Présidentielle 2011 : Elecam plante le décor de la fraude

Deux semaines avant le scrutin, les listes électorales, pas toujours disponibles, sont truffées de noms d’électeurs inscrits deux ou trois fois. Des militaires champions des doubles et triples inscriptions. Pendant que des camps militaires, tel celui de la Garde présidentielle à Melen, sont érigés en centres électoraux géants. Le spectre de la fraude et de l’impréparation plane.

Au fur et à mesure qu’approche la date du 9 octobre 2011, des inquiétudes se font jour sur la capacité de Elections Cameroon (Elecam) à être à la hauteur de l’organisation de l’élection présidentielle prévue ce jour là. La principale inquiétude est liée aux opérations de distribution des cartes électorales. « En cas de renouvellement des cartes ou de nouvelles inscriptions sur les listes électorales, dit la loi fixant les conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la République, la distribution des cartes a lieu dans les vingt-cinq (25) jours précédant la tenue du scrutin ». Or, jusqu’à ce dimanche 25 septembre 2011, soit quatorze (14) jours avant la prochaine présidentielle, cette distribution n’a pas encore commencé à Yaoundé, le siège des institutions. Difficile d’imaginer qu’il en soit autrement dans l’arrière-pays.

En fin de semaine dernière, Elecam avait pourtant laissé croire que le processus était enclenché. Par un communiqué de presse lu à la Crtv, l’opinion publique était alertée que les listes électorales étaient déjà affichées. Ce communiqué invitait d’ailleurs les électeurs à consulter les listes électorales dans les locaux des démembrements communaux de Elections Cameroon. Et vendredi dernier, 23 septembre 201, les locaux d’Elecam dans le sixième arrondissement de Yaoundé, en contrebas du Secrétariat d’Etat à la Défense à Yaoundé au quartier Lac, étaient pris d’assaut. Mais si certains usagers repartaient des lieux, ravis d’avoir identifié leur nom sur la liste électorale et de pouvoir jouir de leur droit d’électeur le moment venu, d’autres y ont perdu du temps en vain.

L’indisponibilité des pans entiers de cette liste électorale a semé la panique et la nervosité. Tout comme le fait pour les responsables de Elecam à Yaoundé VI d’afficher une partie de la liste sur les murs, pendant qu’une autre partie devait être consultée en tas, sur des tables placées à l’intérieur du bâtiment. Créant de fait un joyeux embouteillage. Un électeur du nom de Bodiong ne retrouvait pas le morceau de la liste où devrait figurer son nom. Ni sur les murs, ni sur les tables. Si le début de la liste était consultable sans problème, cette dernière était interrompue sur le feuillet portant l’électeur N°7863 (Bekambi Mouen Gerard Blaise). La suite était introuvable, même si les noms commençant par certaines lettres suivantes (M et L par exemple) étaient consultables sur une liste affichée dans un bureau voisin.

Triples inscriptions

Interpellée devant la situation, une dame enceinte, en service au bureau Elecam de Yaoundé VI expliquait que la suite de la liste est « en cours d’impression ». Elle conseillait aux usagers désemparés comme M. Bodiong de repasser. Ou de faire, sur une même feuille, la copie de leur carte d’identité et de leur récépissé d’inscription, avec mention de leurs coordonnées téléphoniques pour pouvoir être renseignés par les soins d’Elecam lorsque les choses rentreraient dans l’ordre. « Si vous n’avez reçu aucun coup de fil à deux jours du scrutin, revenez nous voir avec votre carte d’électeur et on vous dira dans quel bureau de vote vous êtes inscrits », ajoutait-elle. Bien entendu, la distribution des cartes électorales n’était pas encore à l’ordre du jour. « Elles seront disponibles dès la semaine prochaine », renseignait la future maman. Qui montrait des signes d’agacement lorsqu’on lui indiquait que cette façon de procéder était de nature à créer le désordre…

La consultation des listes affichées fait voir de nombreuses anomalies. Alors que la loi régissant l’élection du président de la République dit que « Nul ne peut être inscrit sur plus d’une liste électorale ou plusieurs fois sur la même liste » (Art. 38 nouveau, al.4), les doubles et triples inscriptions sont nombreuses et visibles sans que l’observateur curieux ait besoin d’efforts particuliers… Ce qui laisse planer le spectre d’une fraude organisée. Sur le tout premier feuillet de la liste comprenant 30 noms, les nommés A’owono Namenou Gilles J. et Aba Dieudonné Bertin apparaissent deux fois de suite, respectivement avec la 9ème et 10ème puis la 16ème et 17ème inscriptions. Au début de cette liste des noms commençant par « A » toujours, Abdou Jules, Abdou Jean Jacques, Addoul Aziz Bouba, Abdoulaï Baba, Abe Belinga, Abada Abada Agnès, Abade Enome Justin, Abah Eric Pierre, Abah Essengue Sabine, Abina Abona Clément et Abina Patrick Simonet s’offrent aussi chacun deux inscriptions de suite, avec les mêmes parents mais, parfois, avec des numéros de cartes d’identité distincts.

