La CAN-2019 retirée au Cameroun: Lettre ouverte à Paul Biya – épitre 2

Vous auriez pu sauver les meubles cher Monsieur ! Comme il y a un mois déjà, je vous écris encore pour attirer votre attention sur ce qui, peu à peu, se développe comme une corde d’attrape-nigauds. Vous êtes quelqu’un d’une vaste culture, si vaste que vous pouvez seulement vous asseoir dans une salle et éduquer les doctorants, sans bord. Vous êtes plus qu’un livre écrit et votre expérience est plus qu’une bibliothèque aménagée. Donc, commettre erreur après erreur comme le monde vous observe le faire sous le regard ébahi des astres ne vous honore pas, monsieur Biya.

Je vous ai dit il y a un mois de laisser tomber « l’affaire-là » et de remettre les clés au président élu. Je sais que vos collaborateurs ont reçu cette lettre dès les premières heures de son existence. Elle leur avait été transmise comme en main propre. J’ose croire qu’ils vous en ont informé et vous en ont livré la teneur. Sinon, de toute façon vous pouvez toujours vous fier au contenu de celle-ci pour sauver les meubles.

Monsieur Biya, j’aime souvent partir d’une historique, ou en établissant quelques faits, pour ne pas faire dans l’émotion seulement, bien qu’il ne soit pas honnête de vous promettre que je garderai ma froideur scientifique dans une aussi brûlante atmosphère circonstancielle. Il se trouve donc que le Cameroun, pays que nous déclamons aimer si tant, vient de perdre la face à Accra au Ghana devant de nombreux observateurs. La CAF (Confédération Africaine de Football) vient de retirer l’organisation de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) au pays des Lions Indomptables pour l’année 2019.

Vous comprenez qu’une telle nouvelle nous a sortis du lit et nous a assommés sur ce qui nous restait d’instinct d’orgueil. C’est accablant de savoir que le football n’est plus l’objet principal de notre mesure de valeur. En fait, historique encore, la dernière fois que le Cameroun a organisé cette compétition vous étiez promu Ministre d’état, secrétaire général à la Présidence de la République. Précisons que votre promotion venait deux mois plus tard parce qu’en février et mars de la même année, vous étiez déjà au poste de Ministre Secrétaire Général à la Présidence de la République. Donc, vous étiez au centre de l’organisation des choses en 1972. C’est dire que vous savez ce qu’il faut pour faire réussir une compétition de haut niveau, même comme il n’y avait que huit équipes sur la liste.

De là à maintenant, avec d’incomptables professeurs agrégés dans vos rangs, si vous ne réussissez pas à répliquer ce que votre mentor et prédécesseur avait déjà réalisé il y a 46 ans, il y a problème, n’est-ce pas. En 1972 encore vous étiez parmi la petite poignée de jeunes africains qui possédaient un diplôme de hautes études de droit. Fait qui nous amène encore à penser que votre ouverture intellectuelle vous plaçait à l’épicentre de l’organisation de la CAN. Alors, Monsieur Biya, venons-en aux réalités que les faits nous présentent.

Comme on dit au quartier, marche comme d’habitude, l’affaire-là te dépasse.

Non, en vrai, il est encore temps pour faire le geste qui sauve. Celui qui vous a conseillé de vous représenter pour un autre septennat vous a vendu du rêve, pas une opportunité. Soyez assez sobre pour l’admettre. Voyez-vous, si vous ne vous représentiez plus, peut-être que la CAF serait arrivée à la même résolution puisque même le Président Kamto n’aurait pas fait grand-chose en un mois après son investiture. Si l’argument du retard des travaux est l’argument directoire de la décision de cette instance, alors l’euphorie même d’un nouveau régime n’y aurait vraiment rien fait. Et si l’autre argument de l’insécurité était à considérer, une fois encore, un mois n’aurait pas été suffisant même si un cessez-le-feu prenait effet immédiat après la proclamation de sa victoire.

