Cameroun− Pression américaine : Ce que risque désormais le Cameroun (Décryptage)

Après avoir privé le Cameroun des privilèges qui vont avec l’African Growth Opportunities Act (AGOA), les Etats-Unis d’Amérique se penchent à nouveau sur la crise humanitaire qui sécoue le Cameroun. Par la voix de Tibor Nagy, Haut Diplomate américain pour l’Afrique, Whashington explore désormais l’hypothèse d’un Cameroun avec une autonomie parfaite des régions anglophones ; en fustigeant les mesures d’apaisement prises jusque-là notamment avec le Grand dialogue National organisé en octobre à l’initiative de Paul Biya. L’idée de la tenue d’un second et vrai dialogue National a été réaffirmée mardi  par les officiels américains. Les attentes de l’Amérique n’ont jusque-là pas eu l’impact souhaité du côté de Yaoundé. Préoccupé par les violations des droits humains qui perdurent dans les régions du Nord-Ouest ET DU Sud-Ouest, devant la relative panne de solution et d’intérêt du régime en place pour des solutions durables, le pays de Donald Trump prendra-t-il des mesures fortes pour faire prévaloir sa solution ? Alvin ATEBA, spécialiste camerounais des relations internationales décrypte pour Cameroonvoice les aboutissants de crise naissante entre le Cameroun et les USA.

Cameroonvoice : Dans une récente sortie, Tibor Nagy, Haut Diplomate américain pour l’Afrique a appelé les autorités camerounaises à un transfert du pouvoir dans les régions anglophones. A quoi fait-il précisément allusion selon vous ?

Alvin ATEBA : Tout discours politique (et surtout diplomatique) a des implicites et des explicites. Après l’image que présente un fait politique, il faut chercher la réalité cachée à laquelle renvoie cette image. L’expression « transfert de pouvoir » est floue sur le plan sémantique, et pourrait renfermer les véritables intentions des autorités américaines autour du séparatisme actuel qui a cour au Cameroun, tout en entretenant le mythe pyromane qu’ils trainent derrière eux depuis la partition du Soudan le 9 juillet 2011. L’expression « transfert de pouvoir » en effet n’informe pas sur le type de transfert politique à faire : est-ce une décentralisation, un fédéralisme, ou une séparation au sens restrictif. Ce flou aurait pour effet stratégique de laisser croire que les Etats-Unis laissent aux acteurs concernées, et principalement les autorités, la latitude de structurer la résolution de la crise, et pourtant les américains et particulièrement Tibor Nagy, semblent politiquement vouloir donner leur sens à cette crise tant dans sa compréhension que sa résolution.

Cameroonvoice : Il a appelé à la tenue d’un vrai dialogue national. A votre avis pourquoi ce  désintérêt et ce scepticisme de Washington vis-à-vis de ces assises ?

Alvin ATEBA : Il faut ici se poser d’abord la question de savoir pourquoi Washington intervient ? Il y’a l’image d’un Washington qui veut la paix au Cameroun, ainsi que des avancées concrètes pour la démocratie et les droits de l’homme. Mais il y a aussi la réalité derrière cette image : celle d’un Washington au service de sa propre puissance, donc des intérêts américains dans le monde. L’analyse des conflits africains en général, révèle l’existence d’un ensemble d’enjeux stratégiques qui suscite dans les espaces l’intérêt de puissance des Etats-Unis. Entre l’image d’un dialogue national camerouno-camerounais, il y a la réalité d’un nécessaire dialogue étroit (officieux) qui puisse garantir la satisfaction de tous les acteurs endogènes et exogènes. Dialogue national oui, mais pas sans respect de l’agenda stratégique de Washington pour le Cameroun.

Cameroonvoice : Un autre dialogue national, est-ce de l’ordre du possible selon vous ?

Alvin ATEBA : Le dialogue national est un rituel républicain normal. Dans l’évolution d’une nation, comme cela a été le cas des grandes nations occidentales, on peut avoir autant de rencontres nationales que l’impose l’urgence de problématiques qui nécessitent une concertation nationale, avec pour objectifs nobles et républicains de rebâtir l’unité ou de la solidifier. 

