Germaine Ahidjo: Ce qu’elle a vu et entendu. Ses rapports avec Jeanne Irène Biya

L’ex première dame du Cameroun était au premier plan le 1er janvier 1960. Ce qu’elle a vu et entendu. Ses rapports avec Jeanne Irène Biya. Son avis sur Chantal Biya. Le rôle de la France dans la démission de son mari. Son silence sur le conflit Biya-Eboua et Biya- Ayissi-Mvondo… Entretien réalisé à Dakar le 18 mai dernier

Le 20 mai c’est demain la fête de l’unité nationale et clou des festivités marquant les cinquante ans de l’indépendance du Cameroun. Alors vous avez prévu quelque chose ?
Rien, je resterai chez moi avec mes enfants qui vont peut-être regarder la télé camerounaise mais moi je ne regarderai même pas ?

Racontez-nous le 1er janvier 1960.
Déjà deux semaines avant, nous avions rencontré le Haut Commissaire français qui occupait le palais où nous devrions nous installer. Etant donné que nous attendions des leaders africains comme Ould Dada de la Mauritanie, François Tombalbaye du Tchad, Léopold Sedar Senghor du Sénégal ou Léon Mba du Gabon, le Secrétaire général des Nations Unies. On s’inquiétait de là où on devait les loger et comment les recevoir pour le déjeuner au palais. Alors le monsieur avait  promis qu’il laissera tout y compris le personnel à son départ ; mais lorsque nous avons pris la maison une semaine plus tard il n’y avait même pas une cuillère ; nous avons trouvé Rosalie, la blanchisseuse, assise sur une seule chaise, et pas plus. Donc, à une semaine de la date de l’indépendance, il fallait tout faire, peindre la maison, loger les invités, et trouver une solution pour le déjeuner de midi au palais.

Alors ?
Eh bien on a trouvé des chambres dans les hôtels, rares à l’époque, et puis pour le déjeuner on a fait appel à un service traiteur pour tout .

Que s’est-il passé la veille ?
Déjà le 31 Décembre,  le soir dans la cour du palais, les Français ont chanté la marseillaise ; on a baissé le drapeau français, remis au premier ministre Ahmadou Ahidjo, qui l’a donné au Haut commissaire français, qui l’a ensuite confié au ministre de l’Outre-mer. Il faut dire que la veille on a tiré 21 coups de canon, et en même temps des bruits de coup de feu étaient entendus, on les attribués aux gens de l’Upc .

Racontez nous la journée du  1er janvier ?
Le 1er janvier les invités et mon mari se sont rendus à la place des fêtes. Je ne devais  pas y être, mon mari et moi nous nous étions mis d’accord. Après son départ du palais, des rumeurs couraient sur l’attaque de la place des fêtes par l’Upc ; alors j’ai abandonné le travail de supervision du déjeuner pour suivre mon mari,  je me suis dit : « autant qu’on nous tue à deux». Donc, ce jour là, il y avait une sorte d’émotion, de joie, mêlée  d’inquiétude et de crainte .

Vous n’aviez pas peur ?
Bien sûr que oui. D’ailleurs, mon mari était fâché, ; il m’a reproché d’avoir abandonné les enfants , notre fille d’un an et mon fils de trois ans pour le suivre à la place des fêtes où je m’étais installée à la place réservée aux épouses des personnalités ; il était là, devant, à me regarder , surpris.

Comment s’est déroulé le déjeuner ?
Très bien.

Qu’est ce que votre mari a mangé ?
Je ne sais plus moi non plus d’ailleurs ! je ne sais même plus si j’avais mangé, on avait tout confié à un service traiteur qui avait choisi le menu, et tout le monde avait  mangé la même chose.

Comment les personnalités étaient-elles disposées, qui était à côté de votre mari ?
Je ne me souviens plus. Vous allez très loin dans les détails !  Je ne me souviens plus, mais il y avait des tables de quatre ou six, et moi j’étais à la même table que mon époux… Je me souviens que ce jour là quelqu’un a cassé un verre blanc et une voix a dit : « c’est pour un garçon avant la fin de l’année »,  et j’ai fait notre deuxième fille le 25 décembre 1960. Mais il faut dire qu’à la soirée ce jour là au Cercle municipal, l’atmosphère était tendue car le spectre des troubles par l’Upc planait toujours.

