Tentative de relance encore à transformer de l’ intégration régionale (ANALYSE)

“Ce sommet a consacré une évolution notable sur la distribution des postes, avec la remise en question du consensus de Fort-Lamy, et vers la règle de rotation géographique suivant l’ordre alphabétique, notamment au gouvernorat de la BEAC [Banque des Etats de l’Afrique centrale]”, a observé lundi à Xinhua le Dr Mathias Eric Owona Nguini, politologue camerounais enseignant à l’ Université de Yaoundé II à Soa.

Réunis dans la capitale centrafricaine de vendredi à dimanche soir, en présence des observateurs du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), les dirigeants de la sous- région ont porté à la tête de la banque centrale (basée à Yaoundé) pour 5 ans l’Equato-guinéen Lucas Abaga Nchama, en remplacement du Gabonais Philibert Andzembe, nommé en juillet 2007.

A la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale ( BDEAC), implantée à Brazzaville au Congo, le Gabonais Michael Adande a succédé au Centrafricain Anicet Georges Dologuélé.

M. Andzembe et M. Dologuélé ont été respectivement relevés de leurs fonctions, y compris d’autres responsables de la BEAC et de la BDEAC. Les chefs d’Etat de la CEMAC ont annoncé des poursuites judiciaires à l’encontre de ceux qui, parmi eux, “sont convaincus de malversations”, allusion faite aux scandales financiers révélés en 2009 dans ces institutions. “Les chefs d’Etat ont également demandé des audits généralisés des institutions, organes et organismes spécialisés de la CEMAC”, a indiqué le directeur du Marché commun de la CEMAC, André Guy- Sinclair Tekpa, joint au téléphone à Bangui lundi après-midi par Xinhua.

Les règles de nomination à la BEAC avaient été définies en 1975 à Fort-Lamy au Tchad lors d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union douanière et douanière d’Afrique centrale (UDEAC), ancêtre de la CEMAC. D’après elles, le poste de gouverneur de cette banque centrale revenait d’office au Gabon.

Cet accord a été respecté jusqu’à ce que, supportant mal d’être confinée à jouer les seconds rôles aux côtés des cinq autres pays de la région (Cameroun, Congo, Gabon, RCA et Tchad), la Guinée équatoriale, aujourd’hui troisième pays producteur de pétrole en Afrique après le Nigeria et l’Angola, ait exigé au cours des dernières années une réforme des institutions sous-régionales.

“Nous vivons une nouvelle époque qui se caractérise par une remise en cause de l’acquis communautaire, ce qu’on a appelé le consensus de Fort-Lamy qui a été à l’origine de la distribution des postes par pays”, a remarqué le Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebodé, géostratège, chef du Centre de recherches et d’études politiques et stratégiques de l’Université de Yaoundé II.

“Cette remise en cause signifie une montée en puissance de la Guinée équatoriale qui a demandé depuis trois ans une réforme en profondeur des textes de la CEMAC. L’on peut considérer qu’avec le sommet de Bangui, c’est l’aboutissement de cette réforme avec une satisfaction générale de la Guinée équatoriale”, a-t-il ajouté.

Selon lui, cette évolution, consécutive à la disparition du seul père fondateur encore vivant du compromis de Fort-Lamy, en la personne de l’ex-chef d’Etat gabonais Omar Bongo Ondimba (décédé en juin 2009 après près de 42 ans de pouvoir), traduit “une volonté commune des pairs de la sous-région de reconnaître que la Guinée équatoriale mérite mieux que le parlement sous-régional”.

Au départ programmé fin novembre et reporté une première fois le 14 décembre, le sommet de Bangui comportait des enjeux cruciaux allant au-delà des problèmes de gestion de la BEAC et la BDEAC.

Le président centrafricain François Bozizé, hôte du sommet, et ses pairs étaient également attendus pour se prononcer sur le dossier de la future compagnie Air CEMAC prévue d’être lancée au cours du premier semestre de cette année.