Dans le principe, les acteurs intervenant dans un dialogue national, ont certes chacun son système de représentation sur la réalité qui divise, mais par un échange franc, avec pour ambition la conciliation, viennent tous au dialogue afin de trouver un consensus. Mais dans les faits, mieux l’expérience historique de l’Afrique, le regard sur les Etats africains depuis les indépendances et surtout depuis l’amorce du retour du multipartisme vers les années 1990, permet de voir que ces pays dépendent des grandes puissances, autant pour leurs économies que pour leur stabilité politique. Les conflits qui apparaissent ont pour enjeu affiché la défense de l’identité, mais pour intention profonde le contrôle du pouvoir politique et des ressources. Et ceci reste le point de départ du jeu des acteurs, et des différentes pathologies qui touche l’Etat en Afrique, partagé entre autoritarisme, pillages des ressources, revendications identitaires et violences armées. Cependant ces pathologies sont aussi entretenues très souvent par des forces exogènes mues par le contrôle des ressources, et la quête de la puissance globale, comme cela a été et reste le cas dans la zone des grands lacs. Le fait particulier là-bas est qu’on a vu des conflits se solder toujours par un dialogue, et non par les armes. Pour le cas du Cameroun, il pourrait avoir un autre dialogue national, mais pas nécessairement un dialogue contestataire ou niant celui qui vient de se tenir. Et comme dans tous les pays africains qui ont connu des guerres, le dialogue qui garantira une paix durable est celui qui intègrera officieusement les intérêts stratégiques des puissances globales dans les négociations. 

Cameroonvoice : Que faut-il pour la tenue d’un vrai dialogue ?

Alvin ATEBA : Tout dialogue doit pouvoir aboutir à une paix durable. Hors pour qu’il y ait espoir d’une paix durable, le dialogue national officiellement affiché doit pouvoir être l’aboutissement du dialogue officieux entre acteurs exogènes et endogènes ayant des intérêts au Cameroun. Hors, en dehors des acteurs endogènes camerounais, il y a des acteurs exogènes qui ont déjà commencé à s’activer : français, américains, russes, chinois, sans compter les suisses, anglais et italiens qui ont déjà des parts de marchés au Cameroun et ne compte pas les perdre.

Cameroonvoice : Cette sortie de Tibor Nagy n’est pas loin d’un avertissement. Que risque cette fois le Cameroun qui a déjà été privé de certains avantages commerciaux que concèdent les Etats-Unis ?

Alvin ATEBA : Les américains ne peuvent pour le moment agir que dans le cadre de leurs relations bilatérales avec le Cameroun, mais ce pourrait être une perte des parts de marché, pétroliers notamment, s’ils vont jusqu’aux bouts des restrictions de leurs relations commerciales : une aubaine pour la France ou pour la Chine. Déjà il faut signaler que pour l’AGOA, le Cameroun n’a pas pu épuiser plus de 30% sur les marges d’intérêts commerciaux que lui a concédé Washington, et a dans ses échanges internationaux plus de contraintes commerciales avec l’Union Européenne et particulièrement la France, qu’avec les Etats Unis. De plus, la présence chinoise a sérieusement étouffé le marché du numérique américain en Afrique, en facilitant aux populations l’accès à moindre coût aux nouvelles technologies. Il devient de plus en plus difficile de retrouver au quotidien des camerounais des produits américains. Et même leur culture se vent de moins en moins dans les familles au Cameroun, au profit de la culture afro présente et vendue par Canal+ sur le petit écran, et qui engrange beaucoup d’argent en termes de publicité pour des multinationales africaines comme le Groupe Dangote.

Cameroonvoice : L’Amérique s’est jusque-là contentée de discours et autres répressions. Que peut-elle faire si Yaoundé reste muet à ses doléances ?

Alvin ATEBA : Les plus grandes marges de manœuvre demeurent la pression diplomatique, l’usage d’une géopolitique de l’humiliation à l’endroit du régime de Yaoundé et de ses potentiels soutiens internationaux à l’instar de la Russie ou de la Chine.

Cameroonvoice : N’y a-t-il pas risque d’une intervention militaire ?

Alvin ATEBA : Le risque d’une intervention militaire au sens propre du terme est quasi nul pour les puissances occidentales, face à la désormais attitude russe pour les cas de la Lybie et de la Syrie sur la scène internationale. Mais ceci ne veut pas dire que le danger d’une escalade armée soit pour autant écarté, dans la mesure où les expériences militaires dans l’histoire relèvent le mercenariat, les missions commando et d’instructeurs auprès des rebellions comme formes d’entretien de l’instabilité militaire des régimes politiques par les grandes puissances, notamment dans le tiers monde.

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