Les Niayes, le fleuron
S’il est une référence en matière de culture maraichère au Sénégal, la zone des Niayes en est sans conteste. Située entre les villes de Dakar et Saint-Louis, cette bande côtière est d’une richesse débordante, en raison des privilèges qu’elle offre aux agriculteurs dans un pays dominé par la rareté des terres arables. Le climat y est particulièrement doux et frais durant près de 5 mois de l’année (novembre à février), doublée d’une hydrométrie qui fait des Niayes le lieu par excellence pour les cultures légumières et pas seulement.
Des arbres fruitiers se dressent fièrement dans cette cuvette singulière aux sols variés. «La cuvette principale de Mboro est la zone traditionnelle maraichère. A l’intérieur des cuvettes il y a des bas-fonds, ce sont des zones inondables qui se remplissent d’eau pendant la saison des pluies et se vident graduellement durant la saison sèche, il reste suffisamment d’eau pour qu’on n’ait pas à arroser ou à fertiliser les plantes. On retrouve à mesure qu’on va vers l’extérieur de la cuvette, les sols sableux et les sols argilo sableux qui répondent à des spécificités précises en termes de culture », explique Raphael Belmin, chercheur au Cirad basé au Sénégal depuis 2018.
Les agriculteurs au taquet
L’attrait des Niayes et sa richesse sempiternelle lui suffisent pour polariser d’année en année une mosaïque d’agriculteurs avides d’explorations, mais surtout de rentrées financières. On apprend d’ailleurs que les zones les plus fertiles sont déjà saturées. Mais ils sont tenus par un incontournable défi en primeur, s’adapter avant tout. Pour pleinement profiter de la zone, ils respectent son gradient pédologique comme on l’a observé dans l’exploitation de Samba Dia. Le quinquagénaire tient un verger occupé de nombreuses années avant lui par son défunt parent « Sur le côté il a planté des arbres, et au fond, il met normalement des cultures maraichères », explique Raphael Belmin.
Samba Dia a majoritairement opté pour la culture des arbres fruitiers sur son verger de 7 hectares. «Je fais aussi du maraichage, mais sur une petite superficie. Je me suis concentré sur les arbres fruitiers…Il y a des manguiers, il y a des citronniers, il y a des avocatiers et des cocotiers aussi qui me permettent d’avoir des ressources pour financer mes activités et mes besoins du quotidien », précise l’agriculteur qui est quasiment parmi les leaders dans la production d’avocats et de noix de coco sur le marché sénégalais.
Samba promène le sourire d’un homme comblé après une fructueuse récolte de noix de coco. Une tâche accomplie avec l’appui de ses deux employés permanents et des nombreux temporaires qu’il ne sollicite qu’en période des récoltes. Pour l’arrosage de sa vaste exploitation, il a acquis 4 motopompes à essence qui lui épargnent trop d’efforts en permanence.
Les mouches du malheur
Comme la quasi-totalité des producteurs dans les Niayes, Samba Dia se heurte à une sérieuse menace pour ce qui est de ses manguiers. Au Sénégal, les mangues sont depuis près d’une vingtaine d’année la cible d’une variété de mouches blanches à l’apparence dont les piqûres font pourrir automatiquement les fruits murs. « Pour cette année, elles ont détruit pratiquement 90% de ma production Je n’ai pas vendu à 50 francs le kilo ». Elles sont généralement abondantes lorsque les pluies sont fortes, car elles aiment l’humidité. C’est difficile de ne pas avoir de mouches ici, vu que nous sommes dans une zone humide. », Regrette Samba.
Une étude du Cirad a d’ailleurs permis de réaliser que sa situation est particulièrement préoccupante « On s’est rendu compte que l’endroit où on trouve le plus de mouches dans les Niayes c’est chez Samba et c’est parce qu’on est dans un milieu très humide », assure Raphael Belmin. Raison suffisante pour que les producteurs perdent leur pouvoir de négociation face aux acheteurs, car les piqures de mouches peuvent les contraindre à voir impuissamment la totalité de leur investissement pourrir. Ils sont donc obligés souvent de brader leur production le plus rapidement possible.
