L'école, réponse à tous les maux africains ?

Quinze années de croissance moyenne à 5 % ont permis de changer l'image de l'Afrique dans le monde. Autrefois continent des laissés pour compte, beaucoup la voient désormais comme la locomotive de demain. Le berceau de l'humanité est en plein développement, et les augures sont positifs : certains observateurs prédisent même que la tranche 2020-2050 correspondra aux trente glorieuses africaines. Malgré ces perspectives très encourageantes, le continent est encore miné par des violences endémiques (Boko Haram, en passe d'exporter son idéologie destructrice du Sahel vers l'Afrique centrale, les crises durables au Rwanda, en Centrafrique, au Soudan…) Ces dérives sont susceptibles d'affecter considérablement l'envol du continent, spécialement pour la jeune génération, particulièrement vulnérable. La solution : soutenir l'éducation, afin que la jeunesse soit armée pour prendre part au monde de demain, mais aussi pour pouvoir combattre les idéologies radicales ou voir par-delà les rancunes historiques qui divisent les populations et empêchent le continent d'atteindre son plein potentiel.

45 % des enfants non scolarisés sont Africains

Le taux scolarisation mondial progresse. Il est passé de 82 à 89 % entre 1999 et 2010, mais l'Afrique marque toujours un retard conséquent. C'est encore plus vrai en Afrique subsaharienne, où le taux net de scolarisation en primaire plafonne à 76 % – même s'il y a eu une amélioration conséquente par rapport à 1999, où ce taux était de 58 %. En 2010, 45 % des enfants non scolarisés dans le monde vivaient en Afrique. En Afrique subsaharienne, un tiers des jeunes n'achèvent pas leur scolarité primaire, ce qui impacte sensiblement l'emploi et la pauvreté. Plus de 56 millions de jeunes Africains âgés de 15 à 24 ans – soit un jeune sur trois – n'ont même pas achevé leur cycle primaire de scolarité et n'ont pas pu acquérir les compétences de base assurant un accès à l'emploi. En 2000, les Nations Unies se sont fixées comme objectif de généraliser la scolarisation au primaire en 2015 : cet objectif ne sera pas atteint.

Quand bien même il le serait, cela ne garantirait en rien un apprentissage valable : dans le monde, 250 millions d'enfants en âge de fréquenter l'école primaire ne savent ni lire ni écrire, qu'ils soient scolarisés ou non. L'Unesco l'explique par le fait que les taux de scolarisation actuels sont souvent surestimés, ou artificiellement boostés. Ils ont parfois été obtenus en entassant des enfants dans des salles de classes à 60 ou 100, dégradant considérablement les conditions d'éducation. La ministre de l'Éducation du Burkina Faso, Marie Odile Bonkoungou, déplorait en 2010 qu'« en Afrique subsaharienne, il manque 4,5 millions de professeurs », faute de moyens. La situation n'a que très peu évolué, l'explosion démographique en cours devrait encore l'aggraver. La Banque africaine de développement estime que le nombre de jeunes Africains, aujourd’hui de 200 millions, va doubler d’ici 2045.

Scolariser pour lutter contre la pauvreté et le terrorisme

A cela s'ajoute la discrimination sexuelle. Un rapport de la Banque mondiale intitulé Les enfants d'Afrique ont-ils tous les mêmes chances ? souligne les différences importantes d'accès à l'éducation entre garçons et filles. Coauteurs du rapport, Andrew Dabalen et Ambar Narayan, se sont servis d'un indice d'opportunité humain (en anglais, Human Opportunity Index, HOI), utilisé depuis 2008. Cet outil permet à la fois d'évaluer la capacité d'une société à offrir des opportunités au plus grand nombre et de savoir si cela est fait de façon équitable dans les différentes couches de cette société. Il apparait que les filles sont largement lésées.