Comment s’est déroulé les célébrations dans le reste du pays?

Le 3 janvier, Ahidjo s’est rendu a Garoua pour la fête de l’indépendance, tout s’est bien passé, la veille il était a Douala sans moi. A Douala, des femmes ont défilé en scandant le nom de Um Nyobe, mais mon mari est resté calme.

C’était donc un homme plutôt flegme, certains disent dur. Comment est –il parvenu à vous passer l’alliance?
(rires) On s’est côtoyés puis fréquentés pendant dix ans avant de nous marier. En fait, j’étais élève à Douala et lui,  à 23 ans, était receveur de poste à Garoua, parallèlement avec ses activités politiques. Je suis allée en vacances là bas et, un jour,  un certain monsieur Sanda Oumarou, un postier, me dit que le receveur a un télégramme pour moi ; Je suis allée le récupérer et cela s’est mal passé.

Ah bon ?
Mon télégramme était ouvert ;  il le lisait. Et il s’est même mis à me faire la morale ; il m’a dit : «vous les collégiennes-là, c’est ce qu’on vous apprend a l’école?»

Que disait le télégramme?
Juste bienvenue.

Et où était donc le problème ? Il venait d’un admirateur ?
Disons oui ; et voilà j’étais fâchée mais, ensuite, on se voyait parfois chez des amis communs pour écouter la musique, du Tino Rossi ; c’était populaire !

Qu’est ce qui vous attirait chez lui au juste ?
Il lisait beaucoup, et moi aussi. Et on s’échangeait parfois les livres. Je suis allée après en France pour mes études d’infirmière ; je me suis mariée et j’ai  fait un fils ; cela a duré quelques mois

Et le prince charmant, amoureux de l’ombre  est venu vous chercher !
(Eclats de rire) En quelque sorte. Mais avant,  il me transmettait des salutations et des signes par ses amis politiques. Il m’avait toujours dit en plaisantant: «je vais t’épouser». Mais moi je le croyais.

Le coup de foudre alors ?

Il m’aimait, et je le savais. Nous avons partagé du bonheur jusqu’à ce qu’il me quitte. Sa mort m’a traumatisée. C’est pourquoi j’ai déménagé. Il était présent, il avait une maladie du téléphone, chaque fois qu’il quittait la maison, il appelait toujours pour prendre des nouvelles ; un jour à Dakar, au salon d’honneur de l’aéroport, il m’appelle pour me dire qu’il est bien arrivé, et le président Senghor de lui  demander s’il ne pouvait pas attendre d’arriver à l’hôtel pour le faire !  En trente ans de mariage, nous nous ne sommes jamais disputés, ni devant les enfants, ni devant les employés ; c’était notre règle de vie.

Vous avez donc eu droit a de nombreux cadeaux?
Oui. Mais jamais en rapport avec la Saint-Valentin ou des anniversaires. En tant que musulman, il n’en tenait pas compte.  Une fois quant même,  pour les dix ans de l’indépendance du Cameroun, il m’a offert une montre en diamant que Mme Ould Dada avait commenté auprès de son mari. Je vais vous raconter : «un 17 août,  je lui demande quel jour on est ; il me dit un 17 août ; et lorsque je le regarde, il me fait : « ah ! le jour de notre mariage » ;  et c’était tout.

Une autre preuve d’amour, c’est peut être d’être resté monogame. Pour un musulman de son époque…
Avant moi, il a eu un fils avec sa cousine, et moi aussi j’en avais un de ma précédente union. Écoute,  je vois ce que vous voulez dire ; si jamais il avait eu des maitresses, c’est qu’il était très discret ! De ce côté  là, croyez-moi, je n’ai pas du tout souffert. Un homme à femme, ça se sait !

De vos nombreux amis de l’époque, lesquels vous sont  fidèles ?
Oh ! ils sont presque tous morts. De tou, il reste M. Emile Zinsou qui me téléphone toujours et qui est allé voir Biya pour le retour de la dépouille de mon mari chez lui sans m’en informer ; il espérait le raccompagner.

