Vivre aujourd’hui : L’enfer des marécages à Douala

Vivre avec les inondations

Voici environs trois mois que la pluie tombe sur l’ensemble du territoire camerounais en général et dans la capitale économique en particulier. Lente au mois de mai, elle s’est faite violente vers la fin du mois de juin et ce, jusqu’à ce jour. Il devient dès lors difficile d’accéder dans certaines localités situées dans des marécages. Difficile de trouver du sommeil pour les habitants de ces coins à problèmes. C’est ainsi que, la nuit du 6 au 7 juillet 2009 a été vraiment noire, au propre et au figuré, pour les riverains du quartier Cité Berge, Bloc I, sis au lieu-dit Village. Construites pour la plupart à côté des drains, certaines maisons ont été inondées d’eau. Matelas, tables, chaises, ustensiles de cuisine et autres objets ont été emportés par la pluie. Les postes récepteurs et téléviseurs ont pour leur part été accrochés sur les toits des maisons.

Certains parents n’ont pas trouvé mieux que d’envoyer leurs enfants dormir chez les voisins. Pourvu qu’on échappe à cet instant à la pluie torrentielle. “ Nous ne dormons pas car chaque fois que la pluie commence à tomber, on est en éveil, prêts à prendre soin de nos biens. Quand il ne pleut pas trop, on s’arrange à assurer le gardiennage chacun à son tour. Par exemple, moi la mère, je dors pendant deux heures pendant que le père est éveillé. Ensuite je me réveille à une certaine heure tandis qu’il dort. Ainsi de suite jusqu’au lever du soleil et la fin de la pluie. Mais lorsqu’il pleut énormément comme maintenant tout le monde reste en alerte ”, confie une dame.

Situation quasi-identique aux lieux dit Ngangué à New-Bell et aux environs du collège La Conquête à proximité de l’hôpital Général de Douala, Makèpè petit marché, Banya, Bépanda Sic-cacao, Mabanda, et autres localités de Bonabéri, endroits visités par le reporter. Toutes ces zones ont un point commun, l’inondation en saison des pluies. De jour comme de nuit, les habitants de ces zones perdent toute quiétude quand le ciel commence à s’assombrir, car il vaut mieux que la pluie trouve chacun chez soi, sinon il sera non seulement difficile de rallier la maison, mais il faudra se donner à une partie de pêche pour essayer de récupérer des eaux ce qui pourra encore l’être.

Libre choix et contrainte

Ce qui est davantage curieux est que ces populations résidant dans des marécages y sont établies depuis plus de 20 ans pour la majorité. Sachant qu’il existe deux saisons. La saison sèche et la saison pluvieuse. Et qu’à chaque saison de pluies, c’est le même calvaire. D’aucuns avouent sans gêne avoir le titre foncier ou le permis de bâtir. D’autres déclarent avoir acheté des terrains aux propriétaires terriens. La question est pourquoi avoir acheté une portion de terrain dans une zone dite marécageuse et par la suite se plaindre ? “ Quand j’achetais ce terrain il y a 20 ans, l’endroit n’était pas aussi dégradant qu’aujourd’hui. J’espérais qu’avec le temps j’allais gagner de l’argent et quitter les lieux. Malheureusement mes projets sont tombés à l’eau. Maintenant ce que je fais, c’est de faire le remblai régulièrement pour éviter de graves dégâts en saison pluvieuse ”, répond un habitant. Et un autre de dire qu’il a été victime d’une arnaque : “ J’ai donné de l’argent à mon frère pour m’acheter un terrain car je vivais au village Bandjoun avant. Je me suis rendu compte plus tard qu’il avait bouffé mon argent avant d’acheter cet espace très rapproché du drain. Je n’avais pas le choix que de l’emménager, n’ayant plus assez d’argent ”.

Mais à côté de ceux qui disent s’y retrouver par contrainte, il y a ceux qui ont un goût prononcé pour les marécages. Et ils font tout pour s’y retrouver, y compris emprunter de l’argent à la tontine. Le souci de l’affirmation de soi fait le reste, car une fois le terrain acquis dans ces zones, quelques morceaux de planches suffisent à ériger juste quatre murs, après que le sol ait reçu quelques brouettes de terre en guise de remblai. Les heureux propriétaires peuvent désormais se bomber le torse à côté d’une bière et dire : “ je suis aussi chez moi. ” Qu’importe où, et comment on fait pour y arriver. “ La route de chez soi n’est jamais ni longue ni boueuse, ni difficile ”, se justifient-ils. Surtout qu’à la fin du mois on ne risque plus de voir quelqu’un se pointer pour réclamer le loyer.

Amoureux des milieux et des conditions invivables, on ne se prive pas ici de procéder à l’élevage des porcs, poules, canards. On se partage la “ maison ” avec les poules et les canards, tandis que le porc doit se débrouiller dans une cage à côté. Et quand survient la catastrophe de l’inondation, le spectacle est assuré. On a vu, il y a quelques années, un habitant de Banya se débrouiller à sauver son porc, en laissant l’eau emporter les autres ustensiles de ménage. Car, visiblement, l’homme attachait du “ prix ” à la bête. Bref, tous ces habitants vivant dans des zones boueuses reconnaissent les dangers auxquels ils sont exposés bien que décidés à ne pas quitter les lieux pour des raisons liées aux maux tels le chômage, la pauvreté, la misère.

La réglementation sans vigueur

“ Tous ceux qui habitent les zones marécageuses savent qu’ils y sont de manière illégale, car ce sont des zones déclarées dangereuses et ne peuvent en conséquence faire l’objet ni d’une vente, ni d’une rétrocession, ni de l’attribution d’un permis de bâtir ”, explique un fonctionnaire du ministère du Développement urbain et de l’habitat en service à Douala. En fait, tous ici disent avoir acquis le terrain, mais rares sont ceux qui connaissent le vendeur, et surtout personne n’a un titre de propriété sur la parcelle qu’il occupe depuis des années. Et pour cause, aucun titre foncier ne peut être établi sans un certificat de vente notarié, un morcellement, un certificat de propriété et autres pièces exigées dans les couloirs du cadastre et du service des Domaines. Toutes des pièces très difficiles à obtenir sur des parcelles marécageuses. Conséquence, tout ce qui tient lieu de réglementation est botté en touche, et la loi en vigueur ici est simple à comprendre : “ l’occupation vaut titre de propriété. ”

Les constructions ici sont tout aussi anarchiques. Personne ne respecte rien. Ni le sens du terrain, ni les évacuations d’eaux, ni les servitudes, ni l’occupation rationnelle du terrain sur 2/3 pour la maison et 1/3 pour l’aération. On construit comme on veut, comme on peut. Il n’est pas rare de traverser dans le salon du voisin pour se retrouver chez soi, et quand arrive la haute saison (comme c’est le cas en ce moment), il y a des situations où l’eau que l’un jette par sa fenêtre se retrouve dans le salon de l’autre. Le permis de bâtir est un mot grec ici, encore que personne n’oserait demander. Les branchements électriques obéissent à une logique de la jungle, c‘est ici que prospèrent “ les toiles d’araignées ”, ces fils de courant qui transportent l’électricité d’une maison à l’autre. Même Aes-Sonel qui a déclaré la guerre contre les branchements pirates a battu en retraite dans ces zones, incapable de réglementer les branchements.

En somme, au-delà des inondations en saison pluvieuse, les marécages de Douala sont des zones de catastrophe permanente, et toutes les administrations censées y intervenir demeurent sans vigueur devant la situation.

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