Remontons donc les scenarii. Le matin du 7 octobre 2018, vous n’êtes pas sur la lice. Le soir du 23 octobre 2018, Maurice Kamto est déclaré Président de la République. Le 30 novembre 2018, la CAF retire l’organisation de la CAN au Cameroun. Quelle chance pour vous ! Tout le pays est à l’émoi. L’on pleure un événement et l’on pleure un homme : Monsieur Biya. Tout le monde allait se mettre à dire, « si notre président était là… » un peu comme un sardinard avait chanté, « Eyong pepa wam agabéé, djom yi ndjiki mabo mbol wui. » Traduction « quand mon père était là, rien de pareil ne m’était arrivé. » Vous seriez devenu le héros de la nation, même à ceux qui voulaient vous voir partir. Vous siroteriez votre vin de raphia à Mvomeka’a sans vous casser le corps. Mais ce n’est pas le cas maintenant. Maintenant, à part la déception, notre pays va aussi verser une somme de 500.000 dollars d’amande à la CAF d’après les dispositions de l’article 90 al.3 de cette instance. Vous voyez autant de dépenses pour un pays aussi démuni que le nôtre en plus des 700 milliards déjà dépensés pour cette organisation avortée !

Maintenant même vos dévots doivent se mordre les lèvres. Qu’est-ce qu’ils pensent à votre avis ? C’est de ça que je parle. A vous de voir. Tout n’est pas perdu, je vous le redis. Vous pouvez encore sauver les meubles. Et voici comment.

1. Faites l’impensable : reconnaissez que cet échec du Cameroun est totalement vôtre.

Eh bien, par mauvais orgueil de la part de vos incontinents conseillers, vous serez amené à ne pas adopter une position aussi noble. Ils vous trouveront de multiples autres raisons pour échapper à la culpabilité. Mais le temps n’est plus à ce jeu incongru.

2. Faites l’impensable : dirigez pour quelques petites années et passez le pouvoir à quelqu’un d’autre

J’ai mal à vous demander de rester encore pour un seul jour parce qu’en fait vous n’êtes plus le président élu, vous voyez ? Mais, écoutez, nous sommes déjà dans de sales draps, plus rien à faire de meilleur.

3. Faites l’impensable : Mixez votre gouvernement avec du sang neuf.

Le professeur Kontchou avait dit qu’on ne change pas l’équipe qui gagne. Mais on renouvelle la vigueur de cette équipe pour qu’elle continue à gagner. Le sport n’est pas le seul jeu qui fatigue. La politique est très lourde sur la personne. Elle fatigue tout autant. En fait, cela peut faire l’objet de votre cours magistral à la fac : vous vous y connaissez mieux. Prenez une bonne portion de jeunes de moins de 50 ans pour votre gouvernement. Ils relèveront votre conseil et vous aideront à sauver ce qui reste à sauver.

Si vous faites fi de cette lettre, voici ce qui pourrait, peut-être, vous arriver. Ceci n’est pas une prophétie, de peur que nul ne me méprenne. Ce n’est pas le dévoilement du plan de destitution du pays par un quelconque groupuscule. S’il y a un tel groupuscule, alors je n’en fais pas partie. Alors ce que je suis sur le point de vous dire, Monsieur Biya est simplement une prédiction analytique eu égard à l’histoire récente de la politique régionale.

Si vous continuez à vous entêter de ne pas lire les panneaux de signalisation, il va arriver un temps où ceux sur qui vous comptez le plus vous lâcheront au moment où vous l’attendez le moins. Si vous voulez un croquis, prenez pour preuve les gens comme Essimi Menye. Donc,

1. Vos acolytes vous lâcheront lâchement

Ils chercheront à se mettre à l’abri.

2. La pression contre vous montera crescendo et vous écrasera pour sûr.

La nouvelle masse critique qui s’est accumulée au pays ne cessera de croître.

3. Vous ferez erreur sur erreur de façon continue.

Vous vous attirerez des sorts accablants et même les messes écuméniques ne vous en sauveront guère.

4. Vous sortirez de là aux sons contraires

Pour le moment vous bénéficiez des sirènes de bonheur ; votre sortie, si elle est forcée, ne sera pas si honorifique.

En mot de fin, Monsieur Biya, je comprends que la psychologie comportementale explique que quand quelqu’un dit, « non » il faut trop d’effort pour le faire changer d’avis à cause de la fierté. Mais vous pouvez battre la psychologie et sauver les meubles.

Ton bien-aimé Vitalis Essala depuis l’oncle Sam.

* Vitalis Essala, sociologue et écrivain

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