Aux dernières nouvelles, le transporteur sud-africain South Africa Airways (SAA), désigné partenaire stratégique après le désistement du marocain Royal Air Maroc (RAM) puis du belge Sn Brussels, sollicitait une répartition du capital à 49% en sa faveur et 51% pour les Etats de la région, contre 40% et 60% comme décidé par les chefs d’Etat en janvier 2009 à Libreville au Gabon.

La décision des dirigeants de la CEMAC a simplement porté sur la désignation du siège de la compagnie : Brazzaville, la capitale du Congo où se trouve déjà le siège de la BDEAC, a été choisie pour l’abriter.

Le directeur du Marché commun de la CEMAC laisse entendre que c’ était une exigence de la SAA. Mais, les observateurs s’accordent à dire que cet acte ne symbolise guère une avancée dans ce processus.

“Si le principe d’Air CEMAC est confirmé, il faut encore attendre sa mise en oeuvre, notamment sa logistique d’exploitation, à savoir les infrastructures, le matériel navigant et le personnel. La géographie du capital n’est pas encore précisée et surtout, elle n’est pas définitivement établie”, a souligné le Dr. Owona Nguini.

“Je ne crois pas que la décision de créer une compagnie aérienne par les Etats d’une sous-région peut être fondée sur la désignation d’un siège. Si on nous avait dit qu’on a fini de constituer le capital en terme financier, mobilier et même humain, on aurait parlé d’une avancée substantielle et remarquable”, a pour sa part relevé le Pr Ntuda Ebodé.

Pour ce dernier, “tant que chaque pays a sa compagnie ou ne veut pas abandonner sa compagnie, on ne peut pas dire qu’il y a une volonté politique sous-régionale de voir Air CEMAC décoller. Parce qu’on sait que la plupart des pays de la sous-région ont des compagnies qui battent de l’aile”.

D’où la question : “Comment penser donc que le lancement d’Air CEMAC constitue pour eux une priorité alors même que les priorités nationales semblent être de relancer les compagnies nationales?”

Par exemple Camairco (au Cameroun), Air Gabon (au Gabon) et Toumaï Air Tchad (au Tchad).

Autre dossier sur lequel des retards persistent, c’est la libre circulation des personnes et des biens qui, depuis l’entrée en vigueur en juin 1999 du Traité de N’Djamena instituant la CEMAC, peine à se concrétiser à travers la mise en circulation du passeport communautaire renvoyée à fin mars.

Le délai initial avait fixé au 1er janvier dernier, suite à une décision des chefs d’Etat lors du sommet de Yaoundé en juin 2008.

Ce titre de voyage doit désormais intégrer des éléments biométriques, sur la base, d’une part, des exigences du Gabon et la Guinée équatoriale qui redoutent d’être envahis par les ressortissants des autres pays de la région et, d’autre part, des recommandations de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

“L’intégration communautaire en zone CEMAC, c’est l’histoire d’ un report permanent dans le futur de l’accélération décisive de ce mouvement. Cela montre que cette intégration demeure largement un slogan creux plus qu’une visée accessible ou une donnée effective”, a analysé le Dr. Owona Nguini.

Ce qui lui fait d’ailleurs dire que le sommet de Bangui “est un sommet à l’occasion duquel les chefs d’Etat de la CEMAC ont tenté de relancer le processus d’intégration régionale, mais sans qu’on soit pour autant assuré du suivi effectif de cette volonté de consolider et de renforcer cette dynamique”.

En d’autres termes, “on peut effectivement considérer que [ce rendez-vous] est une tentative de relancer l’intégration régionale, mais c’est un essai qui reste à transformer”.

Dans une analyse poussée, le Pr Ntuda Ebodé a affirmé qu’“avec le règlement pacifique du différend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria, une tergiversation qui n’en finit plus dans le processus d’intégration en Afrique centrale va faire basculer le Cameroun en Afrique de l’Ouest, zone où il se trouve déjà géographiquement en raison des intérêts qui le lient au golfe de Guinée, mais aussi de la nature bilingue même du pays qui se trouve entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest”.

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