La dernière proie de l’épervier

Déclenchée en 2006, l’opération « Épervier » de lutte contre la corruption continue de faire des ravages dans la classe politique et la haute administration. Dernière proie en date, Rémy Ze Meka, ancien ministre de la Défense. Un gros poisson, qui vient allonger la liste des corrompus présumés ou avérés. Près d’une vingtaine d’affaires, plus de 77 personnes impliquées et plus de 215 milliards de F CFA détournés.

Depuis le dernier récapitulatif, publié par Jeune Afrique en décembre dernier, se sont ajoutés à la liste des personnes interrogées Haman Adama, ancienne ministre de l’Éducation de base, Henri Engoulou, ancien ministre du Budget, Roger Ntongo Onguéné, ancien directeur général des Aéroports du Cameroun, Catherine Abena, secrétaire d’État chargée des Enseignements secondaires. Plusieurs de leurs collaborateurs ont aussi été inquiétés. On peut enfin mentionner les arrestations de l’avocate Lydienne Eyoum et de l’huissier de justice Célestin Baleng.

Avec Rémy Ze Meka, « Épervier » s’attaque à une prise d’importance. Jusqu’à son départ du gouvernement, le 30 juin 2009, après quatre ans et demi passés au poste de ministre de la Défense, il a été l’un des membres les plus redoutés et décriés de la galaxie Biya. Tombé en disgrâce, « Bad Boy » a été convoqué et entendu le 27 avril non par la police judiciaire, mais par les services de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), le contre-espionnage camerounais, basé à Yaoundé.

Mais qu’a donc fait le « Monsieur Sécurité » pour s’attirer les foudres du pouvoir ? Filtrant de l’enquête, des indiscrétions parlent d’un soupçon de détournement lors d’une commande de deux hélicoptères de combat de fabrication française, des Gazelle d’occasion, destinés à la lutte contre les pirates dans la zone de Bakassi. On ne retrouve nulle trace aujourd’hui de ces commandes, alors que le contrat a été remis en question et annulé par son successeur – et ennemi – au ministère de la Défense, Alain Edgar Mebe Ngo’o. L’argent ne serait jamais parvenu au fournisseur, selon une enquête menée par un ministre chargé de mission à la présidence de la République. Quoi qu’il en soit, l’achat aurait abouti que le scandale n’en aurait pas été moins retentissant car, selon une source, « les Gazelle ne tenaient plus que par la peinture ». Rattrapé par l’opération « Épervier », sur fond de lutte à mort entre clans rivaux, Ze Meka trouvera difficilement des alliés pour plaider sa cause.

Un « sécurocrate » susceptible

Physique de boxeur et caractère bien trempé, l’ancien ministre de la Défense s’est toujours soucié comme d’une guigne de sa popularité. Il voulait se construire une image de haut fonctionnaire rigoureux et consciencieux, il n’a réussi qu’à apparaître comme un « sécurocrate » susceptible, brutal et détesté même par ses collègues du gouvernement. Alors qu’il n’est encore que secrétaire général des services du Premier ministre Simon Achidi Achu, entre 1992 et 1997, il agace déjà prodigieusement le gotha, qui l’accuse de décider à la place du chef du gouvernement. Paul Biya tranche et renvoie le butor de Zoétélé ronger son frein dans son énorme villa blanche du quartier d’Essos, à Yaoundé.

Après trois ans à manger son pain noir, revoilà « Bad Boy », énergique et revanchard, nommé à la tête de la gendarmerie camerounaise le 18 mars 2000 comme secrétaire d’État à la Défense (SED). Appelé à travailler avec son ministre de tutelle, Amadou Ali, l’actuel garde des Sceaux alors chargé de la Défense, il ne va pas s’en faire un ami. En 2001, en conclusion d’une enquête ordonnée par Paul Biya à la suite de l’explosion d’une soute à munitions du quartier général, le secrétaire d’État attribue la responsabilité du forfait au… ministre de la Défense, qui sera finalement blanchi par le chef de l’État. La thèse de l’accident semble avoir convaincu Biya, l’affaire est classée. Paradoxalement maintenu à son poste, Ze Meka gagne ses galons de « gardien » du régime redouté pour ses méthodes expéditives.

