Une pensée pour eux…

Cote d'Ivoire répression

Ce mercredi 11 avril 2012, tous ceux qui ont de la mémoire vont revoir ces moments difficiles vécus personnellement du fait de la crise postélectorale. Crise déclenchée ce 02 décembre 2011 à la suite d’un contentieux électoral entre deux candidats ayant obtenu leur ticket pour le second tour du scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire. L’un et l’autre revendiquant la victoire à l’issue de ces échéances historiques qu’attendait le pays tout entier dans l’espoir que l’instabilité politique avec ses nombreuses répercussions sur l’économie et le social qui perdure depuis près d’une décennie s’estompe. Les images seront sans aucun doute dures à refixer dans les mémoires.

Ah ce 11 avril 2011! Je me souviens que je m’étais réveillé très tôt le matin comme à mes habitudes pour voir l’attitude à tenir vu que la veille déjà circulait l’info selon laquelle la résidence du chef de l’Etat, dans laquelle se trouvait bloqué depuis plusieurs jours le président Laurent Gbagbo, était prise d’assaut par les forces fidèles au camp Ouattara appuyées par des soldats français.

Dans tout Abidjan, jonchaient dans les rues des corps sans vie dont certains déjà en putréfaction. Cinq jours plus tôt, les bombes larguées sur le nouveau camp d’Akouédo et l’affolement causé, avait déjà convaincu plus d’un que c’en était fini pour le régime. Mes enfants gardent encore aujourd’hui les stigmates de cette nuit passée entassés tous ensemble dans le couloir menant aux chambres de mon domicile. Vu la gravité de la situation, je demandai à mon épouse de partir avec les enfants puisque moi avec eux, ils seront certainement plus exposés au danger. Mais où aller ? La route du village ?

Les différents accès pour Alépé sont obstrués du fait du passage obligé par la commune d’Abobo où sévit depuis plusieurs mois un commando dit invisible. Peut-être le chemin du Ghana pour un exil ? Le choix est fait. Anaïs et les enfants me devancent. En début d’aprèsmidi, la nouvelle de l’arrestation du président Laurent Gbagbo est à la une des médias. Je décide de partir moi aussi par la « piste » Bingerville pour atteindre Bassam par le bac d’Ebra, avant de continuer vers Elubo via Bonoua, Aboisso et Noé. C’est d’ailleurs le choix de nombreux ressortissants – estampillés à tort ou à raison pro-Gbagbo- fuyant Abidjan par peur de représailles. Après une nuit en brousse, je ne dirai pas à quel niveau, me voici à Elubo. Après une autre nuit passée à Takoradi, me voici à présent exilé à Accra, la capitale ghanéenne.


Déjà à Abidjan, les rumeurs annonçaient beaucoup d’entre nous morts massacrés. L’exil pour moi va durer deux mois. Deux mois durant lesquels je m’organise discrètement pour le retour au pays parce qu’en réalité l’on ne peut être épanoui que chez soi. Malgré les réticences des uns et des autres quant aux risques encourus, je reste convaincu de l’opportunité de ma décision. Le 13 juin 2011, je suis enfin de retour. Je retrouve Abidjan qui avait déjà accueilli Anaïs et les enfants. Je reprends le boulot. Tout paraît beau. L’air d’Abidjan est plus ou moins respirable. En tout cas mieux que celui que je respirais en exil. Enfin je crois. Je veux être optimiste pour la suite.

Un mois après le retour, je suis arrêté et placé en détention préventive… J’en sors près de six mois après avec le statut d’inculpé en liberté provisoire… Je suis licencié au motif d’abandon de poste… Que représente alors pour moi le 11 avril 2011 ? C’était un peut-être gras pour d’autres mais un lundi noir pour moi… Chacun a donc sa réponse à cette question. Mes autres commentaires, je préfère les garder enfouis en moi en attendant d’y voir un peu plus clair… Je retiens juste qu’un an après, je suis encore en vie… Même si chacun peine encore à se retrouver. On a été nombreux à être épargnés, c’est une grâce.

C’est pourquoi en ce jour mémorable, j’ai une pensée pour eux… A toutes ces personnes dont le témoignage du 11 avril 2011 ressemble à quelques détails près au mien.

Une pensée pour tous ceux qui ont perdu la vie lors de cette longue et atroce crise. Les statisticiens ou « tacticiens ?» parlent de 3000  morts. Moi je ne veux pas m’essayer dans la guerre des chiffres. Je ne souhaite pas catégoriser ces âmes éteintes. Je veux juste penser à la souffrance de leurs proches qui ressentent aujourd’hui plus qu’hier ce vide laissé par leur enfant, parent, frère et soeur, collègues ou ami.

Une pensée pour tous ceux qui sont encore en exil. Pour avoir fait l’expérience de l’exil, ce n’est pas de gaieté de coeur qu’ils y sont. Et ils y demeureront certainement jusqu’à ce que le facteur risque soit le moins dominant dans leurs essais de pesée.


Une pensée pour tous ces détenus liés à la crise post-électorale. Je  pense aussi bien aux politiques qu’aux nombreux militaires, gendarmes, policiers et assimilés qui croupissent en ce moment dans les geôles. Si les « gros calibres », les politiques, jouissent d’un suivi plus ou moins constant de la part de certaines organisations internationales, les « anonymes » eux ne devront leurs sursis que si une amnistie survient après procès. Une pensée aussi pour tous les anciens détenus aujourd’hui en liberté provisoire. Ceux que j’ai nommés les  damnés. Ils ont tout perdu le temps d’un séjour carcéral et ils essaient de se remettre en selles. Avec prudence car leur moindre geste est interprété et peut être déversé à leurs charges. Nous sommes en réalité des prisonniers ambulants. A l’évidence, on est libre sans l’être vraiment.

Je pense enfin à tous ces Ivoiriens, simples citoyens, qui encore aujourd’hui vivent l’amère réalité de la cherté de la vie et qui attendent encore les soupçons d’éclaircis promis. A tous ces jeunes en quête d’emplois ainsi qu’à ceux qui viennent malheureusement de perdre leur travail. Et qui croient encore que demain sera meilleur. Une pensée pour vous.

Hermann Aboa

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