Surnommé le «Grand crocodile» pour son autoritarisme, Pieter Botha est mort à 90 ans en 2007, pendant son sommeil, à son domicile de Wilderness, dans la province du Cap, où il résidait après avoir été contraint d’abandonner le pouvoir en 1989.
Sous Botha, le monde avait pourtant changé. Dans les chancelleries occidentales, la ligne de front de l’anticommunisme occidental en Afrique que constituait l’Afrique du Sud n’était plus d’aucune utilité. Mal lui en prit de s’en être aperçu trop tard. La vague de fond surgie des townships aura fait plus que de submerger les écrans des télévisions.
Elle aura été le prétexte pour ses anciens alliés de siffler la fin de la coopération, comme pour dire qu’en politique, les Etats n’ont pas d’amis. Seul l’intérêt de l’heure compte. Nelson Mandela apparaissait pour les alliés d’hier comme le meilleur pion sur l’échiquier sud africain. Le chantre le plus zélé de la suprématie raciale s’en ainsi est allé, une nuit de 2007, emportant avec lui ses diableries, droit dans ses bottes, raciste jusqu’au bout de la nuit. Que le diable l’emporte !
Opposé aux réformes engagées par son successeur Frederik De Klerk qui sonnèrent le glas de l’apartheid, Pieter Botha avait cru pouvoir revenir à la politique discriminatoire sudafricaine, moyennant un replâtrage de façade, en réponse aux pressions internationales. L’histoire lui a définitivement donné tort.
Né en 1916, le jeune Botha, alors étudiant en droit, approche les mouvances afrikaners en adhérant au Parti national. Il évolue parallèlement au sein de l’Ossewabrandwag, une organisation ultranationaliste. Mais il se distancie de ce groupuscule dont les thèses sont incompatibles avec ses « préceptes chrétiens » pour se consacrer entièrement au Parti national au sein duquel il revendique l’apartheid comme système de référence pour la « défense des intérêts du peuple blanc ». Inamovible ministre de la Défense de 1964 à 1977, c’est sous son mandat que l’Afrique du Sud émerge en tant que symbole de la lutte contre la menace communiste sur le continent.
Devenu Premier ministre de 1978 à 1984, il ne parvient pourtant pas à changer l’image déplorable de son pays à l’étranger, sous le coup d’un embargo des Nations unies depuis 1977. Considéré comme un « éclairé » parmi les plus extrémistes, il lance les premières réformes de modernisation de l’appareil politique qui se matérialise par l’adoption d’une nouvelle Constitution qui favorise la représentation de 25 millions de métis et d’Indiens.
L’ouverture est timide, mais souligne un début d’inflexion sous le mot d’ordre « S’adapter ou mourir ». Bien malgré lui, l’homme qui déclarait encore il y a peu : « Nous vivons au milieu de grands sauvages qui en veulent à notre sang, qui nous haïssent et qui veulent nous arracher à ce que nous avons acquis », aura permis d’amorcer l’une des toutes premières « Perestroïka » africaines. Rien ne laissait pourtant présager cette lucidité.
Une chambre des représentants pour chaque « race »
En 1979, Pieter Botha lance une réforme constitutionnelle dont la principale innovation est la création d’un Parlement tricaméral, doté d’une chambre pour chaque groupe racial, sauf pour les Noirs sud-africains, toujours privés du droit de vote. Voilà où gît l’erreur de Botha. Qui sait si la création d’une chambre des représentants pour les Noirs n’aurait pas changé le visage de l’Afrique et conduit à une tout autre évolution politique sans Mandela ?
Une rencontre secrète prémonitoire
Dix ans plus tard, un mois avant d’être forcé de passer la main, en 1989, Pieter Botha avait tenté de se rattraper en organisant une rencontre secrète avec le chef du Congrès national africain (ANC), Nelson Mandela, en prison à Robben-Island. Mais la direction politique de l’Afrique du Sud lui avait déjà échappé. Devenu le Premier président noir d’une nation arc-en-ciel libérée du joug de l’apartheid, Nelson Mandela qui aura passé 27 ans en prison, dont une décennie sous la présidence de Botha choisit de se souvenir de la visite de Pieter Botha à Robben- Island et «des démarches que Pieter Botha avait entreprises afin d’ouvrir la voie vers l’accord final négocié pacifiquement dans le pays». Mais c’est Thabo Mbeki qui donna le fin mot de l’affaire en affirmant que : «Pieter Botha [avait] réalisé la futilité de lutter contre ce qui était inévitable», la fin de la ségrégation raciale en l’occurrence.
Sans regrets
Pieter Botha a toujours refusé de témoigner devant la commission «Vérité et réconciliation», mise en place par le gouvernement de Nelson Mandela. Il n’a jamais voulu présenter la moindre excuse aux victimes et à leurs familles, affirmant qu’il n’était pas au courant des assassinats et des cas de torture. Dans une interview, à l’occasion de ses 90 ans, il n’a manifesté aucun regret pour la politique de ségrégation raciale appliquée dès son entrée au gouvernement en 1961, dans les écoles et les quartiers.
La région Afrique australe aujourd’hui : la fin de la politique de l’endiguement du communisme
Dans sa stratégie militariste contre les pays de la «Ligne de front» antiapartheid, au moment de la chute du «glacis portugais» des anciennes colonies mozambicaine et surtout angolaise, en 1975, Pieter Botha, alors ministre de la Défense, avait soutenu un plan d’intervention militaire, en Angola, avec l’appui du gouvernement américain de Gérard Ford qui souhaitait installer un gouvernement prooccidental à Luanda. Pour combattre l’allié de Moscou et de Cuba, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir en dépit de «l’opération zoulou» conduite par Pretoria, l’Afrique du Sud apporta son aide logistique à l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), le mouvement rebelle de Jonas Savimbi soutenu par Washington et Kinshasa.
Après deux décennies d’implication militaire dans la région, mais surtout en Angola, un enjeu tout particulier en raison de sa frontière avec le Sud-ouest africain, la Namibie, elle aussi soumise aux lois de la ségrégation raciale, la fin de la Guerre froide, à la fin des années quatre-vingt, l’Afrique du Sud a été contrainte de négocier avec ses adversaires de l’intérieur et de l’extérieur : l’ANC, l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (Swapo)arrivée au pouvoir avec les élections de 1989 dans la Namibie indépendante, Cuba, dont les «barbudos» se sont retirés d’Angola.
Aaron Mayele in Le Télégramme