Cet accès inégal à la formation est à l'origine d'une fracture scientifique entre pays développés et pays en voie de développement qui n'est pas sans conséquences sur le marché du travail. Très logiquement, une faible scolarisation entraine une faible création d'emplois dans les secteurs modernes employant des diplômés. Or, sans ces secteurs cruciaux et dynamiques (le développement durable reste l'exemple le plus parlant compte tenu de l'urgence de changer nos modes de production) l'Afrique ratera le coche de son propre envol. Assimilation de technologies et de méthodes innovantes, création de nouveaux outils/logiciels et de nouveaux emplois sont autant de facteurs clés du développement dont se prive un pays ne mettant pas en œuvre une politique publique de scolarisation suffisante.

Mais l'économie n'est pas la seule à subir les lourdes conséquences du déficit d'enseignement en Afrique. La construction de la citoyenneté pâtit également de ces lacunes. La déroute du système d'éducation publique produit l'ignorance – y compris des préceptes de l'Islam – sur la base de laquelle prospèrent tous les obscurantismes. Rappelons à cet effet que le nom de la secte salafiste djihadiste « Boko Haram » signifie « l’école laïque est un pêché », Boko Haram sévissant principalement au Nigéria, pays comptant plus de 10 millions d'enfants non scolarisés.

L'inactivité économique de jeunes qui peinent à trouver une place dans des sociétés patriarcales offre aux mouvements fondamentalistes un vivier de recrutement : l'action djihadiste donne une source de revenus, un statut social, un sentiment d'appartenance. La formation d'enseignants et la construction d'écoles contribuent à réduire les phénomènes de désintégration sociale et professionnelle, auxquels la radicalisation apporte une réponse aussi efficace qu'effroyable.

A l'instar du Kenya, de la Tanzanie, de l'Ethiopie, de la Namibie ou du Mozambique, certains pays africains ont réussi, grâce à une politique volontariste, à augmenter leur taux de scolarisation ces dernières années. Avec un indice HOI de plus de 80, le Zimbabwe arrive en tête du classement africain en la matière. D'autres en revanche, comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso peinent à relever le défi. 70 % des enfants de ces pays ne sont jamais scolarisés. Difficile de ne pas être tenté d'y voir un effet collatéral de la langue officiel de ces pays, le français, puisqu'a contrario tous les pays situés en tête du classement parlent anglais.

La société civile à la rescousse – l'exemple de Children of Africa de Dominique Nouvian

Pour lutter contre cette fatalité, de plus en plus de pays africains francophones multiplient les initiatives en faveur de l'accès à la scolarisation. C'est le cas notamment de la Cote d'Ivoire, dont le contingent de professeurs a fortement augmenté ces dernières années, et qui peut par ailleurs compter sur des acteurs non gouvernementaux pour prolonger son effort. Le plus notable est bien entendu la fondation Children of Africa, créée en 1998 à l'initiative de la Première Dame du pays, Dominique Nouvian. L'organisme vise à aider les enfants d'Afrique en développant une approche « tout-terrain » du problème.

En créant des bibliobus (sortes de bibliothèques ambulantes), en finançant des écoles rurales, en livrant des manuels scolaires et des uniformes dans les régions les plus isolés, Children of Africa cherche à dénicher les enfants non scolarisés où ils se trouvent, et leur permet de suivre un enseignement sans avoir à parcourir quotidiennement des dizaines de kilomètres à pied. Une priorité, sur un continent où de nombreuses populations sont excentrées, où le manque d'infrastructures ne permet pas de se rendre (rapidement) en ville, et où il convient donc de faire en sorte que l'éducation aille à la rencontre des élèves plutôt que l'inverse.

Si Children of Africa, de par son envergure, est l’une des plus notables fondations de ce type, les acteurs de la société civile ne peuvent cependant pas tout, faute de moyens, et doivent en parallèle compter sur des politiques étatiques volontaristes. La connaissance pointue des spécificités du terrain de ces acteurs non-gouvernementaux doit par ailleurs permettre aux Etats de mieux orienter leurs budgets, afin de cibler les actions à entreprendre. Un modèle de coopération vertueuse qui, seul, permettra à l’Afrique d’offrir une éducation de qualité à tous ses enfants.

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