La personne du député est sacrée ! (Editoriale)

Impliquée le 20 juillet dans une altercation avec les forces de maintien de l’ordre à Bafoussam dans la région de l’Ouest, l'Honorable Nourane Fotsing fait l’objet de plusieurs réactions mitigées de la part de l’opinion camerounaise dans sa grande majorité. Certaines analyses critiquent vertement l’élue de la nation. Pour mieux comprendre toutes les implications de cet incident, cameroonvoice vous propose l’éditoriale du politologue et homme politique Vincent-Sosthène FOUDA-ESSOMBA

Une députée de la République a été violentée par un policier dans l’exercice de sa profession. La vidéo de cette violence fait le tour des réseaux sociaux et les réactions des internautes juristes et justiciers publics n’arrêtent pas d’enflammer la toile. Cette image n’est pas sans rappeler celle des citoyens camerounais réunis devant l’hôtel intercontinental à Genève en Suisse et s’attaquant à la personne du chef de l’Etat son Excellence Paul Biya. La gravité est la même, en deux lieux différents et à des proportions différentes mais avec les mêmes conséquences : la désacralisation des institutions que nous nous sommes librement données. Un député quel que soit son bord politique, quel que soit la circonscription de son élection est la République, il porte et incarne la République, il est à lui tout seul la République il incarne les Institutions. Ce que je voudrais dire, en de mots simples c’est que le Député est dans nos institutions ce que l’on voit et touche, voilà pourquoi il ne se pénètre pas et ne se laisse pas pénétrer.

Le député est, symboliquement, la partie la plus visible, la plus palpable de ce qu’est une République : il est une Marmite, marmite pleine d’émotions bouillonnantes. Il s’emplit d’énergie, à partir des pulsions de tous ses concitoyens, alors ce qu’ont vu nos yeux, ils ne le méritent pas. C’est ce qui a amené un jour le député de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon à déclarer « Ma personne est sacrée », « La République, c’est moi ! ».

L’honorable Nouranne Fotsing puisqu’il s’agit d’elle, a beau être une femme, d’un parti d’accompagnement de celui qui est au pouvoir, a beau être une élue du Littoral, qu’il lui soit arrivé de déraper et de s’attaquer à nous ou de monter des groupes qui nous agressent dans les médias, elle reste et incarne la République.

La République n’est pas une invention camerounaise et la députation est une invention romaine. Revenons donc en arrière pour comprendre et avancer ensemble vers les sentiers ô combien sinueux de la compréhension de ce qu’est la République afin que de pouvoir l’accepter pour y vivre en sachant ce qu’elle nous doit et ce que nous avons à lui donner.

Un détour dans l’histoire

En -494, la plèbe fait sécession et se réunit sur l’Aventin (l’une des collines de Rome) en opposition au patriciat, propriétaires et bien plus aisés que la plèbe. En un terme extrêmement anachronique, la plèbe fait « grève ». Elle refuse de faire la guerre, d’entrer sur la ville et s’installe sur le Mont Sacré. La chute de la royauté romaine n’a effectivement pas profité à l’ensemble du peuple mais seulement à une oligarchie. La plèbe est accablée de dettes, n’a que très peu de droits civiques et politiques. Cette sécession, qui n’est que la première d’une série, devient un problème pour Rome, entourée de potentiels ennemis : elle tourne désormais au ralenti, les patriciens ayant perdu leur main d’œuvre et leurs fantassins.

Autrefois le corps humain n’était pas encore solidaire comme aujourd’hui, mais chaque organe était autonome et avait son propre langage ; il y eut un jour une révolte générale : ils étaient tous furieux de travailler et de prendre de la peine pour l’estomac, tandis que l’estomac, bien tranquille au milieu du corps, n’avait qu’à profiter des plaisirs qu’ils lui procuraient. Ils se mirent donc d’accord : la main ne porterait plus la nourriture à la bouche, la bouche refuserait de prendre ce qu’on lui donnerait, les dents de le mâcher. Le but de cette révolte était de mater l’estomac en l’affamant, mais les membres et le corps tout entier furent réduits dans le même temps à une faiblesse extrême. Ils virent alors que l’estomac jouait un rôle lui aussi, qu’il les entretenait comme eux-mêmes l’entretenaient, en renvoyant dans tout l’organisme cette substance produite par la digestion, qui donne vie et vigueur, le sang, qui coule dans nos veines.

