Bernard B Dadié: «Penser la France»

Le Siècle des Lumières n’avait pas brillé deux ans. Le Siècle des Ténèbres, en enfantent de nouveaux et aussi sombres, celles de la Colonisation

A. Anselin, le Refus de l’esclavitude

«L’assassinat du chef de l’Etat libyen, grâce à l’intervention de l’armée française, est une honte pour la France. Les bombardements sur les populations civiles en Libye comme l’intervention scandaleuse des troupes françaises en Côte d’Ivoire… marquent la participation à une véritable entreprise criminelle d’Etat», déclarent les clubs . Salut des Nègres, des bois d’ébène, à ces Clubs qui sortent la France de l’Histoire de celle des affaires qui, depuis la fin de la guerre des libérations, n’a laissé personne dormir. Du temps du «Vieux», les bêtes domestiques votaient à 99,99% comme l’exigeait Paris, et bientôt, avec la participation des bêtes sauvages, sur ordre de Paris, le résultat des votes sera 200%. Tel que cela se murmure en ville militarisée.

Bernard B. Dadié

Du temps du «Vieux», peu de portes s’ouvraient à partir de 20 heures, de nos jours aucune porte ne s’ouvre parce que les habitants se «planquent» sous les lits. Et les médias de Paris ne cessent de parler du bonheur des sujets français, qui, travaillèrent à  Saint-Domingue, devenaient travailleurs et chair à canon en Afrique. Pour s’être opposé à un recrutement excessif, le Blanc français gouverneur général des colonies rejoignit le front et fut tué. Le conflit commençait et ils furent nombreux, les Français, les Blancs, qui défendirent le frère Noir et perdirent la vie. Albert Londres, Van Vollenhoven, John Brown…

La République votée à une voix de majorité ne saurait être exportée et encore moins chez des bois d’ébène colonisés, soumis, exploités. Penser la France dont on parle toujours. L’esclave enchainé a une arme, sa bouche pour parler, hurler, dénoncer et le vrai esclave n’est-ce pas le propriétaire qui a toujours peur d’une évasion, d’une révolte ? Situation qu’ont vécue des négriers lors des traversées. Révolte qui donna naissance à Haïti et à d’autres villes ou à des quartiers dans les villes des Blancs. Mac Gee, le Noir est mort exécuté. Ceux du Sud saluent la nouvelle par des «Hourras joyeux» (J. Howlelt). Nul ne saurait arracher la Liberté à un peuple, et dans un peuple, nous aurons toujours des Andrée Viollis, des Victor Augagneur, des Schoelcher et leurs compagnons de lutte pour le respect de l’autre. Et il arrive toujours que des bandits s’entretuent.

Combien sont-ils ces héros qui incendient des pays ? Et dorment en paix ? Un pays comprend les villages et les cimetières, les vivants et les morts ; qui, à jamais  maitrisera les morts dans une révolte ? Le styx. Les anciens faisaient passer le styx, et chez nous, le fleuve et nous donnons encore de nos jours ce qu’il faut au partant pour passer le fleuve. N’est-ce pas la preuve que nous sommes tous des voyageurs ? Etre-vous sûrs d’avoir raison de nous tuer toujours pour votre grand festin ? De tout incendier sur votre passage ? Le peuple vous écoute et vous regarde et le sang innocent versé ne cessera de vous parler, qui que vous soyez, où que vous êtes. Des vérités de chez nous, des peuples de la forêt aux multiples langages.

Un chant, un certain vol d’oiseau n’empêche-t-il pas un voyage ? «Carnages, les guerres secrètes des grandes Puissances en Afrique» de Pierre Péan. En Afrique, chez les peuples de race inférieure où les femmes accouchent à neuf mois au lieu des 30 mois habituels chez les races supérieures. «Il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un Droit vis-à-vis des races inférieures… je soutiens que les Nations européennes s’acquittent avec largesse, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de civilisation» à dit Jules Ferry en 1884. «C’est très douteux», lui répond Georges Clemenceau, «Penser la France !». «Pour connaître toute la vérité sur les nombreux sujets que j’aborde dans ce livre, il faudra attendre l’ouverture, dans de très nombreuses années, des archives de la CIA, du M16, du Mossad et de la DGSE», dit Pean.

