Cameroun/Crises politiques : Les Eurodéputés saisissent le Haut Représentant de l’UE pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité

A posteriori, l’initiative laisse subodorer une nouvelle montée des tensions entre le parlement européen et le gouvernement camerounais.

Avant le conclave prévu ce mois entre l’Union Européenne et le Cameroun, le second vient d’être de nouveau mis à l’index par les membres du parlement européen pour son comportement peu orthodoxe en matière de protection des droits humains.

Les crimes commis aussi bien par les terroristes de la secte Boko Haram et les groupes armés sécessionnistes du Nord-ouest et du Sud-ouest sont également montrés du  doigt par les eurodéputés qui dénoncent les enlèvements et meurtres d’agents de la force de l’ordre, d’élèves -des milliers d’enfants anglophones en âge scolaire dont les parents n’ont pas les moyens d’assurer le quotidien hors de leur terroir, ne peuvent plus vaquer à leurs activités scolaires sans risquer leurs vies ou celles de leurs parents qui risquent alors d’y passer pour «trahison au profit de “l’oppresseur francophone”»-, sans oublier les fonctionnaires et autres repentis martyrisés par les sécessionnistes, qui sont autant de faits mettant les combattants ambazoniens eux aussi, dans le collimateur des eurodéputés

Ils sont une trentaine de parlementaires sans distinction d’obédiences, et tous originaires des pays membres de l’Union européenne, à avoir endossé la correspondance adressée  à Joseph Borrel, Haut Représentant pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité de l’organisation supranationale, au sujet du Cameroun, pays d’Afrique centrale bénéficiaire à plus d’un titre des aides multiformes de l’UE,  mais dont la situation sociopolitique particulièrement rouble donne l’impression d’un puits sans fond dans lequel serait jeté l’aide de l’Union.

A titre d’exemple, depuis quatre ans, soit depuis l’année du déclenchement de la crise anglophone qui s’est muée depuis en guerre civile particulièrement sanglante (faisant plus de 12.000 morts –officiellement- ou 30.000 morts, selon les ONGs de défense des droits humains, près d’un millions de déplacés internes et d’exilés), le Cameroun a reçu de l’UE 280 millions d’Euros (183, 671 milliards F.CFA) d’aide, soit une moyenne annuelle d’aide de 70 millions d’Euros, (45.917 milliards F.CFA). Pas de quoi rassurer le contribuable européen et ses représentants qui savent qu’à la guerre de sécession dans les régions anglophones, est venue s’ajouter une crise politique née de l’élection présidentielle de 2018, qui crispe complètement le pays, parce qu’empêchant ses citoyens de se mettre d’accord pour utiliser les ressources à leur disposition dans le but de construire le pays.

La préoccupation des parlementaires européens qui concerne prioritairement les violations massives et inadmissibles des droits de l’homme par les forces de défense et de sécurité commises par les autorités camerounaises, arrive d’autant plus à point nommé que les cas de violations inadmissibles des droits humains avec des atteintes à la vie carrément se sont multipliés au Cameroun depuis le début de l’année 2020, avec le massacre par l’armée –avec le concours de prétendus “sécessionnistes repentis”- de plus d’une trentaine de personnes dans un petit quartier dénommé Ngarbuh dans la région anglophone du Nord-ouest et d’autres faits tout aussi alarmants.

Des observateurs nationaux et internationaux pensent d’ailleurs que la situation a empiré depuis le précédent coup de semonce tiré l’année dernière par le parlement européen.

On se souvient qu’en avril 2019, le parlement européen avait déjà adopté une résolution sur le Cameroun, coupable selon de nombreux rapports, de crimes de sang dans les deux régions d’expression anglaise ou se déploie un vaste mouvement sécessionniste au début résiduel, et aujourd’hui à cause de la généralisation et du durcissement de la répression, de plus en plus suivi par les populations qui estiment qu’en plus d’avoir été longtemps négligées, insultées et martyrisées, sont tout simplement massacrées depuis trois ans sous le prétexte de la “lutte contre le terrorisme”.

Une situation à laquelle devait s’ajouter le traitement cruel, inhumain et dégradant infligé aux adversaires politiques du président Paul Biya sur lesquels la police a souvent tiré à bout portant (Célestin Djamen, Michèle Sonia Ndoki, Pierre-Gaétan Ngankam…) avant de les emprisonner  –parfois en tirant certains de leur lit d’hôpital- sous le couvert de la justice militaire, jusqu’à ce que le chef de l’Etat, gestionnaire souverain du droit des Camerounais d’être libres ou pas, décide d’ordonner la cessation des poursuites à leur encontre. C’est encore en 2019 qu’a été arrêté par la police  et assassiné en août par les militaires, le journaliste Samuel Wazizi, coupable d’avoir critiqué la gestion du soulèvement anglophone par les autorités. Ses assassins ont ensuite pris tout leur temps pour n’annoncer son décès au public que début juin courant, lançant ainsi implicitement à tous les journalistes qui se montrent critiques vis-à-vis du pouvoir ou des méthodes sauvages de l’armée, un avertissment sur le sort qui les attend.   

