Visé par plusieurs procédures judiciaires, le chef de file de l’opposition russe a été placé en détention dimanche dernier, dès son retour d’Allemagne. Son épouse, Ioulia Navalnaïa, a annoncé avoir été interpellée par la police à Moscou.
Le Monde avec AFP
« La Russie sera libre », « Poutine est un assassin », scandait la foule réunie place Pouchkine, dans le centre de Moscou. En soutien à l’opposant Alexeï Navalny, des milliers de manifestants se sont réunis samedi 23 janvier dans la capitale russe, bravant l’interdiction de se rassembler.
Selon l’agence de presse Reuters, près de 40 000 personnes sont descendues dans la rue, quand l’ONG indépendante Compteur blanc, spécialisée dans le comptage des manifestants, donne de son côté une fourchette de 18 000 à 35 000 manifestants. L’agence France-Presse (AFP) a quant à elle avancé le chiffre de 20 000 personnes. Des estimations qui font de ce rassemblement l’un des plus importants, parmi les manifestations non autorisées, de ces vingt dernières années.
La difficulté à établir un comptage précis s’explique par la forme chaotique qu’a pris la manifestation. La foule compacte de la place Pouchkine, coincée entre les cordons des forces de sécurité, a rapidement débordé dans les rues adjacentes, allant et venant dans toutes les directions.
Leonid Volkov, un membre de l’équipe de M. Navalny, a affirmé que « 250 000 à 350 000 personnes » étaient descendues dans la rue dans toute la Russie. « C’est sans précédent », s’est-il félicité, en direct sur la chaîne YouTube Navalny LIVE, annonçant en outre de nouvelles manifestations pour le week-end prochain. La police a pour sa part estimé que 4 000 personnes avaient manifesté à Moscou et qu’une quarantaine de membres des forces de l’ordre avaient été légèrement blessés.
Des journalistes de l’AFP ont assisté à de violentes arrestations et à des heurts entre policiers et manifestants au cours de ce rassemblement. Dans le centre de Moscou, les forces antiémeute ont arrêté 795 personnes, a fait savoir OVD-Info, spécialisée dans le suivi des manifestations en Russie. L’ONG a comptabilisé au moins 2 131 arrestations dans le pays, selon un bilan diffusé vers 18 heures (heure de Paris). Selon l’AFP, l’épouse d’Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa, a annoncé avoir été interpellée par la police à Moscou, alors qu’elle était, elle aussi, en train de manifester.
Dès 10 h 30, la police moscovite avait commencé à effectuer des arrestations parmi les premiers arrivants. Lors de l’annonce des manifestations, elle avait d’emblée promis de « réprimer sans délai » ce rassemblement non autorisé. Les premières manifestations ont ainsi eu lieu ce matin dans l’Extrême-Orient russe et en Sibérie, où plusieurs milliers de personnes sont descendues dans la rue notamment à Vladivostok, Khabarovsk et Tchita, en scandant « Liberté à Navalny ! », « Liberté aux prisonniers politiques ! », face à d’importants effectifs de la police antiémeute déployés sur les lieux.
En début de soirée, des centaines de personnes ont rallié la prison de Matrosskaïa Tichina, où est détenu l’opposant russe, dans le nord de Moscou. Devant le centre pénitentiaire, la police a procédé à des arrestations, frappant des manifestants avec des matraques et les dispersant.
Arrestations brutales et poursuites judiciaires
Les précédents grands rassemblements de l’opposition à Moscou, pendant l’été 2019, avaient entraîné des milliers d’interpellations de manifestants pacifiques. Comme en 2019, la police russe a interpellé cette semaine, en amont des mobilisations, des alliés de premier plan d’Alexeï Navalny, dont deux ont été condamnés vendredi à de courtes peines de prison. En région, plusieurs coordinateurs de son mouvement ont été arrêtés après avoir appelé à manifester samedi.
Placé en détention jusqu’au 15 février au moins et visé par plusieurs procédures judiciaires, Alexeï Navalny, 44 ans, a été appréhendé dimanche dernier, dès son retour d’Allemagne, après cinq mois de convalescence. Fin août, il était tombé gravement malade en Sibérie et avait été hospitalisé en urgence à Berlin, victime,selon lui ainsi que les enquêteurs du site d’investigation Bellingcat, d’un empoisonnement des services secrets russes à un agent neurotoxique.Trois laboratoires européens avaient également conclu à un empoisonnement, ce que Moscou dément fermement, dénonçant un complot.
Suppression de messages sur des réseaux sociaux
Tout en sachant qu’il risquait la prison, Alexeï Navalny avait choisi de rentrer en Russie avec son épouse. Dès l’arrestation de M. Navalny, condamnée par les puissances occidentales, ses soutiens, mais également des célébrités russes moins politisées, ont appelé à manifester pour sa libération. Des milliers d’appels à la protestation ont été relayés cette semaine sur les réseaux sociaux, où l’opposant jouit d’une visibilité importante, alors qu’il est largement ignoré des grands médias d’Etat russes.
Pour limiter ces appels à manifester, le gendarme russe des télécommunications, le Roskomnadzor, a menacé d’amendes les plates-formes TikTok et Vkontakte (VK), l’équivalent russe de Facebook. Selon le Roskomnadzor, ces deux réseaux sociaux, mais aussi YouTube, propriété de Google, ont depuis supprimé une partie des messages concernés.
Alors qu’une enquête a été ouverte pour « incitation à des actes illégaux auprès de mineurs », le ministère de l’éducation a quant à lui appelé les parents à « empêcher » leurs enfants de rejoindre des manifestations.
Usant de son arme de prédilection, l’équipe d’Alexeï Navalny a tenté de galvaniser ses troupes en publiant mardi une enquête retentissante sur une somptueuse propriété dont serait bénéficiaire le président Vladimir Poutine. Baptisée « le palais de Poutine », cette demeure luxueuse sur les bords de la mer Noire aurait coûté, selon l’opposant, plus d’un milliard d’euros et aurait été financée par des proches du président. Des accusations rejetées par le Kremlin.
Samedi matin, cette longue investigation avait été visionnée plus de 67 millions de fois sur YouTube, un record parmi les nombreuses enquêtes publiées ces dernières années par Alexeï Navalny.
Source : Le Monde