être déclassés et restitués », font-ils valoir. De telles démarches ont déjà abouti, avec l’aval du Parlement, à la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote » à l’Afrique du Sud, en 2002, et de vingt têtes maories à la Nouvelle-Zélande, en 2012.

Pour Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), très engagé dans le mouvement pour la restitution des trésors royaux d’Abomey, le dossier est loin d’être clos. « Un verrou a sauté. C’est la première fois qu’un pays demande la restitution non pas seulement d’une pièce, mais de l’ensemble de son patrimoine. Jusqu’ici, les pays africains n’osaient pas entreprendre ce genre de démarche, par crainte de pressions ou de représailles », remarque t-il. Au-delà de sa dimension mémorielle et culturelle, la demande béninoise revêt un caractère hautement politique, puisque les objets réclamés sont, pour la plupart, des attributs de souveraineté. Les sceptres, récades, trônes, statues anthropomorphes, armes, couronnes et tenues d’apparat exposés au quai Branly portent tous la mention « don du général Dodds », qui atteste le caractère illégal de leur appropriation par la France. « La conquête du Dahomey par les Français (1890-1894) fut la guerre coloniale la plus dure et la plus longue de la région : le peuple soutint massivement la résistance conduite par le dernier roi indépendant, Béhanzin », rappelle l’historienne CatherineCoquery Vidrovitch (1).

« Le possesseur d’un bien culturel volé doit le restituer »

Après sa défaite, Béhanzin fut exilé en Martinique, puis en Algérie, où il rendit son dernier souffle en 1906. La conversion de son trésor royal en butin de guerre exporté en France devait parachever, sur le plan symbolique, l’écrasement de la résistance à la conquête coloniale. Quelles sont aujourd’hui les voies de recours pour Cotonou ? Ratifiée par la France, la convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés stipule bien que « le possesseur d’un bien culturel volé doit le restituer ». Mais ses délais de prescription excluent de fait le patrimoine issu du pillage colonial. Moins catégorique que celle du Quai d’Orsay, la lettre adressée par l’Élysée aux autorités béninoises laisse une porte entrouverte en suggérant la création d’une « commission ». Subterfuge diplomatique pour enterrer l’affaire ? Pour le député écologiste Noël Mamère, signataire de la pétition, cette histoire pose une question moins légale que « morale, éthique et politique ». « Ces objets témoignent de l’histoire d’une grande civilisation. Le refus de les restituer relève d’un réflexe néocolonial, analyset-il. La décence voudrait que la France, dans un geste de réparation, rende ces collections dérobées pendant la colonisation. »

«C’est la première fois qu’un pays demande la restitution non pas seulement d’une pièce, mais de l’ensemble de son patrimoine.» – LOUIS-GEORGES TIN PRÉSIDENT DU CONSEIL REPRÉSENTATIF DES ASSOCIATIONS NOIRES

(1) Petite Histoire de l’Afrique. L’Afrique au sud du Sahara de la préhistoire à nos jours. La Découverte, 2011.

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