Abena Abessolo Eloi, Afane Nsolo M., Andong Martin Paul et Lima Serge, ce dernier déniché de façon hasardeuse plus loin, réussissent pour leur part chacun l’exploit d’avoir trois inscriptions sur la même liste. Inscriptions N°s 512, 513 et 514 pour M. Abena Abessolo ; N°s 29.682, 29.683 et 29.684 pour M. Lima ; N°s 3775 à 3777 pour Andong Martin Paul et N°s 1649 à 1651 pour Afane Nsolo. Tous les quatre, cités ici à titre d’exemples, sont des hommes en tenue… Tout comme la plupart de ceux dont les noms apparaissent deux fois. Ils sont soit « gendarme », mais surtout « militaire », comme cela apparaît sur la liste électorale, bien que les multiples inscriptions ne soient pas l’apanage des seuls hommes en tenue.

Camps militaires

Autre constat qui s’impose à la lecture des listes électorales, les camps militaires abriteront des bureaux de vote. Ainsi que cela apparaît déjà sur le morceau de la liste électorale disponible, l’enceinte de la Garde présidentielle (Gp) à Melen-Obili et la Camp Yeyap de la gendarmerie, tous les deux situés dans le périmètre du sixième arrondissement de Yaoundé, ont été érigés en centres électoraux, c’est-à-dire qu’ils abriteront en principe plusieurs bureaux de vote. Le Camp Yeyap tout seul sera le siège d’au moins onze (11) bureaux de vote, l’auteur de ces lignes ayant dénombré des bureaux de vote de « Camp Yeyap A » à « Camp Yeyap K » uniquement sur la partie de la liste affichée à l’extérieur du bâtiment. Pareil pour le camp de la Garde présidentielle qui abritera au moins dix-sept (17) bureaux de vote. De « GP A » à « GP Q ». Soit environ 4.000 et 7000 électeurs attendus respectivement, si chaque bureau de vote comptait une moyenne de 400 électeurs.

Par ailleurs, avec sa triple inscription, et si les correctifs ne sont pas apportés à la liste électorale, Eloi Abena Abessolo pourra voter dans les bureaux A, C et D de la Gp. Et son compère Serge Lima dans les bureaux B, F et H au sein du même camp militaire. Idem pour Martin Paul Andong qui est attendu dans les bureaux J, K et L. Pour leur part, le militaire Justin Abade Enome votera à la GP et au Camp Yeyap et le gendarme Eric Pierre Abah (Cni n°103597216 et Cni n°109047077) pourra le faire dans les bureaux A et H du Camp Yeyap. Qui pourra empêcher un tel vote multiple des hommes en tenue dans les camps militaires ?

L’Article 77 nouveau, al.4 de la loi électorale dispose bien que « tout bureau de vote doit se situer dans un lieu public ou ouvert au public ». La Direction générale des Elections a-t-elle tenu compte du caractère stratégique, voire secret pour le public, des camps militaires où les accès sont toujours scrupuleusement contrôlés pour les juger malgré tout « ouverts au public » ? En tout cas vendredi dernier, un usager du bureau d’Elecam à Yaoundé VI, surpris par le constat voulait se laisser convaincre que « c’est certainement parce que les forces de l’ordre seront d’alerte que des dispositions ont été prises pour leur permettre de voter dans l’enceinte des camps militaires ». Mais une meilleure observation de la situation invalide l’hypothèse. Non seulement des civils sont appelés à voter dans ces camps militaires (cas de M. Andeng Zeh G. et de Mme Atango Mélanie, respectivement étudiant et élève), mais des lieux publics tels les écoles et collèges ne manquent pas dans le voisinage pour abriter des bureaux de vote…

Sérénité à Elecam

La situation ainsi décrite est-elle identique sur l’ensemble des arrondissements que compte la ville de Yaoundé et dans le reste du pays ? L’auteur de ces lignes n’a pas pu faire le constat. Mais dans les bureaux de Elecam à Yaoundé III où il s’est rendu le samedi après-midi, il n’y avait pas encore de trace de liste électorale. Dans le bâtiment situé à cinquante mètres de la route, non loin du lieu dit Efoulan-pont, un inspecteur de police de 2ème grade et plusieurs élèves-gendarmes en faction, armes en bandoulières, conseillaient invariablement aux usagers de repasser voir à partir de lundi. « Les listes, précisaient-ils, sont en cours d’impression en même temps que les cartes d’électeur ».

Vendredi dernier, au siège de la Direction générale des Elections au quartier Bastos, cette situation ne semblait pas perturber la sérénité des responsables. Impossible pour le reporter d’avoir le chiffre définitif des électeurs inscrits sur l’ensemble du territoire alors que l’affichage des listes a déjà commencé. « Le travail se poursuit sur les listes », nous signale le responsable de la Communication. Il explique qu’au moment de démarrer ses activités, Elecam avait reçu en héritage du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, un fichier électoral comprenant cinq millions soixante sept mille (5.067.000) inscrits. Ce fichier, ajoute-il, a été toiletté et débarrassé des doublons et des morts enregistrés au niveau de l’Etat-civil. Il a été ramené à 4,8 millions d’inscrits. Le 26 août 2011, date du dernier pointage effectué avant la convocation du corps électoral, la Direction générale d’Elecam dénombrait plus de 7 millions d’électeurs, compte tenu des nouvelles inscriptions. Quand saura-t-on alors le chiffre définitif des électeurs inscrits ?

Christophe Bobiokono
http://christophe.bobiokono.over-blog.com/

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