Et nous voilà pris dans les Rets, livrés à la barbarie des Civilisés. Dans la nuit nous avons crié notre détresse, pas une voix n’a répondu

L. S. Senghor

Notre horizon reste fermé parce que Président et Gérants des colonies se trouvent tous à l’Elysée où l’on peut parler de scandale de Panama, de piastres, mais jamais des Nègres. «Pour porter les barils de ciment de cent trois kilos», «les Batignolles» n’avaient pour tout matériel qu’un bâton et la tête de deux Nègres». «Les règles sont posées, il faut les respecter, un monde de maîtres gaulois et de mercenaires ayant pris d’assaut le navire Afrique et des officiers voyant leur rêve colonial brisé ont failli renverser la République qui sert de paravent dans la grande conquête. «La présence des troupes françaises en Afrique est anormale» (J. P. Cot).

Les créateurs du Syndicat agricole africain qui donna naissance au PDCI et plus tard au RDA, parlaient de Liberté et non de soumission servile, de dialogue entre Blancs et Noirs et non de perpétuation de l’esclavage. Aucun de ces acteurs n’était sorti d’une école en Occident, et ils disaient à leurs enfants, en les mettant à l’école, « partez et revenez nous sauver… et non partez et revenez nous revendre». Qui sont-ils ceux qui nous vendent ?

Et combien sont-ils ces enfants qui peuvent revendre père et mère ? En 1939-1945, la guerre était pour nous une guerre de libération. On parla de scandales des salaires des militaires, mais jamais des salaires des fonctionnaires, ces mendiants qui la fin du mois prennent d’assaut les banques pour pouvoir tenir. C’est St Domingue en Afrique avec des descendants des corsaires de l’histoire. Ivoiriens, c’est encore et toujours Thiaroye que nous vivons. Après la guerre 1914-1918, nous eûmes des communes au Sénégal et après la guerre de 1939-1945, pour avoir parlé d’argent, de paiement, la guerre contre nous a commencé à Thiaroye au Sénégal et les ravages s’étendent. Des maîtres assoiffés de sang ne sont-ils pas plus barbares que nous ? Race supérieure ? Prestige et affaires.

Est-il étonnant que le sort d’un Président élu par des indigènes soit réglé à Linas-Marcoussis, dans une Banlieue, pour mieux souligner le mépris qu’on peut avoir pour des Nègres raisonneurs parlant de Dignité à des conquérants entourés de forbans. Aux armes : affamées. Williams, Damet, Samba, Ebony, Adam Camille, Boka, Foté Memel, Ladji le fidèle compagnon et d’autres. D’autres, des centaines d’anonymes et des Blancs, eux, furent chassés. Regardez, Messieurs, il y a du sang sur ces décorations, et chaque coup de fusil ou de canon, chaque explosion de bombes ont fait trembler des Nègres dans leur tombe de Paris et Département. Certes, vous n’étiez pas nés et les tombes de ces tirailleurs ne sont pas des monuments à visiter à des heures perdues.

Des avions égyptiens sont cloués au sol par des chasseurs anglais et français. Des avions sont détournés pour récupérer des passagers invités à un congrès, des actes de prouesse que Paris ne cessera de méditer en nous parlant de nos dettes. Naitre dans les dettes, croupir dans des dettes et crever dans des dettes. N’est-ce pas une honte que de transmettre des dettes en héritage à des descendants ? Et leurs pleurs ne sont-ils pas des pleurs de réprobation ?

Tapis rouges, musique, rires, joie d’accueillir un hôte de marque venant des lointaines terres africaines. Accouru pour faire allégeance à Paris. Et poursuivre la vieille politique de fermiers généraux, de quotataires, de l’empire des 2è bureaux et toujours parler de Nantes la ville aux milliers d’embarcations pour Nègres. «La lutte pour le pouvoir, c’est la lutte pour la richesse, la lutte pour la richesse, c’est la lutte pour le pouvoir». Mais doit-on donner le pouvoir à des Nègres ?