La Bactrotera dorsalis, du nom scientifique de cette mouche malveillante, fait partie de toute la vague de bios agresseurs invasifs qui sont transportés par les flux commerciaux. La globalisation leur permet de se développer et les changements climatiques leur apportent de nouvelles opportunités d’habitat. L’insecte venue d’Asie et détectée en 2004 au Sénégal est devenu un véritable goulot d’étranglement pour les agriculteurs. Aucune variété de mangues n’y résiste, d’autres fruits à l’instar de citrons et autres oranges sont aussi menacés.
Éradiquer les mouches
Samba s’emploie à réduire l’ampleur de leurs ravages grâce à une technique de capture avec des produits chimiques, « Mais ils sont rares et couteux », lance-t-il l’air affligé. Car il existe certes des techniques de lutte efficaces, mais il est quasiment impossible de parler d’éradication totale des mouches blanches dans les Niayes. Les ressources manqueront bientôt au quinquagénaire qui a l’impression de s’être engagé dans une bataille inutile et pourtant couteuse. Il ne doit le salut qu’à la diversité des productions de son verger. Un facteur de résilience qui l’aide à suivre du haut du manque à gagner induit par l’invasion de ces mouches incontrôlables.
Un espoir cependant. Le Cirad a mis en place un réseau de piégeage. Présents dans une trentaine de vergers des Niayes, ces pièges sont utilisés « pour mieux comprendre la dynamique des populations de mouches, afin de donner des conseils aux agriculteurs sur comment mieux gérer ce parasite. », confie Raphael Belmin. A noter que l’entité se penche sur la gestion agro écologique des mouches depuis 10 ans.
Périls sur le cœur battant du Thiéboudienne
Le versant légumier des Niayes est particulièrement saisissant. A perte de vue, il découvre de vastes hectares de monocultures dédiées à des aliments particulièrement prisés. De l’aubergine, du riz, des carottes, de la tomate, du citron, des oignons, des choux entre autres plantes qui ont trait d’union ; ils servent à la préparation du plat national du Sénégal, « le thiéboudienne ». En effet, l’ampleur de ces exploitations dans les Niayes est portée par l’attachement des Sénégalais à ce plat et traduit sans conteste la profonde volonté des agriculteurs de satisfaire en primeur la demande locale.
Ils se retrouvent pour certains à se lancer simultanément dans toutes ces cultures comme Mam Thierno. Le quinquagénaire tient tout seul une exploitation de 40 hectares, où on retrouve la totalité des fruits et légumes qui entrent dans la composition du riz sénégalais. « Je sollicite plus de douze personnes pour assurer le désherbage, le repiquage et la récolte sur mon exploitation. Ils sont rémunérés à hauteur de 10 000 FCFA la journée. Les récoltes sont satisfaisantes ; je me retrouve avec pratiquement 10 tonnes de pommes pour hectare de terrain », confie Mam Thierno. Une réjouissance qui est le partage de nombreux agriculteurs du coin. Mais la santé des sols ne rassure plus.
Même dans les zones à fort potentiel de productivité comme les Niayes, le risque d’un basculement fatal est réel. Ce d’autant que les agriculteurs réalisent comment tous les compartiments de ce gradient pédologique sont de moins en moins fertiles. Ils se voient obligés de fertiliser les sols pour s’assurer de l’abondance des récoltes. La politique du gouvernement y participe majoritairement ; l’Etat veut que la terre crache autant de nourriture que possible pour subvenir aux besoins des plus de 18 millions d’habitants du Sénégal.
Problème, cette démarche pousse de nombreux cultivateurs à se ruer vers les fertilisants chimiques qui détruisent les sols. Si quelques-uns prennent l’ampleur de ce désastre, opter pour l’agriculture biologique ne suffit pas pour inverser la tendance; surtout lorsqu’ils se plaignent d’avoir les mêmes rendements et le même tarifaire sur le marché, et de ne pas avoir des avantages supplémentaires comparativement à ceux de leurs compères qui se ruent sur les produits chimiques. C’est dire si la pérennité des Niayes est menacée.
Réalisé par Romulus Dorval KUESSIE, de retour de Dakar au Sénégal.