TITE-LIVE, HISTOIRE ROMAINE, II, 32:

Afin de régler le problème, de longues négociations se sont engagées. C’est Menenius Agrippa, soi-disant consul de l’année -503, qui réconcilie la plèbe et la patriciat en rédigeant un apologue afin de ramener les plébéiens à la raison. Il raconte l’histoire des membres et de l’estomac. Rome, pour lui, est un corps humain. Les patriciens sont l’estomac, les plébéiens sont les mains, la bouche et les dents. Si les plébéiens font sécession : c’est tout l’organisme qui s’affaiblit. Pour que Rome aille de l’avant et puisse survivre, elle a besoin de la collaboration de tous. C’est une double dépendance : les patriciens ont besoin des plébéiens, et les plébéiens ont besoin des patriciens.

Ce genre de discours, par ailleurs, on le retrouve systématiquement dans les débats contemporains entre militants de gauche et de droite au sujet du patron et de l’ouvrier. Dans ce débat, Jean-Luc Mélenchon est évidemment du côté des ouvriers. Cet événement, Tite-Live nous le raconte dans son Histoire romaine, mais les historiens se demandent s’il n’a pas édulcoré la violence. En réalité, il semblerait qu’il n’y ait pas eu qu’une sécession mais un enchaînement d’événements qui auraient conduit à une révolution. Il convient de rappeler qu’à l’époque, la plèbe est un État dans l’État, elle ne possède pas la richesse mais est très organisée et forte, liée par un serment, le sacramemtum, et celui qui la trahie est théoriquement voué à la mort.

On s’occupa ensuite des moyens de réconciliation. Les conditions auxquelles on s’arrêta furent que le peuple aurait ses magistrats à lui, que ces magistrats seraient inviolables, qu’ils le défendraient contre les consuls et que nul patricien ne pourrait obtenir cette magistrature.

TITE-LIVE, HISTOIRE ROMAINE, II, 33, 1-3

Finalement, cette situation finit par se régler et la plèbe obtient plusieurs concessions déterminantes. Elle obtient une assemblée des plébéiens, d’où sont exclus les patriciens, dans laquelle ils élisent leur propre magistrat et votent leur propre loi que sont les plébiscites : on pense à : « la révolution du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Ce magistrat qu’ils obtiennent : c’est le tribun du peuple. Cette charge est organisée sur le modèle de la charge de consul – exercé par les patriciens – afin d’avoir un contrepoids. Cependant, ils n’ont pas d’imperium, ils ne sont pas tout à fait égaux et ne peuvent pas, par exemple, commander l’armée. Néanmoins, ils obtiennent la tribunicia potestas, le pouvoir tribunicien qui essaie de compenser cet imperium. De ce fait, ces représentants de la plèbe ont plusieurs pouvoirs.

Le pouvoir d’aide (auxilium) qui permet d’aider un plébéien menacé par un patricien. Le droit de coercitio qui leur permet d’imposer une amende ou de punir de mort quelqu’un qui s’en prendrait à tort à un plébéien. Et le droit de véto, l’intercessio, qui ne peut être annulé que par le second tribun de la plèbe en exercice. Enfin, les tribuns de la plèbe sont dits sacro-saints : il est impossible et illégal de s’attaquer à eux physiquement. La charge du tribunal de la plèbe est déterminante puisqu’elle exercera un vrai contre-pouvoir dans l’histoire de la République Romaine, et de grands personnages la tiendront en tentant de grandes réformes au profit de la plèbe tels que les Gracques.

