Religions imposées et infériorité du Noir

Dans le monde musulman, l’infériorité du Noir a été établie par des érudits bien longtemps avant les élucubrations européennes du XIXème siècle sur la question. Un de ces savants très écoutés, Ibn Khaldun (1332-1406), avait écrit :

« Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les Nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal » .

En 652 après Jésus-Christ, le roi de Nubie, Khalidurat, fut obligé de signer un traité avec l’émir Abdallah ben Said qui lui faisait un chantage au Jihâd ; voici un des points du traité : 

« Vous livrerez chaque année trois cents soixante esclaves des deux sexes, qui seront choisis parmi les meilleurs de votre pays et envoyés à l’imam des musulmans. Tous seront exempts de défauts » .

Les musulmans inaugurent ainsi, officiellement, une vieille pratique qui existait depuis la nuit des temps. 

« Si nombreux en Afrique sont ceux que l’on nomme ordinairement ‘dealers d’esclaves’ qu’ils la vident de ses hommes en transférant leur ‘marchandise’ dans les provinces d’au-delà des mers. Il ne s’agit là que d’individus libres : seul un petit nombre est vendu par leurs parents ; il faut dire que ces gens les acquièrent non pas, selon ce qu’indique la législation romaine, comme serviteurs pour une période de vingt-cinq années, mais comme des esclaves qu’ils rétrocèdent outre-mer » .

Les chrétiens effectueront leur inauguration bien des siècles après les musulmans, comme nous le verrons. Restons dans l’islam pour signaler que les mots ‘abd’, ‘zinji’, ‘es oued’ sont des équivalents du mot esclave ; mais ces appellations sont aussi les différents noms que la langue arabe utilise aujourd’hui encore pour désigner le Noir.

Le monde arabe est encouragé par le coran qui autorise à réduire en esclavage les mécréants et qui recommande timidement de ne pas être très dur avec l’esclave. Bon nombre de Noirs soumis à la sujétion étaient musulmans : l’islam évacue cette contradiction en inscrivant le Noir dans une infériorité qui incite à voir en lui une bête plutôt qu’un homme.

« On a dit que la conversion à l’islam était d’un grand bénéfice pour les Noirs car un musulman ne réduisait pas à l’esclavage d’autres musulmans. Cette immunité a peut-être été valable dans d’autres pays mais certainement pas au Sénégal » . 

Quand l’heure de la colonisation sonne, on subjugue le Noir sur ses terres ; il y eut aussi les traites et, avec elles, ce fut sous d’autres cieux: une traite d’esclaves suppose un négoce de captifs ainsi que leur déplacement vers les lieux où leur exploitation sera effective. Le commerce transatlantique utilisa la mer, la traite arabe aussi, mais dans une petite proportion : elle se fit surtout avec des caravanes à travers le Sahara. Ces marchandises devaient avancer enchaînées : leur traversée du vaste désert durait entre trois et quatre mois.

On se souvient du reportage du célèbre Joseph Kessel en 1942 : il présente des détails sur ces caravanes qui devaient passer de l’Afrique occidentale aux pays du golf persique musulman. Ce trafic étant très rentable et la denrée considérée comme du bétail, les négriers arabes tout comme leurs émules européens ne se faisaient jamais de soucis pour la grande mortalité qui sévissait dans les cargaisons des bateaux ou au sein des attelages à travers le Sahara et les déserts du Moyen-Orient.

« Malgré des faux-frais élevés qui étaient liés à ce commerce et le taux de perte d’esclaves tout aussi élevé pendant la traversée, le commerce des esclaves aux 17ème et 18ème siècles demeurait une des plus importantes sources de richesse en Europe… Des gains de 100% n’étaient pas, pour les négociants, rares » .

Il faut ajouter à cela le fait que le captif noir n’est pas seulement esclave, mais le type idéal de l’esclave : les deux traites évoquées (commerce triangulaire et caravanes arabo-musulmanes), le montrent assez. Elles sont contemporaines l’une de l’autre, même si l’une dura trois siècles et l’autre, plusde dix fois plus. Il est indécent de comparer les degrés de l’horreur, dit-on, mais osons dire que les Arabo-musulmans furent plus cruels. 

