Cameroun: Le chercheur Théodore Lejuste Abobda a créé un coeur artificiel

Imaginez un cœur humain artificiel qui frôlerait la perfection de Dieu le Créateur. Ce cœur pèserait autant que l'organe biologique chez l'adulte : tout juste 280 grammes pour le sujet féminin et 300 grammes pour le sujet masculin. Et même que le cœur artificiel s'adapterait aux émotions humaines. Il battrait plus vite quand on a peur ou lorsqu'on fait le sport. Pendant le sommeil, le rythme cardiaque deviendrait lent et régulier.

Voilà en gros l'organe artificiel parfait qu'un jeune chercheur camerounais entend mettre au point. Et il est sur la bonne voie. Le sujet a fait l'objet de la thèse de doctorat que Théodore Lejuste Abobda, âgé de 29 ans, a soutenue le 24 avril 2015 au département de physique de l'université de Yaoundé I. La mention en dit long sur l'intérêt de sa recherche : très honorable avec les félicitations du jury. Un panel scientifique dont les membres, d'éminents

physiciens camerounais, ont certainement leur mot à dire en ces temps de mondialisation des savoirs.

Le Pr Timoléon Crépin Kofane est lauréat 2014 du Prix Kwame Nkrumah de l'Union africaine en sciences fondamentales, technologie et innovation. Il siège à l'Académie des sciences du Cameroun. Le Pr Paul Woafa a remporté le Prix Humbodlt en physique, intégrant le cercle très élitiste des chercheurs du monde consacrés par cette distinction.

Il est aussi lauréat du Prix Third World Academy Science, une consécration destinée cette fois aux pays en voie de développement. Les autres membres de ce jury ne sont pas moins des chercheurs rompus à la tâche. Il s'agit des professeurs Bernard Essimbi Zobo, Alidou Mohamadou et Hilaire Fotsing.

Chercheur avant-gardiste

Fort de tous les avis favorables donnés aux travaux qu'il a menés jusqu'ici, le désormais Dr Abobda a trouvé une motivation supplémentaire pour achever la mise au point de son cœur artificiel. Le spécimen pourrait être unique dans le monde, puisqu'il serait le plus performant jamais fabriqué. Et le jeune chercheur sait qu'il peut frapper un grand coup : « J'ai pris en compte tous les cahiers de charges internationaux et j'ai fait une revue des modèles de cœur artificiel mis au point jusqu'ici. Pour la plupart, ils ont un défaut : leur incapacité à gérer les émotions.

Or, le mien pourra intégrer cette donnée. Il existe des prototypes trop gros pour être implantés dans l'organisme humain. Il y en a dont les batteries ont une autonomie limitée. Mon spécimen viendra résoudre tous ces problèmes. Le modèle qui s'en rapproche dépend encore d'une alimentation électrique externe.

Des câbles sont intégrés dans le corps humain pour relier le cœur artificiel à la batterie externe que le patient porte sur lui. En plus, le malade doit s'équiper d'un dispositif de recharge du générateur d'énergie. Le dispositif peut être une ceinture ou une sorte de sac à dos. »

S'il est convaincu que les paramètres de son cœur artificiel vont se rapprocher le plus possible de ceux d'un organe biologique, le plus important pour lui est de le doter de l'alimentation électrique la plus durable possible. La puissance consommée par l'appareil sera de 4 watts, soit moins du quart de la consommation d'une ampoule économique. Il y a là de quoi permettre à la batterie intégrée de durer plus longtemps.

Les essais sont bien avancés. En effet, pour sa thèse de doctorat, le Dr Abobda a mis au point un modèle de cœur externe bien plus gros qu'un cœur humain normal. L'organe artificiel a très bien fonctionné. Ce cœur made in Cameroon a été réalisé au sein du laboratoire de modélisation et simulation en ingénierie, bio-mimétisme et prototype de l'université de Yaoundé. Nul besoin de rappeler le dénuement de cette unité de recherche.

Le jeune chercheur s'est débrouillé à trouver du matériel de récupération. Il y a toujours quelque chose à sauver d'un transformateur électrique grillé ou d'un adaptateur hors d'usage. Pendant trois ans, le cœur artificiel a ainsi été monté, petit à petit. Il a été réajusté plusieurs fois, sans que son fabricant se plaigne de recommencer. Pour un résultat qui a laissé le jury admiratif.

Le Cameroun pourrait bien devenir le grand hôpital mondial du cœur. Il y a déjà le Cardiopad d'Arthur Zang qui permet de faire des diagnostics à distance, sans aucun contact physique avec le patient. Le Dr Abobda sourit à l'idée d'être sur les pas de cet autre jeune inventeur camerounais désormais connu à travers le monde pour sa tablette médicale.

L'ingénieur Arthur Zang n'avait que 23 ans lorsqu'il a créé le Cardiopad. Mais il y a encore du chemin à parcourir pour le Dr Abobda qui doit encore peaufiner son invention. Maintenant que l'organe est au point, la prochaine étape consiste à fabriquer un appareil miniaturisé, implantable dans le corps humain et disposant d'une grande autonomie.

