Cameroun : la Constitution, modifiée pour le recul depuis 25 ans (Roland Tsapi)

La refonte de la loi fondamentale en 1996 a donné une lueur d’espoir pour une ouverture démocratique véritable, qui s’est avérée avec le temps une simple illusion.

Le 30 Octobre 1991, s’ouvrait au palais des congrès de Yaoundé la conférence tripartite, après près de six mois de manifestation des partis politiques et de la société civile qui réclamaient la tenue d’une conférence nationale souveraine. Jusqu’au 15 novembre 1991, la rencontre réunit les responsables des partis politiques, les personnalités de la société civile et les représentants des pouvoirs publics. Les résolutions contribuèrent à décrisper l’atmosphère politique dans le pays et lui permirent de s’engager dans la voie de la démocratisation véritable. L’une des principales résolutions était la mise sur pied d’une commission chargée de relire la Constitution. S’inspirant des modèles démocratiques, et étroitement surveillée par les organismes internationaux, l’Assemblée nationale camerounaise adoptera en début d’année 1996, la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.

Dispositions salutaires

Dès l’entame, le texte affirme de l’ambition : « Le Peuple camerounais, proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés, affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, notamment aux principes suivants : tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs. L’Etat assure à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement. » La suite de la Constitution instaure des principes qui posaient les bases d’une société équitable et répondait à bon nombre de préoccupations des partis politiques. Le pays devient un état unitaire décentralisé au terme de l’article premier alinéa 2. Les  mandats présidentiels passent de 5 ans à 7 ans, désormais renouvelable une seule fois d’après l’article 6 alinéa 2. Le parlement est désormais composé de deux chambres, l’assemblée nationale et le Senat, le nombre de sessions annuelles passe de deux à trois, une chambre des comptes est instaurée à la Cour suprême et le Conseil constitutionnel est créé entre autres. Pour lutter contre les détournements des deniers publics et l’enrichissement illicite, l’article 66 instaure la déclaration des biens : « Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du Gouvernement et assimilés, le Président et les membres du Bureau de l’Assemblée Nationale, le Président et les membres du Bureau du Sénat, les Députés, les Sénateurs, tout détenteur d’un mandat électif, les Secrétaires généraux des ministères et Assimilés, les Directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques, les Magistrats, les personnels des administrations chargé de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les autres catégories de personnes assujetties aux dispositions du présent article et en précise les modalités d’application. » Un véritable espoir pour la protection des biens publics.

Piétinement

25 ans après cette refonte constitutionnelle, qui était en fait la 12eme de l’histoire des constitutions du Cameroun, où en est-on ? A défaut d’être torturée, la loi fondamentale est simplement ignorée sur plusieurs points. D’abord, 11 ans après l’adoption de la Constitution, alors que le président de la République cheminait vers la fin de son deuxième et dernier mandat de 7 ans, elle fut modifiée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008, qui supprima la limitation des mandats stipulée à l’article 6. Le spectre d’une alternance à la tête de l’Etat s’éloigna définitivement, jetant de la suspicion sur la volonté réelle du pourvoir en place d’instaurer une véritable démocratie. Des suspicions confirmées progressivement par la réticence dans la mise en application de biens d’autres dispositions de la Constitution du 18 janvier 1996. La deuxième chambre du parlement, le Senat  a été mis en place 17 ans après, la Cour suprême a joué les intérimaires en lieu et place du Conseil constitutionnel pendant 22 ans en attendant sa mise en place en 2018, les conseils régionaux ont attendu 24 ans pour être concrétisés par les élections du 6 décembre 2020.

Sur le plan du respect de libertés fondamentales consacrées dans le préambule, le recul est incontestable. Quelques dispositions qui y sont contenues  disent : « Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie au cours d’un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense ; toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants. » Des milliers des personnes qui peuplent les prisons camerounaises peuvent témoigner de la façon avec laquelle elles ont été interpellées, des traitements qu’elles subissent et des conditions dans lesquelles elles sont détenues, combien d’années elles attendent d’être jugées. Au niveau de la gouvernance, l’instauration de l’article 66 de la constitution sur la déclaration des biens a plutôt donné un coup d’accélérateur à la corruption au lieu de la freiner. Trois ans après l’adoption de cette loi, le Cameroun était classé premier pays au monde de la corruption pendant deux années consécutives. Les années suivantes ont confirmé ce classement. Aujourd’hui tout un gouvernement est en prison pour détournement des deniers publics, corruption et autres, les fonctionnaires sont devenus plus riches que les hommes d’affaires, la corruption en somme est devenu un mode de vie.  Aucun gestionnaire de la fortune publique, aucun élu, aucun ministre, même pas le président de la république n’a jamais déclaré ses biens à la prise de fonction, et aucun n’est prêt à le faire.

Le constat au final est que la Constitution a subi des modifications a priori garantissant l’institution d’une véritable société démocratique, juste et équitable dans laquelle les citoyens jouissent de leur pleins droits et s’acquittent de leurs devoirs, mais qui dans la réalité a plutôt renforcé le pouvoir en place dans son règne.  Le non-respect à ce jour de plusieurs dispositions de cette loi fondamentale, laisse croire que cette modification avait en réalité pour effet de contenter les observateurs nationaux et internationaux, mais dans le fond n’était pas mue par une réelle volonté de bâtir un pays fondé sur le respect des droits de l’homme tels que stipulé dans le préambule.

Source : Roland TSAPI

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