Promu chef du département de la Défense en 2004, au grand soulagement des gendarmes ravis de se débarrasser de sa tutelle écrasante, il va embarrasser une fois de plus le palais d’Etoudi : en octobre 2007, sur la fois d’une rumeur – et les conseils du général français Raymond Germanos, alors conseiller militaire de Paul Biya –, l’impulsif Ze Meka fait arrêter 23 officiers supérieurs, officiers et sous-officiers camerounais, et les retient sans jugement dans des cachots au ministère de la Défense. Les militaires ne seront libérés qu’en avril 2008, sur ordre du chef de l’État, après une grève de la faim.

Prompt à prêcher l’ordre et la justice, le haut commis « consciencieux et rigoureux » est pourtant cité dans plusieurs affaires. La première concerne l’achat pour 800 millions de F CFA d’un immeuble de 12 étages à Douala, appartenant aux Assurances Mutuelles agricoles du Cameroun (Amacam), en liquidation, par une société immobilière qu’il contrôle. Son passage à la tête du ministère de la Défense a été jalonné de nombreuses affaires. La tuerie survenue le 12 novembre 2007 de 21 militaires camerounais à Bakassi a suscité des soupçons de trafic d’armes et de carburant au sein de l’armée camerounaise. De même, le casse de la ville balnéaire de Limbé le 29 octobre 2008 par des assaillants jusqu’à présent non identifiés est souvent imputé à des éléments incontrôlés de forces armées. Lors d’une communication maladroite, le ministre laisse entendre qu’il savait qu’une opération d’envergure se tramait contre une ville de la côte. Pourtant, les hommes armés ont mis trois heures à piller les banques de la ville sans que les forces armées, pourtant cantonnées à quelques encablures de Limbe, interviennent.

Guerre de leadership

Désormais dans le collimateur de l’opération « Épervier », l’ancien ministre compte ses amis. La plupart se préoccupent de leur propre sort. Le général Raymond Germanos, avec lequel il travaillait étroitement, a récemment été condamné en France dans une affaire de mœurs et serait désormais indésirable au Palais. Également dans le viseur des juges, Yves Michel Fotso, ancien directeur général de Cameroon Airlines et fils de l’industriel Victor Fotso, ne volera pas non plus à son secours. Fragilisé par son affaire, Ze Meka peut-il encore se prévaloir de son amitié avec le patron de la police Emmanuel Edou, qui a tout à perdre à le garder parmi ses proches ? Ou avec les hommes d’affaires – tels que le Français Michel Fargeon –, dont il aimait la compagnie, mais qui ne souhaitent pas voir leur nom mêlé de près ou de loin à des « affaires » ?

En revanche, ses nombreux ennemis se réjouissent déjà. Ils se recrutent parmi les généraux, qui n’ont jamais apprécié les ministres à poigne, et ont encore vu d’un moins bon œil cet homme cassant manier le code de procédure militaire pour sanctionner à tour de bras. Soulagé aussi le journaliste Jacques Blaise Mvié, que le très susceptible « Bad Boy » a fait condamner par contumace à cinq ans d’emprisonnement ferme par un tribunal militaire pour un délit de presse présumé… Mais ceux dont Ze Meka se méfie le plus sont ressortissants de Zoétélé, une petite commune située à 120 km au sud de Yaoundé, dont lui-même est originaire. Une hallucinante guerre de leadership oppose les « frères ennemis » de Zoétélé depuis que Paul Biya a nommé au sein d’un même gouvernement, constitué en 2004, Polycarpe Abah Abah (Économie et Finances), Alain Edgar Mebe Ngo’o (Police) et Ze Meka (SED). À ceux-là s’est ajouté Martin Belinga Eboutou, un temps conseiller spécial passé directeur du cabinet civil à la présidence de la République. Polycarpe Abah Abah est déjà tombé sur le champ de bataille. Arrêté en 2008, il fait face à ses juges. Mebe Ngo’o est passé à la Défense et s’emploie à détricoter les réseaux de Ze Meka, qui pourrait bien partager le même sort qu’Abah Abah lorsque les enquêteurs auront livré leur conclusion. Le microclimat de Zoétélé, avec ses clans rivaux qui s’affrontent sur fond de lutte contre la corruption, est cruel avec ceux qui ont perdu la confiance du chef. Peut-être sont-ils tout simplement les victimes d’une guerre pour la succession qui n’est pourtant pas encore ouverte à la tête de l’État.

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