Sauver des cœurs malades

Depuis la soutenance de sa thèse de doctorat, le jeune physicien recherche des financements pour poursuivre son aventure qui continue de le tenir en haleine, comme au premier jour. « A ce stade, je ne peux plus travailler avec du matériel de récupération. La sélection des matériaux est déterminante.

Ils doivent être biocompatibles pour que l'organisme humain accepte le cœur qui lui sera greffé. Je dois tout commander à étranger, car rien n'est fabriqué sur place au Cameroun », explique le chercheur. Dans le monde, la fabrication d'un prototype de cœur artificiel est évaluée à au moins 20 millions F.Cfa. Le spécimen du jeune Camerounais coûtera un peu plus. Mais il se veut rassurant : « J'entends utiliser les meilleures composantes qui existent. Evidemment, ça coûte plus cher. Le plus important sera le bénéfice sanitaire de l'appareil, c'est-à-dire sa nouveauté et sa durabilité. »

L'organe artificiel proposé ne sera que le traitement ultime réservé au patient chez qui il faut changer le cœur. En amont, le Dr Abobda propose un assistant ventriculaire destiné à tout cœur malade, dont le ventricule gauche viendrait à s'essouffler. « L'assistant ventriculaire est une moitié de cœur. Il prend la relève du ventricule gauche le temps que celui-ci se repose. En effet, c'est ce ventricule qui travaille le plus, car il pompe le sang dans tout l'organisme, contrairement au ventricule droit qui n'alimente que les poumons », explique le chercheur.

Les seules compétences du physicien ne suffiront pas à la réussite du projet. « Le travail du chimiste, du biochimiste et du biologiste est important pour qu'il y ait compatibilité entre le corps humain et le cœur artificiel. Il faut également travailler avec les chirurgiens cardiaques, car ce sont ces spécialistes qui feront l'implantation plus tard », explique le Dr Abobda.

A ce stade, il n'est plus à démontrer la portée de son invention. C'est une solution de rechange à tout cœur malade, dans un contexte mondial où les maladies cardiaques demeurent parmi les principales causes de décès : 30% selon l'Organisation mondiale de la santé. Plus grave, le mal progresse en Afrique alors qu'il régresse ailleurs dans le monde. Evidemment, la situation du Cameroun est problématique. Le Dr Abobda en a personnellement fait le triste constat : « Il suffit de voir combien est difficile la prise en charge des personnes atteintes de l'hypertension.

Elles devront vivre toute leur vie avec un mal qu'on ne pourra jamais soigner. Il y a de plus en plus de malades au Cameroun. Or, avec plus de 20 millions d'habitants, le pays ne compte que 18 cardiologues. La capitale Yaoundé n'offre que des soins de stimulation cardiaque. La chirurgie cardiaque n'y est pas encore pratiquée. Il faut se rendre à l'hôpital de Shisong dans la région du Nord-Ouest, pour bénéficier de la chirurgie cardiaque pour enfants. »

Pionnier

Il n'en fallait pas plus pour décider le jeune Camerounais à se lancer dans le domaine de la technologie médicalement appliquée : « Avec une formation de bio-ingénieur, je me suis demandé ce que je pouvais apporter. Mais le physicien que je suis ne peut proposer des appareils que pour le cœur ou les vaisseaux sanguins.

Alors j'ai choisi de travailler sur le cœur. » Il s'engouffre ainsi dans un champ encore inexploré. Jusque-là, l'unique recherche consacrée au système cardiovasculaire a permis de proposer des prothèses artérielles plus stables, pour faciliter la circulation sanguine. « En réalité, il y a de la réticence à se frotter à ce domaine qui nécessite d'allier théorie et pratique. Surtout, il faut travailler avec le personnel médical et acquérir des connaissances en médecine », rappelle-t-il.

A 29 ans, Théodore Lejuste Abobda a soutenu sa thèse de doctorat en physique et mène des travaux d'un intérêt avéré. C'est le fruit de sa passion pour les sciences dures. « Dès le bas âge, il montrait déjà des prédispositions pour les mathématiques », se souvient l'une de ses tantes. C'est sans surprise que le jeune Théodore Lejuste décroche son baccalauréat série C et s'inscrit en fac science de l'université de Yaoundé I où il fait un parcourt sans faute.

Pourtant, depuis la soutenance de sa thèse, notre chercheur n'a plus le droit de travailler dans le laboratoire de l'institution. Encore qu'il lui en faut davantage pour continuer d'avancer dans ses recherches. La solution viendra de quelqu'un qui mettra des moyens à cette fin et aura la patience d'attendre que l'invention aboutisse : pas moins de 10 ans. Notre jeune docteur recherche aussi des collaborations internationales.

Il nourrit l'ambition de créer au Cameroun une entreprise qui propose de la technologie appliquée à la médecine, mais plus généralement, de la technologie qui améliore la vie des Camerounais. Là encore, Arthur Zang reste un modèle à suivre. Son Cardiopad lui a permis de monter son entreprise, Himore Medical, spécialisée dans la conception et la fabrication des appareils médicaux. Le chercheur et l'entrepreneur peuvent être une seule et même personne en fin de compte, pour le succès de la science.

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