Election au Gabon : quel sera le choix de la France ?

Le discours de François Mitterrand lors de la conférence de la Baule de juin 1990 devait marquer un tournant décisif dans la relation privilégiée entre la France et ses anciennes colonies et protectorats africains. Dix-neuf ans plus tard, le tournant a fait place à la rupture, mais la réalité est d’une implacable continuité.

Il ne fallait certes pas attendre de la France qu’elle sacrifie ses intérêts stratégiques sur l’autel du respect de la démocratie et de l’état de droit, en particulier sur un continent où se jouent aujourd’hui une partie de la sécurité d’approvisionnement en matières premières des grandes puissances de demain et une des batailles trop souvent oubliées de la guerre contre le terrorisme islamiste. Néanmoins, on aurait pu espérer davantage de la « patrie des droits de l’Homme » que ces éternelles postures sans lendemain.

Pour un acte fondateur de la diplomatie française

Après le faux-pas du discours de Dakar de juillet 2007, les opinions publiques africaines ne sont plus en quête d’une énième allocution solennelle d’un président de la République française sur les relations franco-africaines. Elles espèrent, sans vraiment y croire, assister à un acte qui serait fondateur d’une nouvelle diplomatie française au sud du Sahara. A quelques jours de l’élection présidentielle du 30 août au Gabon, certains rêvent de voir un tel acte posé à cette occasion.

Il ne fait l’ombre d’un doute qu’il appartient en premier lieu aux Gabonais de prendre en main leur destin. Cependant, en cas de contestation des résultats proclamés, quelle sera l’attitude de Paris ? La France reconnaîtra-t-elle un scrutin tronqué comme ce fut le cas pour l’élection présidentielle d’avril 2005 au Togo ou exigera-t-elle un respect scrupuleux des standards internationaux comme lors de la récente consultation iranienne ?

Des réponses à ces questions dépend peut-être l’avenir du Gabon et d’autres pays d’Afrique francophone dont les échéances électorales se profilent à l’horizon (Côte d’Ivoire et Togo en particulier). Mais c’est peut-être également l’avenir de la France dans ce qui fut son pré-carré qui est aujourd’hui en jeu dans son ancienne colonie modèle.

La France est face à une alternative claire en ce qui concerne sa politique africaine : soit elle cautionne de manière ouverte ou détournée les passages en force de dirigeants ou de clans afin de préserver temporairement ses acquis mais au risque d’être définitivement reniée par ceux qui étaient il y a moins de cinquante ans ses sujets, soit elle soutient sans ambiguïté l’aspiration au changement des peuples africains au nom de principes démocratiques en acceptant l’éventualité d’être supplantée sur le continent noir par d’autres puissances moins regardantes en la matière.

Contenir les rivaux ou attirer les talents ?

Une vision à court terme privilégierait vraisemblablement la première option sachant que Paris s’est ouvertement engagé à contenir la poussée de ses nouveaux rivaux Chinois et Indiens en Afrique. Mais une grande nation ne saurait s’apprécier uniquement à l’aune de sa richesse économique ou de sa puissance militaire, elle se juge également à sa capacité de rayonnement et d’attraction des forces vives du reste du monde. Et malheureusement, la France n’attire plus.

Les jeunes francophones d’Afrique sub-saharienne ne rêvent plus de la Sorbonne ou du CNRS, mais d’universités et de centres de recherche nord-américains ou asiatiques. Les restrictions à la délivrance des visas et les faibles perspectives d’ascension sociale dans l’Hexagone y sont sûrement pour beaucoup, mais il ne faut pas occulter les répercussions au sein des sociétés civiles du soutien de la France à des régimes abhorrés par leurs peuples. La realpolitik se paie un jour ou l’autre dans les cœurs de ceux qui en ont été les victimes collatérales. Et plus que les cœurs, elle peut se payer dans les consciences des futures classes dirigeantes comme aujourd’hui au Rwanda.

Une vision à plus long terme favoriserait probablement la deuxième option. En effet, la marche vers des systèmes de gouvernement plus soucieux de l’expression des peuples est, à l’échelle de l’Histoire, inévitable. Les nations qui auront fait le choix aujourd’hui d’être aux côtés des peuples auront assurément plus de chance demain d’être des partenaires stratégiques des nouveaux Etats à orientation démocratique. Les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas hésité à faire ce choix par cynisme ou fatalisme à d’autres époques et dans d’autres régions du monde où leurs intérêts stratégiques étaient en jeu à l’instar de l’Indonésie en 1998. Pourquoi la France n’en ferait-elle pas autant ?

De surcroît, l’argument selon lequel la France pourrait perdre son poids économique en Afrique en raison de prises de position pro-démocratiques n’en est de toute évidence pas un. La part de la France dans les échanges africains ne cesse de décroître depuis le début de la décennie. Et la raison en est simple : l’émergence irrésistible de nouvelles puissances industrielles avides de ressources naturelles indispensables à leur développement et de nouveaux débouchés pour leurs exportations. Il ne s’agit donc pas du remplacement d’un rentier par autre, mais d’une concurrence accrue à l’échelle planétaire et singulièrement en Afrique. Le respect de principes démocratiques n’est qu’un des facteurs de différenciation parmi tant d’autres dans cette compétition que se livrent les grands acteurs économiques mondiaux sur le continent africain.

A moins que la France ne choisisse une troisième voie, celle des postures sans lendemain qui ménagent les uns sans froisser les autres. Mais à force de jouer à ce jeu d’équilibriste, la France risque de perdre définitivement son emprise sur sa dernière zone influence dans le monde.

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