C’est le dénouement de près de huit ans d’une information judiciaire ouverte en 2013 pour « corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance » plus d’une décennie plus tôt (entre 2009 et 2011).
Des années de dénégations systématiques plus tard, avec pour conséquence un rallongement inutile de la procédure, et au passage l’annulation en 2019 de la mise en examen des accusés par la cour d’appel de Paris, pour cause de prescription, relativement à la part des infractions concernant la Guinée, l’homme d’affaires français Vincent Bolloré a finalement opté de rompre avec la fuite désespérée en avant, en reconnaissant les faits de corruption d’agents publics étrangers et de complicité d’abus de pouvoir.
C’est selon les termes d’un accord négocié avec le parquet national financier pour une procédure de plaider-coupable, que le magnat français du transport, de la logistique et de l’agroalimentaire, de l’édition, de la Comm’, des médias… en Afrique est finalement passé aux aveux vendredi dernier, reconnaissant avoir payé une partie des dépenses de communication du candidat président sortant du Togo, Faure Gnassingbé, lors de l’élection présidentielle togolaise de 2010. En retour des contrats et avantages fiscaux à tout le moins faramineux pour le port de Lomé.
L’heure du karma
Ces aveux ne lui auront finalement pas servi comme convenu. Pas plus qu’ils n’ont servi à ses collaborateurs Gilles Alix, directeur général du groupe Bolloré, et Jean-Philippe Dorent, directeur international de l’agence Havas, filiale de Bolloré, qui avaient accepté solidairement avec leur patron, le principe d’une Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (CRPC, sorte de « plaider-coupable » à la française) et le paiement d’une amende de 375 000 euros. Car face à cette autre ignominie française ou plutôt françafricaine, une magistrate du Tribunal judiciaire de Paris, refusant de valider l’accord de plaider-coupable, a estimé que les peines étaient « inadaptées au regard » de la gravité des faits mis à la charge du trio affairiste et déduit que leur jugement par un tribunal correctionnel était « nécessaire ».
Quoique la juge ait entériné la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) visant le groupe Bolloré (une amende de 12 millions d’euros que la société s’est engagée à verser « au Trésor public sous dix jours », selon un communiqué rendu public par le Parquet national financier, ce à quoi il faut ajouter le provisionnement de 4 millions d’euros pour financer un programme de mise en conformité aux règles de l’Agence française anticorruption (AFA), qui réalisera un suivi pendant deux ans, selon les termes de la CJIP), elle a tenu à faire savoir que les faits reprochés ont « gravement porté atteinte à l’ordre public économique » et « à la souveraineté du Togo ».
Cet avis n’en rend pas moins hypothétique le procès en correctionnelle, puisque non seulement la décision de renvoyer ou non en correctionnelle Monsieur Bolloré et ses acolytes ressortit beaucoup plus de la volonté d’un magistrat que d’un impératif de justice, mais surtout, la fin assurée des poursuites, si les sanctions pécuniaires diverses qui sont infligées à Bolloré et compagnie sont payées, et le programme de mise en conformité aux règles de l’AFA, réalisé.
Un procès ? Pas si sûr, mais…
Ceci étant, le plus important ici réside dans le symbole. L’indéboulonnable Bolloré qui obligé de baisser la tête à cause des assauts incessants de la justice française qu’il a très souvent considérée de haut du fait de son entregent dans les cercles dirigeants de la France… françafricaine, laissant ainsi triompher entre autres, cette Afrique spoliée qui n’a pas eu de cesse, depuis la libération de la parole sur le continent à la fin des années 1980, de dénoncer les méthodes barbares d’un accapareur conquérant, méprisant et esclavagiste, dont les vrais partenaires dans le crime ne sont autres que les chefs des États et ministres du continent, soucieux de plaire à leurs maîtres au pouvoir en France, dont Bolloré ne manque jamais l’occasion de s’attacher l’amitié, quelles que soient leurs chapelles ou obédiences politiques.
Beaucoup à l’instar du président du collectif “Togo Debout”, David Dosseh, attendaient un procès, comme il l’a fait savoir à nos confrères de Radio France Internationale, en réaction à l’annonce d’un éventuel procès contre Bolloré & Co : « Nous espérons vraiment qu’il y aura un procès et que l’on permettra justement à des représentants du peuple togolais de participer et de dire ce qu’ils savent de cette affaire. Monsieur Dupuydauby, dirigeant de Progosa, aura certainement et également son mot à dire, puisque sa société avait été évincée au profit de celle de Bolloré.Donc, je pense que si on permet à tous ces interlocuteurs et tous ces acteurs de s’exprimer, on pourra avoir suffisamment de lumière sur les pratiques totalement répréhensibles qui ont cours au Togo, en termes de racket, en termes de corruption… Et tout cela, au détriment du développement de notre pays. ».
Comme monsieur Dosseh, des millions d’Africains pourraient ne pas humer de sitôt les senteurs d’un procès en France ou ailleurs de Vincent Bolloré pour la pratique. Mais mis à part la sanction financière dont il a écopé, les aveux de l’animateur vedette de la Françafrique affairiste sont un prélude au succès des peuples africains en quête de justice dans leurs luttes contre ses prédateurs endogènes et… de l’extérieur. Suivons une fois de plus David Dosseh, pour saisir davantage l’enjeu de ce qui se trame dans et à travers ce procès souhaité, et peut-être déjà avorté : On nous dit que nous sommes des pays pauvres, alors que nous avons des potentialités qui pourraient permettre aux populations de vivre heureuses et épanouies. Beaucoup d’argent, malheureusement, disparaît dans ces pratiques de corruption et beaucoup d’argent se retrouve dans des comptes de particuliers justement en Occident. En mettant toute la lumière sur ces pratiques, on espère pouvoir contribuer d’une manière ou d’une autre à la lutte contre la corruption ».