À la religion, qui les rendait sacrés, on joignit une loi portant que tout agresseur des tribuns du peuple, des édiles, des juges, des décemvirs, verrait sa tête dévouée aux dieux infernaux, et ses biens confisqués au profit du temple de Cérès, de Liber et de Libera. Cette loi, selon les jurisconsultes, n’établissait d’inviolabilité en faveur de personne, mais dévouait seulement l’auteur de toute attaque contre ces magistrats.

TITE-LIVE, HISTOIRE ROMAINE, III, 55

En guise de leçon

Madame Nouranne Fotsing ne possède pas en elle une grande culture républicaine, elle n’a pas le talent d’orateur que possède son président, nous ne l’avons jamais vu prendre la parole à l’Assemblée Nationale, peut-être parce que personne ne la lui donne mais ce n’est pas une raison pour qu’elle soit bastonnée dans la rue et que personne n’ose lever son petit doigt pour condamner cet acte odieux, antirépublicain et qui déshonore tout ce que nous avons construit depuis 1958. En fait-elle trop ? Je n’en sais rien mais personne n’aimerait voir son épouse insultée même et surtout par les forces de l’ordre et devant sa propre progéniture !

Toute cette longue introduction n’a pour seul et même but que de nous faire comprendre pourquoi la personne du député au-delà de sa personnalité quand nous avons fait la différence entre les deux, oui, pourquoi cette personne est sacrée. Nous l’inscrivons dans le sacro-saint de la République Romaine et l’adossons sur le tribun de la plèbe ; nous n’en sommes pas loin. Personne ne pouvait s’attaquer à eux physiquement, et c’est une parole déboutée dès lors que la police l’a touché. Et lorsqu’elle sort de sa voiture et qu’elle décline sa qualité de mère, d’épouse et de député de la Nation. Cette triple identité, elle la porte, elle n’est pas mère toute seule, elle l’est avec toutes les femmes, elle n’est pas épouse toute seule elle l’est avec toutes les femmes mariées et celles qui aspirent l’être, avec les consacrées épouse du Christ ou des différentes obédiences religieuses, elle n’est pas députée toute seule, elle l’est avec tous les parlementaires de la République qui ensemble, sont l’un des fondements de la République.

Maintenant il m’est difficile de replacer cet élément qui défile dans les réseaux sociaux dans son contexte originel. Nous ne savons pas ce qui s’est passé avant, nous n’avons que cet extrait d’une minute et cinquante secondes, une minute et cinquante secondes de trop cependant !

Je voudrais sortir par-là, il m’est aussi arrivé d’être brutalisé dans l’indifférence de tous et de toutes comme nous aimons à dire au Cameroun, d’être transformé en « arachide du deuil. » celui dans lequel tout le monde trempe sa main sans limite. Le docteur Richard Makon en découvrant ces images a dit : « je m’endors, quand vous aurez fini de détruire la République, réveillez-moi » ! Personne ne devrait se détourner de telles images, personne ne devrait s’en donner à cœur joie. Derrière chaque brutalité policière se cache l’effondrement de nos institutions. Pour ceux qui ne le savent pas, la mission de la Police n’est pas de brutaliser les citoyens. La mission de la police relève d’une tâche noble.

Aussi ne demande-t-on pas à ceux qui se chargent des « basées besognes de la police » autre chose que de faire leur œuvre, et cela sans état d’âme, en échange de quelques privilèges auxquels ils n’auraient pas droit normalement. Nous sommes loin d’une base professionnelle, et par là même, d’une éthique ou d’une déontologie. La police n’est pas répressive par destination, mais accomplit une mission de service public qui consiste en premier lieu à assurer la sécurité des biens et des personnes. Cette observation explique la distinction que l’on peut faire entre la police d’ordre (police administrative) et la police d’investigation (police judiciaire). Alors ne dénonçons pas Genève en applaudissant Douala, dans les deux cas, ce sont les fondements de la République qui s’écroulent. 

Prof. Vincent-Sosthène FOUDA-ESSOMBA

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