Ayant fait la grève de la faim qui provoqua la grève des achats, nos épouses marchèrent pour nous sauver. Elles paient encore cette audace, soumises à des violations de domiciles et à des pillages. Ces femmes qui ont subi des insultes des autorités et méprisées soignent leurs plaies depuis des années n’en ont même plus les moyens aujourd’hui. Paris, dans sa fraternité avec les colonies sorties des ténèbres, joua le grand jeu en honneur de ses amis ; il nous donna trois jours et trois nuits de folie, de sang et larmes. Démonstration cruelle de forces piaffant d’impatience pour fondre sur des Nègres qui parlent d’Egalité. Avions et troupes prirent la ville en otage. Le palais assiégé, le Président Gbagbo et les compagnons furent faits prisonniers et emportés en toute Liberté.

« Dieu aime les Noirs », Serge Bilé. En quoi divergeraient-ils des autres créatures humaines ? Ne sont-ils pas seulement complices de leurs assassins par une méconnaissance de l’histoire ? Le pays ? Le mât de cocagne où l’on se bat pour atteindre le sommet et y rester pour plaire au maître et amasser des milliards à déposer dans des banques en garantie de loyautés. 2011 Paris, que penses-tu de ces nouvelles terreurs contre des Nègres ? «Un Blanc lui tira dans le dos», Vieille habitude du temps du racolage.

Le regretté Désiré Tagro

Tagro, « on a tiré sur moi ». En toute Liberté. Des Nègres en service aux ordres de Paris. Tagro attend assassins et instigateurs. N’a-t-il pas été dit : «Tu ne tueras point» ? Ils sont des milliers qui sont morts, des morts anonymes dans le sang desquels viendront des milliards d’euros pour l’asservissement des Noirs qui parlent d’égalité des
hommes.
Esope, Pouchkine, Toussaint Louverture, Lumumba, Ben Bella, Sekou Touré, Gbagbo et ses compagnons que Paris vient de faire entrer dans l’histoire glorieuse des martyrs. 1914-1918, «Bouna, des hommes, des vieillards, des enfants, des femmes, se laissent griller et enfumer dans des cases pour refus d’enrôlement». «La France n’est pas seule». Il y a l’Empire. Paris et ses légionnaires pressés de remporter la victoire ; colonne Leclerc. Eboué, Jean Moulin. Pour la réconciliation, on avait fermé les portes des archives, et les Noirs avaient tout mis dans un coin de mémoire.

2002, Gbagbo, Président, affronte le pouvoir de Paris et fait ce que jamais ne fit un Président noir : refuser que notre pays soit un cimetière où danseraient des hommes et des femmes qui enverraient les enfants mendier quelques rires de vie. «Frères et amis», unissez-vous et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez l’arbre de l’esclavage. Je suis Toussaint, «m’arrêter arbitrairement, sans m’écouter et sans me dire pourquoi, s’emparer de tous mes biens, piller toute ma famille, saisir mes papiers, les garder, m’embarquer sur un navire, m’envoyer nu comme un verre de terre, répandre les mensonges les plus calomnieux à mon égard, et après tout cela, me précipiter dans les profondeurs d’un cachot : n’est-ce pas comme couper la jambe de quelqu’un et lui dire «Marche» ? N’est-ce pas comme couper sa langue et lui dire « Parle », n’est-ce pas enterrer un homme vivant» ? Je suis Toussaint Louverture d’Haïti. J’ai entendu parler du Président Gbagbo et de ses compagnons. Club «Penser la France», merci pour votre présence dans l’enfer créé et veillé par Paris et les siens. Qu’ils sachent une vieille sentence ordonne : Travail pour être utile.

Sois utile pour être aimé, Sois aimé pour être heureux…

Les fantassins et les bruits des bombes font fuir le bonheur qui a horreur du sang. Le bateau se nomma Le Héros et la prison Fort de Joux. Toujours à la recherche de trésor. 1802, Toussaint et Bonaparte ! Il laisse mourir Toussaint.

2011, Gbagbo et tous ceux qui ne veulent pas voir sa tête. Louverture, de ton cachot du Jura, ordonne à tous les Bonaparte de retirer de nos rives de rêves, leurs vaisseaux et leurs avions de morts, et que soient ouverts les yeux et les oreilles de tous les Nègres armés, venus d’ici ou d’ailleurs qui dansent de joie dès qu’un de leur frère tombe.

Qu’ils écoutent le doux murmure de l’onde, la douce musique des oiseaux dans les arbres, et le zéphyr qui les caresse, c’est la vie qui passe et nous parle.

Bernard B. Dadié

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