Barack Obama et le piège racial

 

L’affaire Gates-Crowley, déchaîne une tempête médiatique en passe de se transformer en psychanalyse collective sommaire. Crédits photo : AP

Il y a dix jours, devant l’Association nationale pour le progrès des gens de couleur NAACP, qui fit tant pour les droits civiques des minorités en Amérique, Barack Obama appelait la communauté noire à vaincre ses peurs pour sortir du ghetto social où elle reste enfermée.

Un discours que n’auraient pas renié ses adversaires républicains. «Votre destinée est entre vos mains, pas d’excuses !» a-t-il dit, reprenant la philosophie développée au Ghana pour appeler les Africains à ne pas se draper dans le poids de l’héritage colonial pour fuir leurs responsabilités. La présence à la Maison-Blanche d’un métis ne démontrait-elle pas que l’Amérique vit dans un monde qui n’est plus déterminé par la couleur de la peau ?

Jugeant que les discriminations «existent toujours», mais qu’«elles sont plus liées à un héritage structure » qu’aux préjugés raciaux, Barack Obama voulait dire, peut-être un peu hâtivement, sa conviction de l’avènement d’une «ère postraciale» dont il est le symbole.

Mais au même moment éclatait l’affaire Gates-Crowley, dé chaî nant une tempête médiatique en passe de se transformer en psychanalyse collective sommaire.

Henry Louis Gates, un éminent professeur de l’Université de Harvard, noir et spécialiste de l’histoire afro-américaine qui revenait de Chine, s’est retrouvé bloqué sur le palier de sa jolie maison de Cambridge, parce que la clé patinait dans la serrure. Il a décidé d’enfoncer la porte avec l’aide de son chauffeur de taxi, mais une vieille dame a demandé à sa voisine d’appeler la police, craignant un cambriolage.

Choc des races ou choc d’égo ?

Arrivé sur les lieux, l’officier de police James Crowley a demandé au professeur de s’identifier, suscitant la colère de ce dernier, qui a fini par obtempérer non sans accuser son interlocuteur de le soupçonner parce qu’il était un «homme noir en Amérique». «Vous ne savez pas à qui vous avez à faire», aurait-il lancé, sur les nerfs. L’officier de police – qui a alors menotté et emmené le professeur pour «trouble à l’ordre public», charge abandonnée depuis – a-t-il agi ainsi parce que Gates était noir comme celui-ci l’affirme, parlant de «discrimination raciale» ? Ou a-t-il fait preuve d’un zèle plus qu’excessif parce que le ton condescendant de son interlocuteur l’exaspérait ? Sommes-nous face à un choc de races ou un choc d’ego ? Les deux ?

La réponse, loin d’être claire, suscite un débat acharné sur tout ce que l’Amérique compte de télévisions et de blogs. Ad nauseam. Comme si plus rien d’autre n’existait sur l’écran radar des médias.

Le mot hâtif et sans doute malheureux de Barack Obama jugeant «stupide» la réaction de l’officier de police, qui serait pourtant connu pour son doigté dans les affaires raciales sensibles, n’a rien arrangé. Dans le camp républicain, les adversaires du président se sont dressés comme un seul homme pour dénoncer son parti pris supposément anti-Blancs et anti- forces de l’ordre.

Un acte de naissance en bonne et due forme ?

«C’est un raciste, qui se voit en redresseur social des torts…», tempêtait mardi matin l’intellectuel Glen Beck sur Fox News. Barack Obama devrait se garder d’une approche trop stéréotypée sur la police, a renchéri l’ancien officier du FBI, Steven Rogers. Dans le camp conservateur à l’affût, les soupçons fusent. C’est d’ailleurs dans ce même réservoir idéologique blanc sur la défensive qu’a récemment fleuri l’idée selon laquelle Barack Obama, né à Hawaï, n’aurait pas un certificat de naissance en bonne et due forme et ne pourrait donc être président des États-Unis…

En soutenant Gates, qu’il connaît bien, Barack Obama a touché à  «cette intersection puissante de la classe et de la race» qui a transformé Sarah Palin «en objet de culte» de la classe ouvrière blanche exaspérée par l’élitisme politiquement correct de la côte est et ouest, avertit l’éditorialiste Edward Luce, du Financial Times.

Le verre de la réconciliation

Flairant le danger, alors qu’il tente de concentrer ses efforts sur le dossier majeur de la réforme de la santé, Barack Obama a décidé de réunir le professeur Gates et le sergent Crowley à la Maison-Blanche demain autour d’une bière, histoire de noyer la polé mique.

Le nouveau locataire de la Maison-Blanche est bien placé pour savoir que la réalité raciale et la manière dont elle est perçue continuent de diviser en profondeur la société américaine, représentant un piège politique potentiel. Selon un sondage de l’Institut Rasmussen, trois électeurs noirs sur quatre pensent que la police traite de manière injuste les Noirs. Seulement un Blanc sur cinq est d’accord. «Nous avons fait un gros travail pour améliorer l’approche de la police vis-à-vis des minorités, a confié à USA Today le chef de la police de Los Angeles Wilson Bratton. Mais on n’a pas besoin de triturer longtemps la cicatrice pour ouvrir la plaie.»

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