Que veut vraiment Vladimir Poutine ? Par Jean-Robert Raviot* (The Conversation)

En annonçant presque simultanément un train d’amendements constitutionnels et un changement de premier ministre, Vladimir Poutine s’aménage-t-il – comme le titrait Courrier International – un « pouvoir à vie » ?
Rien ne permet de l’affirmer, ni même de le suggérer, sachant que, comme le disait l’ancien premier ministre Viktor Tchernomyrdine, au verbe haut et au vocabulaire fleuri, « en Russie, faire des pronostics politiques est toujours risqué… surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir » ! Dès lors, plutôt que d’extrapoler l’après-2024 – date à laquelle expirera le quatrième mandat de Vladimir Poutine, qui ne pourra pas se représenter selon les termes actuels de la Constitution –, tentons de discerner quelques-unes des stratégies qui sous-tendent ces deux décisions politiques d’importance prises par le président russe en ce début d’année.

La vraie-fausse fin de la « tandemocratie »

En mettant fin à près de douze ans de « tandemocratie », selon l’expression en usage en Russie, Vladimir Poutine annonce-t-il la rupture du « couple » quelque peu mal assorti en apparence qu’il formait, depuis 2008, avec Dmitri Medvedev à la tête de l’exécutif bicéphale russe ?
La démission de Medvedev de son poste de premier ministre n’est pas du tout synonyme de limogeage ou de « placardisation ». Medvedev reste au Conseil de sécurité – pièce majeure dans le dispositif de la prise de décision politique – et il y reste intuitu personae, nommé à une fonction, celle de vice-président, qui est créée tout spécialement pour lui. De plus, il demeure le chef du parti majoritaire Russie unie. Dans le contexte des réformes constitutionnelles annoncées et sur lesquelles nous revenons plus loin, il sera à ce titre un rouage essentiel du fonctionnement de l’exécutif avant et après les élections législatives de 2021.

Relancer le poutinisme

Ayant pris conscience du fort mécontentement social qui monte en Russie depuis plusieurs années et de la baisse relative de sa popularité – on lui reproche principalement de ne s’occuper que de politique extérieure et de se désintéresser du pays –, Vladimir Poutine a profité de l’élection présidentielle de 2018 pour développer un nouveau discours axé sur les priorités sociales et démographiques des régions russes, ainsi que sur l’urgence de l’innovation et du développement économique de la Russie. Président de 2008 à 2012, puis premier ministre depuis 2012, Medvedev avait su incarner cette priorité à l’innovation… mais sa popularité avait fortement diminué (en octobre 2019 sa cote de confiance était de 38 %, contre 68 % pour Vladimir Poutine), en même temps que son énergie à la direction d’un gouvernement qu’il ne semblait plus vraiment diriger depuis quelques mois…
En choisissant Mikhaïl Michoustine comme premier ministre, Vladimir Poutine donne le signal d’une relance de la dynamique gouvernementale sous le contrôle d’un homme qui, en qualité de haut fonctionnaire apparemment peu impliqué dans les luttes de clans. Michoustine a été chef du Service fédéral des impôts de 2010 jusqu’à sa toute récente nomination à la tête du gouvernement). De ce simple fait, il dispose de compétences techniques avérées (on le crédite d’avoir brillamment réussi la numérisation des services fiscaux russes) et d’une excellente visibilité sur l’ensemble de l’activité de l’exécutif fédéral – sans mentionner tous les réseaux que cette fonction lui a permis de développer depuis dix ans. Autant d’atouts qui, à l’évidence, pourraient lui permettre d’obtenir des résultats tangibles et rapides en matière de redressement et de développement économique.
Depuis 2014, on observe que le président russe cherche à « faire monter » des personnalités plus jeunes, au profil méritocratique, des technocrates plutôt que des politiques et dont la trajectoire reflète le moins que possible des liens avec les oligarchies et les clans. Poutine souhaite former la « réserve » des nouveaux hauts responsables de demain, une « réserve » dont dépendra la pérennité, ou non, du poutinisme après 2024.
À ce titre, la composition du nouveau gouvernement Michoustine et, en particulier, le maintien, ou non, de l’homme fort de l’ancien gouvernement, Anton Silouanov, à la fois ministre des Finances et premier vice-premier ministre, permettra de mesurer « grandeur nature » l’ampleur du renouvellement en termes de génération et de profil de la nouvelle élite gouvernementale. En menant, selon la tradition soviétique, une politique des cadres destinée à sélectionner les hommes les plus compétents, mais aussi les plus loyaux, le président russe cherche à consolider les bases du système corpocratique que d’aucuns qualifieraient de « capitalisme d’État » – qu’il a instauré, système dont la pérennité lui importe sans doute davantage que son destin personnel après 2024.

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Les réformes constitutionnelles : consolider le système politique en vue de secousses à venir

D’après les grandes lignes qui ont été esquissées par Vladimir Poutine dans son discours, les réformes constitutionnelles devraient consolider le système politique existant, à savoir, tout d’abord, la division de l’exécutif en deux « blocs » : un « bloc socio-économique » dirigé par un premier ministre, qui se verrait politiquement renforcé (le président devrait désormais accepter le gouvernement qu’il formera s’il est voté par la Douma), et un « bloc régalien », qui resterait fermement dirigé par le président, chef de l’État et chef des armées, assisté par le Conseil de Sécurité. C’est le président, et lui seul, qui resterait la clé de voûte de cet exécutif à deux blocs – rappelons qu’il peut dissoudre la Douma, renvoyer le gouvernement et, surtout, qu’il dirige la politique fédérale et la politique des cadres en régions.

Ainsi, cette réforme renforcerait à la fois la position du Parlement, du premier ministre et du président. En effet, si le Conseil d’État est institutionnalisé par les amendements constitutionnels, cet organe consultatif que le président dirige consacrera la prééminence présidentielle sur la politique intérieure fédérale.
La formation de la majorité parlementaire devenant essentielle pour la formation du gouvernement, le chef du parti majoritaire (ou celui qui détiendrait les clés d’une coalition de partis, s’il n’y a plus de majorité absolue), jouerait un rôle accru et aurait naturellement vocation à devenir speaker de la Douma, une fonction qui, de fait, serait renforcée. C’est, au passage, exactement cette réforme-là que l’actuel speaker de la Douma, Viatcheslav Volodine, préconisait dans un article publié à l’été 2019, et que Vladimir Poutine reprend presque mot pour mot dans son annonce. Cette réforme permettrait également d’ouvrir le jeu politique et faciliterait, sans trop mettre en danger l’équilibre du système, la sortie d’une situation de quasi-monopole du parti Russie Unie à la Douma (et dans les assemblées régionales), à l’heure où, grogne sociale oblige, tous les sondages annoncent que ce parti pourrait perdre sa majorité absolue en 2021…

(*) Professeur de civilisation russe et soviétique, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières Lire l’original de cet article : The Conversation

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