Battu par les Arabes, ce record d’inhumanité envers le serf noir s’explique par la valeur qu’ils attribuaient à l’eunuque : ils avaient ainsi presque systématiquement castré, dès leur arrivée en terre moyen-orientale, les captifs qu’ils acquéraient dans les marchés africains, étant entendu qu’ils avaient transformé certaines villes, à l’intérieur de l’Afrique, en marchés aux esclaves.

Disons-le clairement, les musulmans ne sont pas les seuls à s’accommoder de cette contradiction : les chrétiens ne se laissent pas distancer, puisqu’ils l’entretiennent sans se poser de questions; il arrive que l’on baptise quelqu’un avec pompe, tout en le maintenant dans la sujétion :

« Nous apprenons qu’il était un serviteur du prince Rudolf August et, à l’instigation du duc August, ‘,car l’église était totalement comble”, fut baptisé le 7.11.1653 par le superintendant général, Dr. Joachim Lütkemann et reçut le nom du maître des lieux. Les témoins du baptême étaient les princes Hofschenk, Junker Friedrich von Cramm, le chef des Chasses ducales Adam von der Danne, les deux conseillers à la cour et au consistoire, Dr. Johann Lüning et Dr. Justus Georg Schottelius, plus Johannes Saxe, le précepteur des princes Anton Ulrich et Ferdinand Albrecht, le diacre Sébastian Hauer et le diacre à la cour, Christoph Schelle » .        

Devant ces rassemblements des foules au sein desquelles se bouscule le beau monde de l’époque, on a peine à croire qu’il s’agit de la célébration du baptême d’un esclave. 

Retenons la date du 08/01/1454. Ce jour-là, commença le long épisode d’un de nos malheurs : le pape Nicolas V, neveu et successeur d’Eugène IV qui fut aussi oncle de Paul II, lui-même par ailleurs petit-neveu de Grégoire XII, signa une bulle qui donnait l’ordre à Alphonse V, roi du Portugal, de subjuguer les Noirs, habitants de la Guinée et païens.

C’est encore l’Église qui procède au partage du monde : le pape Alexandre VI décide, en 1494, de donner au Portugal l’Asie, le Brésil, l’Afrique et à l’Espagne, le reste des Amériques. Avec cette partition en arrière-fond, naît l’idée de la traite transatlantique.

Ainsi que l’évidence le commande, l’Église qui a imaginé, accompagné et encouragé ces pratiques éhontées doit faire un geste : aucune lettre encyclique n’a porté, à ce jour, sur l’égalité des races et le monde attend toujours, loin des gesticulations suborneuses auxquelles nous a habitués la papauté, une loi bulle qui annule la croisade évoquée plus haut, contre les Noirs, que prêcha le pape Nicolas V. 

N’oublions pas que, selon le droit canon, une lettre bulle ne meurt que par une lettre bulle, ce qui revient à dire que celle de Nicolas V court toujours.

Il faut ajouter que cette denrée n’était pas seulement destinée aux Amériques d’une part et d’autre, au Moyen-Orient : les négriers fournissaient également l’Afrique du Nord et l’Europe. L’existence des esclaves noirs en Europe est très ancienne et leur nombre se démultipliait au fur et à mesure que leur obtention et leur présence massive dans un domaine devenaient un signe d’élévation sociale.

Au dix-huitième siècle par exemple, époque où vécut Antoine Guillaume Amo, il y en eut tellement dans les cours de l’aristocratie et chez n’importe quel notable qu’on transforma quantité d’entre eux en objets de décoration.

Une idée de génie naquit dans des têtes chrétiennes : elles se mirent à importer de jeunes Africains, afin d’en faire des apôtres auprès de leurs frères. On signale en Italie des établissements pour garçons et d’autres pour demoiselles : par exemple en 1849, Nicola Mazza fonde à Vérone son institut africain et en 1854 à Naples, le collegio dei moretti/collège des maures (esclaves noirs).

On les y prépare au sacerdoce ; pour les filles, on cite l’institut Stimatino, fondé à Naples en 1859. Il y a aussi de belles âmes solitaires : Niccolo Olivieri fut tellement gagné à cette idée que sa joie fut débordante le jour où un marchand lui fit don d’un jeune Africain.