Et la défunte Jeanne Irène Biya ?
Oh non ! Je ne l’ai pas revue après le départ de mon mari.  Ce n’était pas une amie, mais nous étions proches parce que nous faisions le même métier, et elle me parlait souvent de ses problèmes personnels.

Et avec les amis politiques français ?
La France est toujours du côté des gens qui ont le pouvoir. Quand on a condamné mon mari par contumace pour une affaire montée de toute pièces d’envoi de tireur d’élite, alors qu’il s’agissait d’un de nos deux aides de camp parti au Cameroun  en août 1983 chercher sa femme enceinte, c’est le «monsieur Afrique » de l’Elysée qui nous appelle, alors que nous étions en Tunisie, pour annoncer la condamnation. Je crois que toute cette situation est due à un manque de dialogue entre mon mari et Biya, qui aurait dû l’appeler même lorsqu’il y a eu des fausses affaires de coup d’état, pour lui demander, avant d’organiser la cabale contre lui.

Quels sont vos rapports avec les anciens barons de l’Union nationale camerounaise, l’ancien parti unique ?
Aucun, et je ne le souhaite pas. La politique m’a tellement fait souffrir, mes enfants aussi.

On a parlé des conflits Biya-Eboua et Biya- Ayissi Mvondo pour la succession de votre mari ? Ces noms vous rappellent quoi ?
Je ne pense rien de Biya, et je ne connaissais pas bien Ayissi Mvondo. Mon mari m’avait toujours parlé de Samuel Eboua comme d’un homme intègre, et il est resté fidèle. Lui, ne m’aurait pas traitée comme ça, j’en suis sûre. Je vis tant de cabale depuis que mon mari a démissionné volontairement au profit de Biya. J’avais beaucoup d’estime pour Samuel Eboua qui est venu me saluer après le départ de mon mari.

Volontairement ? La France est pourtant  soupçonnée  d’avoir contraint votre époux à démissionner ?
Trois mois avant sa démission, il m’en avait informé avec obligation de silence. Je l’ai encouragé, parce qu’il était vraiment malade ;  il avait des insomnies, des pertes de mémoire dues à une très grande fatigue, qui pouvaient l’amener à prendre n’importe quelle décision ; et je ne voulais pas le perdre. Le jour de sa démission, des ministres pleuraient et le suppliaient de prendre un an de congé et revenir; il a refusé

Et comment a réagi la France ?

II m’a dit que Mitterrand lui a tenu ces propos : «Vous ne m’avez pas prévenu, Monsieur le Président ». Et il lui a répondu : « Je dois d’abord informer mes compatriotes qui m’ont élu »  Car mon mari était un grand patriote, qui souffrait de la situation du Cameroun.

Pourquoi a-t-il donc choisi Paul Biya à la place de Samuel Eboua qu’il avait, dites-vous, en très grande estime ?

Je ne sais pas. Demandez au bon Dieu

Quel rôle la France a-t-elle joué dans le choix bien que constitutionnel de Paul Biya ?
Il ne m’en en a jamais parlé.

Le président repose au Sénégal? Autrement, il aurait été où ?
C’est presque moi qui avais choisi le Sénégal où je venais souvent avec les enfants. J’avais aimé, voilà. Mais on serait peut-être allé au Nigeria, mais il était trop proche du Cameroun. Ou, à défaut, au Mali

Qu’est ce que vous pensez de l’actuelle première dame  du Cameroun ?
39 ans ?  Je n’en reviens pas, elle n’a même pas l’âge de ma dernière fille!

Ce jeudi, c’est l’apothéose de la fête des 50ans du Cameroun ? Pour qui aurez-vous une pensée ?
Tous mes papiers camerounais, mes droits légaux en tant que ex première dame, y compris ceux de mes enfants, nous ont été retirés. Mes enfants et moi utilisons des passeports diplomatiques sénégalais, peu importe, mais j’exige la réhabilitation officielle et retour  de mon mari dans son pays, avec honneur et dignité ? Si je décède, mes enfants décideront, parce que je ne suis pas le patrimoine du Cameroun.  Et ce n’est pas le cas de mon mari.

Prpos recueillis par Awa Cisse Fall  
Quotidien le jour | Africa News Network © 2010.

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