Le Mali est en crise et les dirigeants des États voisins tentent de négocier un compromis entre un président impopulaire et une population agitée.
Des dizaines de milliers de personnes ont protesté ces derniers mois pour exiger la démission du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Le mécontentement suscité par son refus d’augmenter les salaires des enseignants et des médecins s’est transformé en frustration face à la corruption et au népotisme présumés de son administration. Les retombées économiques de la pandémie de coronavirus ont attisé les flammes.
Les forces de sécurité ont tué au moins 11 personnes en juillet –l’oposition annonce une vingtaine de morts et une centaine de blessés-, après que des manifestants aient tenté d’occuper des bâtiments publics. Ces morts et blessés ont radicalisé le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques M5-RFP), constitué d’activistes et de dirigeants de l’opposition galvanisés par l’Imam Mahmoud Dicko, un prédicateur sunnite formé par l’Arabie saoudite. Déjà populaire du temps où il soutenait l’actuel chef de l’Etat, il l’est davantage depuis qu’il est entré en dissidence contre lui.
Deux missions de médiation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest n’ont pas abouti. Ces médiations qui veulent que Keita achève son mandat qui arrivera à son terme dans trois ans, ont exhorté les manifestants à accepter un gouvernement d’unité nationale. Le Mouvement du 5 juin est catégorique sur le fait que Keita devrait partir.
Jeudi, cinq chefs d’Etats membres de la CEDEAO (Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal en premiers, suivis par Muhammadu Buhari du Nigeria, Mahamadou Issoufou du Niger et le Ghanéen Nana Akufo-Addo) sont arrivés dans la capitale, Bamako.
Entre autorité de l’Etat et légitimité du régime IBK
Il faut dire que l’Afrique de l’Ouest pâtit depuis plus de cinq ans de la crise sécuritaire et politique au Mali où, en 2013, des séparatistes touaregs et des combattants islamistes alliés, ont menacé d’envahir Bamako. Quoique les militaires français soutenus par les forces tchadiennes les en ont empêchés, du moins pour un certain temps, les groupes djihadistes fusionnés ont réussi à étendre leur influence et continuent de perpétrer des attaques terroristes hautement meurtriers dans le pays.
Et voilà que depuis la dernière élection présidentielle des 29 juillet et 12 août 2018 soldée par la réélection contestée de IBK, est née une autre crise, celle de légitimité, accentuée non seulement par l’enlèvement non élucidé à date du principal opposant, Soumaïla Cissé, mais aussi par le doute qui a envahi les Maliens relativement au degré de responsabilité de leurs dirigeants.
Selon la rue malienne qui n’a plus de cesse de gronder, ces dirigeants ont perdu leur crédibilité, et c’est en pure perte, ou presque, que la communauté internationale a dépensé des milliards de dollars pour œuvrer à la restauration de l’autorité de l’Etat dans ce pays où elle avait été mise à mal par le renversement à deux mois de l’élection présidentielle de 2012 du président ATT par un soi-disant Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État conduit par le capitaine Amadou Haya Sanogo.
Un hic cependant, si les plénipotentiaires de la CEDEAO pensent que l’autorité de l’Etat malien doit être préservée par le maintien au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat en 2023 de IBK, conformément à la Constitution, les manifestants anti-régime qui estiment être plus nombreux que les partisans du président et pensent surtout avoir raison sur toute la ligne, affirment que le président est disqualifié pour revendiquer la légitimité conférée par sa réélection, et doit par conséquent se soumettre aux injonctions de démission du peuple qui a le pouvoir souverain de le congédier. Une façon de conférer plus de pouvoir à la rue qu’à la Constitution, avec les risques d’anarchie qu’une telle posture comporte.