C’est inédit ! Hormis des cas de visite de courtoisie, le président de l’Assemblée Nationale du Cameroun n’a jamais reçu un ambassadeur en fin de séjour au Cameroun. Et en dehors des situations où le chef de l’Etat se trouverait hors du pays, le Premier ministre, quoique chef du gouvernement n’est pas celui qui accorde une audience à une personnalité du type du représentant en Afrique Centrale du Secrétaire Général de l’ONU. C’est pourtant ce qui s’est passé hier à Yaoundé, suscitant moult interrogations. Non point que les deux responsables camerounais manquent d’importance, mais parce que pour un pays où tout se fait « sur hautes instructions du chef de l’Etat », les responsables des Etats étrangers et organisations internationales n’ont pas grand-chose à faire avec les contorsions obséquieuses de ministrons qui ne peuvent pas respirer sans en avoir reçu “haute instruction” et préfèrent aller directement au chef de l’Etat.
En effet, dans le cours des épisodes très polémiques du feuilleton épique des annonces de son décès d’une part et des démentis y relatifs de l’autre, le président camerounais Paul Biya, était apparu était plus d’une fois en compagnie de l’Ambassadeur de France au Cameroun, puis du représentant du Secrétaire Général de l’ONU en Afrique centrale, le Guinéen François Lounceny Fall, sans oublier l’Ambassadeur de Corée du Sud en fin de séjour, dans des éléments audiovisuels diffusés sur les médias d’Etat –repris, il est vrai, par des médias privés- que ses détracteurs avaient qualifiées de montages vidéographiques mettant en scène des audiences fictives.
Les Camerounais allaient être rassurés sur l’existence de la vie de leur président quand celui-ci s’est mis à enchainer des audiences, notamment celle avec un émissaire de son homologue congolais Denis Sassou Nguesso venu savoir la position de Yaoundé relativement à une synergie des forces et moyens de lutte contre la pandémie de Coronavirus dans la sous-région.
Le clou a été la réception accordée à l’Ambassadeur des Etats-Unis, Peter Henry Barlerin, lui aussi en fin de séjour. Celui que l’on affublé du sobriquet de “bad boy” en raison de son penchant à dire les choses telles qu’elles sont, quitte à heurter le sérail, « ne peut pas faire partie d’une conspiration communicationnelle visant à faire avaler des couleuvres aux Camerounais pour le plaisir du régime », ont pensé de nombreux observateurs.
Le président “re”malade(?) et Ferdinand Ngoh Ngoh provisoirement au ban ?
Mais les assurances au sujet du recouvrement définitif de la santé du président camerounais(*) ont commencé à s’émousser quand les Camerounais ont été informés que cette fois-ci, le Premier ministre Dion Ngute et le Président de l’Assemblé Nationale, Djibril Cavaye Yeguié se sont partagé, lundi 20 juillet, la tâche de recevoir en audiences le représentant d’Antonio Guterres pour le premier nommé, et l’Ambassadeur de Tunisie au Cameroun arrivé lui aussi en fin de séjour, pour le deuxième nommé.
A Yaoundé, les commentaires allaient bon train lundi soir. Ici on estime que pour que le président délègue ainsi jusqu’à des audiences d’une telle importance (l’état de la crise sécuritaire dans les Régions du Nord-ouest, Sud-ouest et accessoirement dans la région de l’extrême-Nord où les forces gouvernementales ont repoussé avec un certain succès les agressions des djihadistes de Boko Haram, pour ce qui est de l’audience entre le Premier ministre et le patron de l’Onu Afrique centrale, et la fin du séjour d’un ambassadeur qui doit quand même partir du Cameroun avec un message du Premier Camerounais à l’intention de son homologue tunisien, pour ce qui est de l’audience entre le PAN du Cameroun et le plénipotentiaire du “pays du Jasmin”, il faut qu’il se sente très mal.
Autre curiosité et non des moindres, généralement, c’est le Secrétaire Général de la Présidence de la république, aujourd’hui ministre d’Etat, qui reçoit de tels hôtes de marque du chef de l’Etat en l’absence ou en cas d’indisponibilité de celui-ci. Alors, « le fait que le centre se soit déplacé du palais d’Etoudi pour la périphérie de l’Immeuble Etoile et du Palais des verres de Ngoa-Ekelle laisse entrevoir forcément qu’il y a anguille sous roche », commente un fonctionnaire qui dit se souvenir de la pratique qui a toujours eu cours à la Présidence où il a travaillé ces derniers temps avant d’être reversé à son administration d’origine, il y a peu.
Pour lui, il ne s’agit pas d’une norme, mais d’une coutume qui est aussi une sources de l’établissement des règles : « Quoique Cavaye et Dion Ngute occupent des positions de choix au sein de l’appareil dirigeant, ils ne figurent pas parmi les personnalités qui interviennent généralement en pareilles circonstances. Si cela s’est produit, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. »(*)
* Inutile de se cacher derrière le petit doigt, il est presque impossible d’être vert de santé à 87 ans, fut-on un chef d’Etat africain, c’est-à-dire un “dieu” humain. Si l’on ajoute à cela les retours de manivelle karmiques qui suivent inéluctablement les pratiques que des langues fourchues prêtent à certains régimes africains, on peut convenir avec ses thuriféraires que le chef de l’Etat camerounais est un Lion.