Géostratégie : les grandes puissances encerclent l’Afrique. Pour son grand malheur !

Le Continent redevient de plus en plus ouvertement – après l’avoir été de manière quasi sibylline aux 19ème et 20ème siècles – le terrain de prédilection des jeux d’influence des puissances militaires du monde. De nombreux pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe de l’Est –à quelques exceptions près de ceux qui sont demeurés les ventres mous du développement socioéconomique- se montrant au fil des temps moins influençables que par le passé, du fait notamment du développement de leurs technologies militaires, la crainte est même grande que l’Afrique devienne sous peu le champ d’expérimentation desdites grandes nations qui ne rêvent plus que de montrer des biceps pour savoir qui est qui depuis que les Etats-Unis et la Russie, ainsi que leurs alliés respectifs, ont passé par pertes et profits les traités de non prolifération, pour se replonger énergiquement dans la course aux armements. 

C’est à croire qu’après l’avoir été d’une certaine manière pendant les deux grandes guerres, et par la suite pendant la guerre froide,  le continent “Berceau de l’Humanité” représente un enjeu (re)colonial pour toutes les puissances  militaires qui viennent y disputer le terrain aux anciens colonisateurs dont le souvenir des relations avec l’Afrique reste marqué par l’oppression et l’exploitation du temps de la colonisation, d’une part, et d’autre part, par leur condescendance et  la perpétuation de l’exploitation à travers divers mécanismes dits de coopération économique et/ou militaire.

Jusqu’à la fin des années 1990, la France, puissance occidentale moyenne dont la notoriété est en grande partie due au maintien des relations paternalistes avec l’Afrique, était la plus en vue en matière de possession d’avant-postes militaires  sur le continent, avec ses bases à Djibouti (où l’Hexagone dispose de son contingent le plus important en Afrique – officiellement 1700 hommes – avec pour mission de projeter en cas de besoin des forces   dans la sous-région, vers l’océan Indien ou le Moyen-Orient) et en Côte d’Ivoire où l’ancien 43ème Bataillon d’infanterie de marine (BIMA) renommée en 2002 Forces Françaises Licorne –officiellement 900 hommes- sert à la France de principale plateforme stratégique, opérationnelle et logistique sur la façade ouest-africaine. C’est cette base française qui a fait la majeure partie du travail de déstabilisation du régime de l’ancien président Laurent Gbagbo, en lieu et place des rebelles du duo Ouattara-Soro qui ne faisaient pas l’affaire face à l’armée régulière.

Hormis les deux principales Bases Opérationnelles Avancées de Djibouti et de Côte d’ivoire, la France dispose de bases militaires secondaires au Sénégal, au Gabon, au Niger, ainsi que dans des régions en terre africaine faisant partie de son territoire : la Réunion et Mayotte.


Armée française

Certaines missions militaires françaises en Afrique appelées “Opérations Extérieures » (Opex) dont la vocation est de contribuer à la sécurisation de certaines plateformes stratégiques (logistiques ou maritimes) où à la lutte contre le terrorisme, ont-elles aussi pris depuis les allures de bases militaires eu égard non seulement à leur renforcement en hommes et en matériel,  mais aussi à leur permanence alors qu’elles étaient au départ provisoires. Selon la Revue Survie, on pourrait à cet effet citer l’opération maritime Corymbe dans le Golfe de Guinée, l’opération antiterroriste Barkhane qui a remplacé en juillet 2013 », l’opération Sangaris en République Centrafricaine…

Depuis le début du 3ème millénaire, pourtant, la France qui reste la première force militaire étrangère en Afrique (elle est présente dans 11 pays avec quelque 6000 hommes), est rudement concurrencée sur le sol africain par d’autres puissances à l’envergure de plus en plus en plus grandissante.

Pour ainsi dire, il n’en est pas jusqu’à l’Inde et la Chine, puissances nucléaires jadis “Pays non-alignés” au même titre que de nombreux Etats africains ou asiatiques qui venaient alors d’accéder à la souveraineté internationale, qui  n’aient pas jeté leur dévolu sur des pays Africains devant abriter leurs bases militaires.