Ci-dessous, des extraits de la lettre des eurodéputés et les noms des signataires au Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité


« Comme vous le savez, depuis 2015, le Cameroun est en proie à plusieurs foyers de tensions politiques et sécuritaires simultanés allant des incursions de Boko Haram dans la région de l’extrême-Nord à l’instabilité avec la République Centrafricaine le long de la frontière orientale, en passant par la rébellion séparatiste dans les régions à majorité anglophone du nord-ouest et du sud-ouest ».

« De plus, les opérations menées par les forces de sécurité du pays ont trop souvent été émaillées d’abus et de violations des droits humains (exécutions extrajudiciaires, viols, violences contre des femmes et des enfants, destructions de biens, …). Les séparatistes armés sont également coupables de multiples abus (enlèvements, notamment d’écoliers et d’étudiants, d’assassinats de policiers, de magistrats et de membres des autorités locales, et d’actes de torture et de mutilations, …) ».

« Le gouvernement a tenté de prendre des initiatives pour apaiser les tensions telles que le « grand dialogue national » ou le « Presidential plan for reconstruction and Development (PPRD) » ou encore en annonçant la libération de 1500 prisonniers (hors prisonniers politiques) pour lutter contre la propagation du Covid-19 dans les prisons surpeuplées. Mais ces mesures sont soit trop limitées, soit ne sont pas totalement mises en application faute de moyens ou de volonté politique ».

« Par ailleurs, les autorités continuent de mener des actions à l’encontre des défenseurs des droits humains, notamment avec l’inculpation de dirigeants d’ONG tels que Mr. Penda Ekoka Christian pour avoir récolté des fonds pour lutter contre le Covid-19 ou l’écartement de Felix Agbor Nkongho, avocat des droits de l’Homme connu pour son action en faveur de la résolution pacifique de la crise anglophone ».

« L’invocation et l’application disproportionnées par le gouvernement de la loi martiale dans des nombreux cas restent également une grande source de préoccupation ».

« Trouver une solution pacifique et durable à la crise dans les régions anglophones et soutenir le pays dans des réformes démocratiques nous semblent être les priorités absolues de l’UE dans ses relations avec le Cameroun. L’Union européenne doit utiliser tous les leviers dont elle dispose pour amener le pays à améliorer la protection des droits humains, de ses défenseurs ainsi que des minorités dans un contexte qui reste tendu ».

« C’est la raison pour laquelle nous voulions nous assurer que le dialogue politique entre l’UE et le Cameroun initialement prévu en juin 2020 aurait bien lieu, et que toutes les préoccupations ci-dessus y seraient abordées. Enfin, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous informer des mesures que vous comptez prendre afin de soutenir une résolution pacifique du conflit basée sur l’approche du dialogue ».

LES SIGNATAIRES

Pina Picierno MEP S&D Italy – Isabel Carvalhais MEP S&D Portugal – Nikolaj Villumsen MEP Gue Denmark – Fulvio Martusciello MEP EPP Italy – Esther de Lange MEP EPP Ndls – Toussaint Marie MEP greens France – Pascal Durand MEP Renew France – Sidl Guenther MEP S&D Autriche – Vollath Bettina MEP S&D Autriche – Erik Marquardt MEP Green Allemagne – Soraya Rodriguez MEP Renew Spain – Ivan Štefanec MEP EPP Slovaquie – Javier Nart MEP Renew Espagne – Maria Walsh MEP EPP Irelande – Alex Agius Saliba MEP S&D Malte – Köster Dietmar MEP S&D Allemagne – Urtasun Ernest MEP Green Espagne – Heide Hannes MEP S&D Autriche – Izaskun Bilbao Barandica MEP Renew Espagne – Mounir Satouri MEP Rene – Strik Tineke MEP Green Ndls – Isabel Santos MEP S&D Portugal – Joachim Schuster MEP S&D Allemagne – Oetjen Jan-Christoph MEP Renew Allemagne – Melchior Karen MEP Renew Danemark – Pär Holmgren MEP Green, Suède – Jakop Dalunde MEP Green Suède – Maria Arena MEP S&D-BE – Alice Kuhnke MEP Green Suède

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