Peine de mort: Les condamnations au Maroc ont augmenté selon Amnesty International


Nick Oxford / Reuters

"Il a été prouvé par des études que la peine de mort cultive la violence au sein des générations.”

 
RAPPORT – Plus de 95 personnes auraient été condamnées à mort au Maroc à fin 2017. Ce n'est pas un chiffre officiel, prévient Amnesty International dans une conférence de presse qu'elle a tenue, ce jeudi à Rabat, pour présenter son rapport annuel au titre de 2017 sur la peine de mort dans le monde. "Nous n'avons jamais eu de chiffres par écrit, mais uniquement par téléphone, malgré les écrits officiels que nous avons adressés au ministère de la Justice pour connaître ces données", a précisé le directeur général de l'organisation au Maroc, Mohamed Sektaoui.

Devant les médias, ce dernier a exposé les grandes lignes du rapport mondial, soulignant que malgré la nette progression de l'abolition de la peine de mort à travers le monde et surtout en Afrique subsaharienne, le Maroc se montre encore hésitant. "Où se dirige le Maroc qui compte parmi ses acquis l'Instance d'équité et de réconciliation (IER)?", s'est interrogé Mohamed Sektaoui.

"Il y a eu une seule condamnation à mort au Maroc en 2007, mais la tendance a évolué au fil des années pour totaliser, en 2017, 15 condamnations du genre", fait remarquer le directeur général, estimant que cette tendance est stimulée par des raisons politiques.

Les mouvements de protestations ayant secoué le Maroc, ces dernières années, ont eu une incidence, soutient Mohamed Sektaoui, pour qui les condamnations à mort se sont transformées en sanctions politiques. "La condamnation à mort est une épée de Damoclès tant que la législation ne l'a pas abolie. Car, aujourd'hui, s'il elle n'est pas pratiquée (depuis 1993), rien ne l'empêcherait dans la législation", explique-t-il.
Dans le couloir de la mort

Lors de la conférence, Amnesty International a invité un ancien condamné à mort, A.L., condamné à la peine capitale en 1984 pour des écrits jugés portant atteinte à la sécurité de l'Etat. Dans le couloir de la mort, il a traversé un calvaire de plus de dix ans avant d'en sortir suite à une grâce royale. Devant le pupitre, l'homme aux cheveux grisonnants et à la voix tremblante décrit "une relation avec la mort imminente".

"A chaque craquement de la porte, à chaque fois que j'entendais les pas d'un gardien, je me disais que mon tour était venu", confie-t-il. "Dans les cellules, nous vivions avec des rats et nous mangions des lentilles remplies de cailloux. Des détenus croyaient que j'avais été condamné pour meurtre en constatant les mauvais traitements que je subissais. Je leur répondais que je n'aurais jamais pu tuer même une mouche", raconte-t-il, comme s'il revivait de nouveau son cauchemar. "Ma condamnation a été commuée en perpétuité, après dix ans passés dans le couloir de la mort, puis j'ai été gracié. Je renaissais à nouveau", poursuit-il, précisant que Amnesty International l'a pris sous son aile et l'a soutenu.

"Amnesty International mobilise ses bénévoles à travers le monde en faveur des condamnés à mort en adressant des lettres écrites dans toutes les langues aux présidents d'Etats et ministres de la justice", indique Mohamed Sektaoui. Et de préciser que cette mobilisation ne s'oppose pas, toutefois, au fait que "si la culpabilité d'un crime est prouvée, la loi doit s'appliquer".

Le directeur général de l'organisation au Maroc tient à lever toute équivoque, rappelant qu'Amnesty International milite pour l'abolition de la peine de mort parce que cette condamnation ne résout pas le crime. "Il a été prouvé par des études que la peine de mort cultive la violence au sein des générations. La fusillade commise par un lycéen, récemment, aux Etats-Unis, où des condamnations à mort sont prononcées, le prouve amplement", ajoute-t-il.