Chine et Inde en mode « tu me tiens, je te tiens »


Base chinoise à Djibouti

La Chine a par exemple choisi… Djibouti, en 2016, pour installer sa toute première base militaire à l’étranger.  En juillet 2017, Pékin a envoyé des militaires dans ce pays stratégique de la corne de l’Afrique   situé sur le détroit de Bab-el-Mandeb,   où transitent ses importations en hydrocarbures. La Chine ambitionne par ailleurs de dépasser en effectifs, à Djibouti seul, des puissances qui l’ont précédée sur le terrain des constructions des bases militaires en Afrique : D’ici à 2026, elle comptera pas moins de 10.000 hommes sur place,  et dépassera tous ses deux principaux concurrents réunis : France, Etats-Unis (deuxième puissance militaire étrangère présente en Afrique par le nombre d’hommes et de bases militaires installées au Gabon, au Ghana, en Ouganda, en Centrafrique, en République démocratique du Congo,  en Somalie, au Cameroun, au Kenya, au Seychelles et au Tchad), voire les autres puissances plus ou moins considérables qui s’aglutinent autour, à l’instar du Japon, de l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis…  

Alors qu’elle a déjà une station d’écoute à Madagascar (depuis 2007) pour observer les déplacements de navires et écouter les communications dans l’océan indien, l’Inde, principale rivale de la Chine, ne s’est pas laissé conter, elle qui a, début 2018, entrepris de construire une grande base militaire aux Seychelles pour faire face à l’influence grandissante de son puissant voisin dans l’océan Indien où se trouvent déjà la France, les Etats-Unis et le Japon.

Et maintenant, la Russie dans la danse

Moins visible mais pas moins déterminée à se tailler une bonne portion, la Russie, forte de son statut de 2ème puissance militaire du monde, pousse progressivement elle aussi ses pions  en terre africaine, après avoir échoué –au temps de l’URSS- à s’imposer militairement de façon pérenne en Afrique, y compris dans des pays qui prétendaient être socialistes, mais qui ne tardèrent pas à virer leur cuti pour bénéficier des subsides de l’occident plus alléchants.   Dans une récente publication de Mediapart, « En Afrique, de plus en plus d’armées étrangères avancent leurs pions », notre consœur Fanny Pigeaud relève « Cette réalité [qui] n’échappe pas aux citoyens africains », à savoir que « Les États du continent africain voient s’installer chez eux de plus en plus d’armées étrangères. Officiellement, elles sont là pour participer à la lutte contre le terrorisme. Mais elles cherchent aussi à protéger les intérêts géostratégiques et économiques de leur pays ». On apprend ainsi que « Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, la Russie vient de s’implanter militairement dans un pays africain : c’est elle qui assure, depuis quelques semaines, la sécurité de Faustin-Archange Touadéra, président de la République centrafricaine (RCA). Environ 200 instructeurs russes se sont aussi installés à Bangui pour former des éléments de l’armée centrafricaine au maniement d’armes livrées par Moscou, alors que plus de 80 % du territoire sont contrôlés par des groupes armés. »

Entre mobiles cachés et secret de polichinelle

Bien sûr, dans ce jeu de poker menteur aux allures de “pousses-toi que je m’y mette”, tout le monde cache son jeu, quoique sachant que personne n’est plus dupe. Invariablement, les nouvelles bases militaires qui prolifèrent en Afrique sur fond de dispositifs de neutralisation mutuelle entre grandes puissances, ou de guerre froide nouvelle version, ont pour objectifs selon leurs initiateurs, d’«effectuer des missions navales anti-piraterie », de «fournir l’assistance humanitaire» ou de «  faciliter la participation des troupes [de leurs pays] aux missions de maintien de la paix de l’ONU en Afrique», ou encore   de  « démanteler les réseaux de trafiquants d’êtres humains en Méditerranée », comme c’est le cas de l’Eunavfor, une opération militaire mise sur pied par l’Union européenne « au titre de la politique de sécurité et de défense commune pour lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée ».

Il semble pourtant que les forces africaines ont les ressources humaines et les moyens d’acquérir le matériel nécessaire pour faire face à tous les fléaux pour l’éradication desquels les puissances étrangères se portent volontaires pour les “compléter”, ou plutôt  les suppléer, s’il faut dire les choses telles qu’elles sont dans le fond. L’Algérie l’a prouvé dans les années 1990 dans la lutte contre l’intégrisme politico-islamique, et le Cameroun, à un degré moindre, avait un temps réussi à réduire dans sa région septentrionale la secte terroriste Boko Haram à sa portion congrue, avant de lâcher du lest suite à l’ouverture d’un autre front de guerre  (civile) à l’Ouest contre les séparatistes anglophones. Des exemples où les pays africains ont réussi à se tirer d’affaire sans avoir requis le soutien des puissances étrangères sont légion. Mais les ces pays sont si dépendants  de l’aide économique des pays riches et émergents qu’ils préfèrent sous-traiter leur sécurité et aliéner du même coup leur souveraineté pour des prébendes. Là est tout le problème de cette Afrique qui, si l’on n’y prend garde, se réveillera un matin « territoire occupé », pour le grand bonheur de ces amis venus d’ailleurs pour assurer sa sécurité.

L’histoire ne va-t-elle donc jamais cesser de se répéter ?!   

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