Quand Robert Bourgi, le «M. Afrique» de l’Elysée, ne tient pas sa langue

C’est une éminence de moins en moins grise. Qualifié jusqu’ici de conseiller occulte du président Nicolas Sarkozy pour les questions africaines, l’avocat Robert Bourgi multiplie désormais les interventions à visage découvert dans les médias. Lundi matin, il était sur RTL. La veille, on l’avait vu sur Canal+. Ces dernières semaines, Libération et Le Monde ont dressé son portrait. Considéré comme le dernier des gardiens de la «Françafrique», cet homme rond et caustique, très proche de Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, semble avoir décidé à quitter l’ombre pour la lumière. Au risque de se brûler?

Le 29 août, à la veille du scrutin présidentiel au Gabon,cet avocat franco-libanais, né au Sénégal, affirme dans Le Monde qu’il soutient Ali Bongo, le fils du président décédé en juin dernier, et précise, pour ceux qui n’auraient pas bien compris, il rappelle qu’il est un ami «très écouté» de Nicolas Sarkozy.

Jeudi 3 septembre, les résultats tombent à Libreville: Ali Bongo, pourtant honni par une partie importante de la population gabonaise, est officiellement élu avec un peu plus de 41% des voix. Aussitôt, des incidents éclatent à Libreville, mais aussi à Port-Gentil, la capitale économique, où ils se sont poursuivis jusqu’à ces derniers jours. Les émeutiers, proches de l’opposition, s’en prennent à la France, en incendiant le consulat à Port-Gentil, et des stations Total, la compagnie pétrolière qui exploite le pétrole gabonais depuis l’indépendance. A Paris, Bernard Kouchner martèle que la France n’a pas de candidat, et qu’elle n’est intervenue d’aucune manière dans ce scrutin… Ce que Nicolas Sarkozy avait déjà dit lors des funérailles d’Omar Bongo, le 16 juin dernier, à Libreville, où il avait été accueilli par des huées. Car l’entrevue accordée en juin 2008, à l’Elysée, par le président français à Ali Bongo, alors ministre de la Défense, mais déjà considéré comme le dauphin du régime, n’est pas passée inaperçue au Gabon, où elle a été considérée – à tort ou à raison – comme une forme d’adoubement par l’ancien tuteur colonial.

Sur RTL, lundi matin, Robert Bourgi était visiblement en service commandé: il s’agissait, pour lui, de s’aligner sur la position officielle de la France – celle exprimée ces derniers jours par Bernard Kouchner. Mais l’avocat n’a pas pu s’empêcher de se pousser du col, en racontant ce qui ne devrait pas filtrer: les échanges informels entre deux présidents. Il explique ainsi par le menu comment Omar Bongo a demandé, début 2008, la tête de l’éphémère secrétaire d’Etat à la coopération, Jean-Marie Bockel (aujourd’hui secrétaire d’Etat à la défense, chargé des anciens combattants), coupable d’avoir demandé publiquement la fin de la Françafrique.

«Je suis allé voir le Président de la République à l’Elysée en présence de M. Guéant et je lui ai passé le message ferme et voilé de menaces du Président Bongo. Et il m’a dit: écoute, dis à Omar (comme il l’appelle) et aux autres Chefs d’Etat que M. Bockel partira bientôt et sera remplacé par un de mes amis, un ami de M. Guéant. Il m’a donné le nom en me demandant de le garder pour moi. Et il m’a dit aussi (c’est important): ce nouveau ministre prendra ton attache, ne sois pas étonné et quelque part, tu l’initieras à l’Afrique.»

Ces confidences témoignent du fait que Sarkozy avait, vraisemblablement, prévu de muter Bockel, que son ministre de tutelle, Bernard Kouchner, supportait difficilement, avant le coup de sang de Bongo, même si le message du «doyen» des chefs d’Etat africains a dû accélérer son départ de la rue Monsieur. Mais une autre confidence retient l’attention: Robert Bourgi évoque un «message ferme et voilé de menances du président Bongo», sans s’appesantir sur leur nature.

Depuis la publication des livres de François-Xavier Verschave (La Françafrique et Noir silence, éditions Les Arènes), à la fin des années 90, la polémique n’a jamais cessé sur les liens souvent incestueux entre la France et les dirigeants de ses anciennes colonies, notamment sur d’éventuels soutiens financiers apportés à la classe politique française par feu le président Bongo, évoqués encore récemment par Valéry Giscard d’Estaing. Est-ce à cela que fait allusion Robert Bourgi? C’est plus que probable.

Une chose est sûre: son intervention, de moins en moins discrète, dans les relations entre certains pays instables du continent (Mauritanie, Madagascar, Gabon) et Paris brouille singulièrement la ligne diplomatique française:alors que les conseillers chargés officiellement de la politique africaine de la France à l’Elysée militent pour une rénovation de l’approche de Paris sur le continent, Bourgi fait de la politique à l’ancienne, fondée sur des liens personnels, comme le lui avait appris Jacques Foccart, l’ancienne éminence grise de de Gaulle. Mais faut-il incriminer le seul Robert Bourgi dans cette affaire? Sans l’aval du secrétaire général de l’Elysée, et donc du chef de l’Etat, il n’existerait pas.

 

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