Éditorial : Exorcisme politique

On a ainsi assisté à une séquence d’exorcisme politique où M. Sadi et son groupe tentent de délivrer Paul Biya des démons qui essaient de hanter la sainteté de son pouvoir afin de l’empêcher d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Une rencontre pour rien, devrait-on dire, au regard des conclusions formulées: premièrement la condamnation ferme du mémorandum jugé non conforme aux coutumes et traditions des peuples du Centre, et deuxièmement la dénonciation, « comme dénué de tout fondement », du rapport du Comité catholique de lutte contre la faim et pour le développement (Ccfd) au sujet de la fortune de Paul Biya et de certains membres de sa famille.

Les protagonistes ont beau clamer qu’il s’agissait d’une rencontre « d’information et d’échanges sur la situation sociopolitique qui prévaut dans la Région », il y a lieu de constater que ce qui en ressort est une redite, car les membres de l’élite du Mfoundi et de plusieurs autres départements du Centre avaient déjà condamné le mémorandum qui présentait l’état du sous développement de la région, alors que le Rdpc, dans son ensemble, avait déjà dénoncé le rapport du Ccfd – Terre solidaire. Après le communiqué signé de René Sadi lui-même, toutes les strates du Rdpc, apparemment désœuvrées, ont trouvé du travail : les réunions, l’adoption de motions inspirées depuis le comité central, et le renvoi de ces textes propagandistes à Yaoundé.

Finalement, c’est l’appel à candidature qui sonne comme « un plus » par rapport à ce qui avait déjà été dit. « Enfin, elles [l’élite et les notabilités] ont saisi cette occasion pour prier S.E. Monsieur Paul Biya, de bien vouloir accepter de se porter candidat à la prochaine élection présidentielle », peut-on lire sur le texte final, pompeusement appelé « déclaration ». C’est le fin mot de la rencontre. L’emplacement de cette phrase — elle ferme le texte — suggère que c’est ce qu’il faut définitivement en retenir. La réunion n’était donc qu’un prétexte pour supplier celui qui gouverne le Cameroun depuis novembre 1982 de ne pas quitter le pouvoir. En cela, la déclaration n’a rien de révolutionnaire. Mais la symbolique de l’initiateur, du lieu de cet exorcisme politique et de l’acte l’ayant sanctionné en donnent une signification qui va bien au-delà des grimaces de militants périphériques.

René Emmanuel Sadi est en effet un envoyé de Paul Biya, le président national du Rdpc. Il est le secrétaire général du comité central et son rôle, bien souvent, dans ce parti où la base est presque dépossédée de son pouvoir au profit d’une oligarchie prédatrice — les congrès sont rares — se limite à exécuter les ordres du président national. Il ne prend d’autre initiative que celles que lui dicte le président, ou celles qui sont susceptibles de lui plaire. Ainsi, il ne lui viendrait pas à l’esprit d’engager des actions sans requérir l’avis du chef. Paul Biya aurait sinon donné son aval pour l’orientation de cette rencontre, du moins, il n’a pas émis de réserves dirimantes.

On se rappelle par ailleurs que c’est lorsque M. Sadi avait commencé à parler de la modification de la Constitution que l’idée est passée du nuage à la réalité dans l’espace social et politique en 2008. Les faits qui ont suivi montrent que sa sortie positive sur la question n’était pas un hasard.

Au-delà, on remarque que la rencontre ne s’est pas tenue chez la plus haute autorité coutumière ou traditionnelle du Centre, mais dans un hôtel de la capitale politique, qui abrite souvent des rencontres où en sortent de grandes décisions. Les gens qui y ont pris part se considèrent comme les gardiens des institutions centrales de la République. Qui plus est, l’acte sanctionnant l’échange n’est pas un appel, encore moins un communiqué, mais une « déclaration »! Il est donc clair que la réunion des membres de l’élite et notabilités de la région du Centre est un indicateur fort de la candidature de Paul Biya à la présidentielle de 2011.

Mais on n’est encore qu’en 2009, c’est-à-dire deux ans avant l’échéance. De nombreux observateurs situent ce que M. Sadi vient de faire à Yaoundé entre un ballon d’essai et une stratégie de persuasion clandestine. Dans le premier cas, ce serait pour voir comment le peuple va réagir et ajuster les ambitions ainsi que les méthodes de conservation du pouvoir. Dans le second, il serait question d’amener ceux qui étaient encore réservés sur une éventuelle candidature de Paul Biya à se rendre à l’évidence que l’homme lion est « une chance pour le Cameroun », comme le proclament René Sadi et sa cour.

Dans l’un ou l’autre cas, certains sondeurs de la complexité Biya envisagent des actions politiques significatives avant 2011. On parle d’une restructuration de la présidence de la République et d’échéances électorales dont celles qui viennent immédiatement à l’esprit sont les sénatoriales et la présidentielle anticipée. Les manœuvres de Yaoundé se comprendraient ainsi comme un consensus de base avant l’élection et/ou désignation des sénateurs qui doivent s’engager à respecter, une fois au Parlement, le sens dans lequel tourne la roue du pouvoir. L’acceptation de cette position de principe par les membres d’un Sénat fortement coloré à la flamme du Rdpc serait une condition pour l’investiture ou la nomination à ces fonctions.

Mais la question persiste : pourquoi annoncer une candidature deux ans avant alors qu’on a posé des balises (révision de la Constitution, nomination de partisans à Elecam, etc.) qui permettraient d’être candidat et de remporter au cas où… C’est ici que la suggestion d’une possibilité d’anticipation de la présidentielle devient forte, mais avec de faibles indices concrets la matérialisant à l’immédiat.

En tout état de cause, même s’il avance masqué, on sait que Paul Biya aime son pouvoir. La réunion des membres de l’élite et notabilités du Centre avait pour but ultime d’exprimer l’ambition du Rdpc de bloquer toute alternance au sommet du pouvoir. Mais le président, après près de 27 ans de pouvoir, a encore la liberté d’apprécier les appels de ses partisans, s’il n’en est pas l’instigateur. L’histoire politique actuelle de l’Afrique francophone montre bien que tous les présidents qui ont fait modifier la Constitution acceptent toujours les « appels incessants et pressants du peuple » qu’ils ne sauraient décevoir. Paul Biya peut-il faire la différence ?

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