« Un marchand de Gène lui apporta un petit garçon d’Égypte. Formé et baptisé par Olivieri, l’adolescent fit des études de théologie, fut ordonné prêtre, obtint le grade de docteur en théologie et partit comme missionnaire en Guinée » .  

Il va désormais se consacrer à leur ramassage par centaines pour les dispatcher dans les monastères d’Europe. L’article du Zeit affirme que les protestants s’en mêlèrent largement eux aussi.

En fait, Ute Küppers-Braun montre dans son article que ces religieux se rendaient en Afrique pour acquérir des esclaves dans les marchés où trônaient des dynasties de négriers arabes. Ils y furent encouragés par le pape : 

« Le pape Pie IX promit à tous les membres de cette congrégation une indulgence plénière à l’heure de leur mort » .

Ils avaient besoin de cette indulgence, puisqu’ils avaient pleinement conscience des déviances qui les malmenaient : ne perdons pas de vue que c’était la belle époque où pédophilie à tire-larigot et impunité faisaient copain-copain.

Une partie des pays européens exécutèrent ce mouvement d’ensemble. Il est facile de l’attester pour le cas  de la France : plusieurs monastères accueillirent ces enfants ; citons ceux des régions de Marseille, Anger, Toulon, Lyon, Grenoble, Nice… 

Dans un livre  sur la littérature africaine, R. Cornevin parle d’un écrivain, né en 1814 : c’est le père Boilat, l’auteur des Esquisses sénégalaises.

« Ainsi, David Boilat était mulâtre issu de deux parents mulâtres : orphelin, il fut pris en charge dès sa treizième année par la Mère Javouhey. On mesure aujourd’hui la prodigieuse intelligence de cette femme qui avait érigé en système l’envoi de jeunes Africains en France pour leur faire poursuivre des études qu’il était alors impossible de continuer sur place… C’est elle qui eut l’idée d’emmener en France les enfants les plus doués pour les instruire. Entre 1825 et 1827, dix-neuf enfants noirs et mulâtres furent envoyés au petit séminaire de Bailleul-sur-Thévain dans l’Oise » . 

Sa formation le prépare à poursuivre au Sénégal l’œuvre d’apostolat ; il est ordonné prêtre à 26 ans en compagnie de deux de ses compatriotes, Jean-Pierre Moussa et Arsène Fridoil. Tous reviennent au pays. Boilat prend la direction de l’éducation des jeunes. Après quelques années de service, il fait face à l’animosité toujours plus insupportable de collègues et collaborateurs ; il choisit de rentrer en France et d’y servir comme prêtre diocésain jusqu’à sa mort en 1901.   

Le Noir étant le type idéal de l’esclave, à cause de la couleur noire de sa peau, les autres races, malgré les injonctions de leurs religions, lui infligent un traitement qui cadre avec la supériorité raciale qu’elles s’attribuent. Tout ceci est fait dans la droite ligne de la théorie de l’esclavage par nature qui justifie le bien fondé de choisir à la place de l’Africain son destin. Par sa nature inférieure clamée par les défenseurs de la négation humaine, le Noir subit tous les mauvais traitements : on peut le subjuguer partout, comme l’explique Aristote  ; quand il n’est pas esclave, il affronte l’ignominie partout où il passe.

Simon MOUGNOL


Très courte bibliographie

Aristote, La politique, traduction M. Prélot, Paris 1971.

Cornevin, Littératures d’Afrique noire de langue française, Paris, 1976.

Franklin John Hope et Moss, Jr Alfred A., Von der Sklaverei zur Freiheit, Berlin, 1999.

Kittel Ingeborg, « Mohren als Hofbediente und Soldaten im Herzogtumm Braunschweig » in Braunschweigisches Jahrbuch, Wolffenbüttel, 1965.

Küppers-Braun Ute, « Augustina Christin ist Augustina est chrétienne », Die Zeit N° 2, 31 décembre 2008.

Saint-Augustin, Lettres 10.2, à Alypius. 

Tidiane Ndiaye (2008), Le génocide voilé, Paris 2008.

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