Cameroun : la carte nationale à la recherche de son identité

Obtenir cette pièce est devenue la croix et la bannière depuis qu’on parle d’informatisation, et en plus les doublons supposées disparaître ont décuplé.

« Je veux ma carte d’identité ». C’est une revendication lancée par un Camerounais en début d’année 2021 dans les réseaux sociaux, pour réclamer cette pièce dont l’obtention est devenue un chemin de croix au Cameroun. Un appel vite repris par des milliers d’internautes dont certains annonçaient des manifestations dans certaines villes pour mieux faire entendre leur voix. Il est devenu une habitude en effet, que les citoyens attendent parfois pendant deux ans cette pièce, se contentant entre temps de la prorogation de la validité du récépissé qui est d’une durée de 3 mois au plus au départ. Lequel récépissé est restrictif quand il faut effectuer certaines transactions ou établir d’autres documents comme le passeport.  En réaction, la Délégation générale à la sureté nationale a invité les médias à un point de presse à Yaoundé le 8 janvier 2021, au cours duquel le Secrétaire Générale Dominique Baya, a rendu public un communiqué du délégué général Martin Mbarga Nguelé. L’explication que l’on retient de l’interminable attente que connaissent les usagers pour avoir cette pièce essentielle, c’est « le ralentissement dans la production lié aux difficultés techniques, aux procédures et à la livraison du matériel. » En d’autres termes, la Délégation nationale à la sûreté nationale avoue que les services d’identification ont des problèmes à établir la carte nationale d’identité. Le communiqué renseigne pourtant que  « depuis le 9 août 2016, sur autorisation du président de la république, un nouveau système de sécurisation de la nouvelle nationalité camerounaise a été mise en place à la délégation générale à la sûreté nationale. Cela faisait suite aux graves défaillances et aux nombreux dysfonctionnements observés dans l’ancien système mis en place en 1994, et qui a montré toutes ses limites. Avec cet ancien système, des individus pouvaient se faire établir une carte nationale d’identité pour aller commettre un crime, toucher un bon de caisse volé, percevoir indûment le salaire d’un tiers ou naître de nouveau. » En résumé, une procédure mise en place depuis 26 ans, améliorée depuis 4 ans, présente encore des limites. En 26 ans la police n’a pas été en mesure de sécuriser efficacement l’identité camerounaise et produire la pièce en temps et en heure.

Triple identité

La conséquence d’après le même communiqué, c’est que selon les dernières statistiques, plus de 3 millions de Camerounais ayant personnellement changé des éléments de leur filiation, se retrouvent en situation de double, triple, quadruple identité et autres usurpations. C’est dire que sur une population estimée à 25 millions, s’il y en a 15 millions en âge d’avoir une carte nationale d’identité, au moins le tiers a une double identité. Une bonne partie de la population camerounaise est donc constituée d’individus à double visage pour dire simple. Et si l’information vient de la délégation générale à la sûreté nationale, il y a de quoi être inquiet, parce qu’il y va de la sécurité intérieure du pays, de la sécurité des personnes et des biens et aussi de la confiance établie entre le voisinage dans la société. Il est simplement alarmant de constater que 26 ans après la modernisation de la carte nationale d’identité, on a exactement le contraire du résultat recherché au départ. A l’époque de la carte nationale d’identité en carton, on pouvait se faire établir cette pièce en 30 minutes et repartir, il suffisait seulement qu’il y ait des cartons disponibles dans l’unité de commissariat où l’on se trouve, la pièce était signée sur place, pas de récépissé. Il était alors plus facile pour un individu de se faire établir plusieurs  cartes d’identité dans des commissariats différents, qui n’avaient aucune possibilité de vérifier si la même pièce a déjà été établie ailleurs.

Effets contraires

L’informatisation avait donc été expliquée comme moyen de contourner cela, la solution miracle à cette fraude. Les pièces à fournir ont également été revues, incluant désormais une copie certifiée conforme de l’acte de naissance, un copie d’acte de mariage pour les femmes mariées délivrées par l’autorité administrative ou municipale, un justificatif de sa profession, s’il y a lieu et un certificat de nationalité signé du Président du Tribunal de Première Instance.  L’ensemble des informations contenues dans ces pièces devant être archivé et centralisé à l’unique unité de production basée à Yaoundé. Il fallait désormais attendre 3 mois pour avoir le précieux sésame, du moins c’était la durée de vie donnée au récépissé qui était désormais délivré sur place. Dieu seul sait combien de milliards de francs cfa ont été engloutis dans cette opération de modernisation et de sécurisation, pour le résultat qu’on connait en 2021.

L’Assemblée nationale  devrait simplement ouvrir une enquête parlementaire pour voir clair dans cette affaire de carte nationale d’identité. Les enjeux sont énormes, et surtout la sécurité, la stabilité politique et économique fortement menacées. Un pays ne peut pas être serein avec autant de citoyens à la double identité. La Délégation générale à la sureté nationale affirme que malgré la sécurisation, des individus ont multiplié des cartes certes, mais ils ne l’ont pas fait seuls. Quelqu’un a bien signé une fausse copie d’acte de naissance, un autre a signé le certificat de nationalité, ou plus grave, quelqu’un a bien introduit des informations inexistantes dans le système pour générer une carte. Donc les faussaires ont bien bénéficié des complicités internes et sur toute la chaine, qu’il faudra déjà dénicher et extraire. D’après le communiqué de la Dgsn du 8 janvier, « cette situation préoccupante est en cours d’examen par les différentes administrations impliquées dans le processus de sécurisation de la nationalité camerounaise. » Mais en attendant, la police nationale devrait prendre ses responsabilités, mettre à profit les énergies, les génies et les agents sincères qui doivent bien exister dans le corps, pour mettre un terme au flou qui persiste dans le processus d’établissement des cartes, et qui sans doute profitent à certains. Comme disait le président Paul Biya concernant la crise anglophone, cette situation n’a que trop duré. En 26 ans que l’on parle de carte nationale d’identité informatisée, le Cameroun avec autant de génies, ne peut raisonnablement être encore en train de chercher la solution à la production sécurisée et fluide d’une pièce aussi importante que la carte nationale d’identité

Roland TSAPI

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