Un mémorandum adressé à Saad-Eddine El Othmani

Des preuves irréfutables quant à la nécessité d'abolir la peine de mort, aux yeux de l'organisation qui exhorte de nouveau le Maroc à rejoindre les pays abolitionnistes. "Le Maroc a réintégré l'Union africaine (UA): verra-t-on un changement de son attitude à l'égard de la peine de mort et rejoindre les pays africains qui ont aboli ce châtiment?", se demande Amnesty International. Citant plus précisément l'Afrique subsaharienne, l'organisation se félicite des "avancées positives", indiquant que la Guinée est devenue le 20e État africain abolitionniste. "Le Kenya a supprimé le recours obligatoire à ce châtiment en cas de meurtre. Le Burkina Faso et le Tchad ont également pris des mesures pour le supprimer en adoptant de nouvelles lois ou en déposant des projets de loi en ce sens", précise l'ONG, qualifiant cette évolution de "lueur d'espoir".   

"Nous avons adressé, hier, au chef du gouvernement marocain, Saad-Eddine El Othmani, un mémorandum et si nous ne trouvons pas d'oreilles pour nous écouter, nous nous ferons entendre au son du tambour", prévient Mohamed Sektatoui. Constitué de cinq pages, le mémorandum, le deuxième du genre qu'adresse l'association au gouvernement marocain, porte l'intitulé de la campagne que mène l'association simultanément dans l'ensemble du Maghreb à l'occasion de la publication de son rapport annuel: "Choisissons le droit à la vie… Le socle de tous les droits".

Dans ce mémorandum, l'ONG appelle le gouvernement à prendre les mesures afin d'abolir définitivement la peine de mort en vue de "faire triompher les valeurs universelles en faveur du droit à la vie et se conformer à l'option africaine". Elle appelle ainsi le royaume "à voter en faveur du moratoire de l'ONU sur la peine de mort, en vigueur depuis plus d'une décennie, sans réserve aucune".

Amnesty International recommande également au Maroc, dans ce mémorandum, d'adopter un projet de loi visant l'abolition de la peine de mort dans la législation et la pratique, et le présenter au Parlement. 

Rappelant que plus de la moitié des pays du monde ont aboli la peine de mort, Amnesty International a dressé une liste des protocoles, décisions et déclarations adoptées par l'UA et ayant fait du droit à la vie une priorité. "Dans le cadre de la nouvelle constitution, il est temps de mettre fin à la peine de mort au Maroc", estime l'association.

Et pour se faire entendre, Amnesty International observe cette après-midi, à 17h, un sit-in devant le Parlement. Une démarche symbolique dont elle espère des échos favorables.

    Quelques chiffres

   

Amnesty international a recensé au moins 993 exécutions dans 23 pays en 2017, soit 4% de moins qu'en 2016 (où 1 032 exécutions avaient été enregistrées) et 39% de moins qu'en 2015 (année où l'organisation avait relevé le chiffre le plus élevé depuis 1989: 1 634 exécutions).

    La plupart des exécutions ont eu lieu, par ordre décroissant, en Chine, en Iran, en Arabie saoudite, en Irak et au Pakistan.

    Cette année encore, c'est en Chine qu'ont été exécutés le plus grand nombre de prisonniers. Toutefois, il s'avère impossible d'obtenir des chiffres précis sur l'application de la peine capitale dans le pays, ces données étant classées secret d'État. Aussi le chiffre d'au moins 993 personnes exécutées dans le monde n'inclut-il pas les milliers d'exécutions qui ont probablement eu lieu en Chine.

    Hormis la Chine, quatre pays seulement sont responsables de près de 84% des exécutions recensées: l'Iran, l'Arabie saoudite, l'Irak et le Pakistan.

    En 2017, à la connaissance d'Amnesty International, 23 pays ont procédé à des exécutions, comme en 2016. (source: Amnesty international).

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