On ne décrète pas une Révolution, on la constate (Par Arnaud Tcheutou)

D’entrée de jeu, petite clarification au sujet des verbes « décréter » et « constater ». Décréter présuppose que le motif ayant suscité le décret peut être irrévélé, méconnu ou obscur. Autrement, le public peut ne pas savoir ce qui a motivé un décret ; d’où l’usage habituel de l’expression « pouvoir discrétionnaire » pour qualifier la fonction de celui/celle qui décrète. Décréter une révolution reviendrait donc à dire que les bases concourant à ce décret sont obscures voire inexistantes et du coup, ce décret revêt un caractère hautement subjectif et fort discutable. À l’opposé, on ne peut pas faire un constat sur la base de rien. « Constater » présuppose qu’il y a eu un préalable, une cause ou des événements ayant conduit à la conséquence qu’est le constat. Quand je dis, « Je constate que tu es joyeux », cela suppose que j’ai noté au préalable des signes traduisant la joie : ça peut être le sourire, l’avenance, etc. Constater une révolution voudrait ainsi dire qu’on a noté des éléments permettant de conclure à une révolution.

  1. Le nœud de l’affaire

Cette réflexion a pour objectif de questionner la révolution, non pas pour la définir mais dans le souci de clarifier le moment où elle est constatée. En d’autres termes, à quel moment constate-t-on une révolution ? Au début du processus, pendant ou à la fin ? Doit-on même le faire au début, si aucun résultat n’a encore été obtenu ? La révolution est constatée sur la base du bavardage ou des résultats concrets ? Des voix se lèvent au sein des partis dits de l’opposition et crient à la révolution. Ceux et celles qui les portent disent à tue-tête qu’ils sont engagés dans une lutte révolutionnaire au Cameroun. Ils entendent renverser le régime de Paul Biya et le remplacer par un système tout neuf. Rien n’est fait sur le terrain. Aucune marche, aucun soulèvement, les rues sont désertes de tout soubresauts se réclamant d’un mouvement et s’inscrivant dans un tel objectif.

Les Ambazoniens eux-mêmes ne se sont jamais revendiqués révolutionnaires, bien qu’ils mènent une guerre contre le régime de Paul Biya à travers leur mouvement séparatiste. Ils ont un objectif, l’indépendance de l’espace, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, qu’ils nomment l’Ambazonie. Cela dit, pour eux, si les huit autres régions du Cameroun croupissent encore pendant des centenaires sous l’actuel régime, cela ne leur pose aucun problème, car ils n’ont pour souci que le détachement des deux régions sus citées du reste du Cameroun. Ils ne sont donc point dans une révolution. Ce ne serait même pas le cas, puisqu’ils n’ont encore rien obtenu comme résultats probants pouvant permettre de constater la révolution.

Nous serions restés à observer les discours aller dans tous les sens si des personnalités politiques et intellectuelles remarquables du Cameroun ne se prêtaient pas à ce que nous considérons comme une dérive de l’usage du concept « Révolution ». Permettez que nous ne mentionnions aucun nom. Ceci pour éviter la stigmatisation des uns ou des autres. La logorrhée prend de l’ampleur dans les réseaux sociaux, lieu où tout se joue à ce jour, si bien qu’épingler quelques-uns serait inutile. Il s’agit en réalité d’un discours repris presqu’en cœur par des partisans et sympathisants de l’« opposition » et beaucoup plus par ceux acquis à la cause du parti MRC (Mouvement pour la Libération du Cameroun). Vous n’avez qu’à parcourir les pages Facebook de ceux-ci, écouter et regarder les vidéos de plusieurs de leurs leaders pour vous en rendre compte. Ils écrivent et parlent de la révolution, d’une révolution qu’ils seraient en train de mener. D’où encore la question : à quel moment constate-t-on une révolution ?

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La démarche de ces militants et sympathisants pose un problème fondamental: ils parlent de révolution alors que le processus devant y mener n’a pas encore abouti, pire, n’a même pas encore commencé. Tout se passe comme s’ils sont à la fin d’un processus qui n’est pas encore enclenché. En clair, on ne constate pas la révolution avant mais après. C’est au terme d’une lutte et sur la base d’importants bouleversements structurels survenus qu’on est en droit de qualifier le mouvement ayant conduit à ce nouvel ordre, de révolution. Prenons le cas de la France en 1789.

Contrairement à l’idée répandue, la Révolution française n’a pas eu lieu en 1789. Cette date, marque le déclenchement d’un vaste mouvement de luttes et revendications sociales de grande ampleur qui va se poursuivre jusqu’aux environs de 1799. Il s’agit donc d’un processus au cours duquel s’enregistrent des changements tels la Prise de la Bastille le 14 juillet 1789, la fin de l’Ancien Régime en 1792 et bien d’autres. Le 5 mai, quand les Français excédés se jettent massivement dans les rues, leur intention première est de mettre fin au Régime des privilèges pour certains, mieux de faire tomber la monarchie. Or, la monarchie française n’est pas tombée en 1789, le Régime des privilèges n’a pas cessé en 1789, c’est pourquoi la lutte a continué. Ce sont les résultats sociopolitiques engrangés d’années en années, et vu le nouveau visage que prend la France, qui permettent aux Français de se retourner au bout d’un certain temps et de se dire: Waouh, nous avons opéré une révolution.

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Les résultats étaient là et ce sont ces résultats qui définissaient le chemin parcouru par les Français comme une révolution. En passant, il est important de faire observer que des mouvements sociaux de moindre ampleur avaient cours en France avant 1789, mais personne ne les a jamais qualifiés de révolution. Notez que de braves Camerounais se sont engagés dans un grand mouvement de luttes et revendications sociales qui a duré à peu près deux ans, si on considère son début en 1990 et sa fin en 1992. Ils ont obtenu quelques résultats, voire quelques avancées comme le retour au multipartisme, le droit à plus de liberté, etc. Pourtant, il ne vient à l’esprit de personne de dire que ces combattants ont opéré une révolution. Pourquoi? Tout simplement parce que les résultats qu’ils ont obtenus ne sont pas suffisants pour donner à leur mouvement le visage de la révolution.

D’où vient-il donc qu’en 2020, on peut remonter à l’après 7 octobre 2018 si on veut, aucun mouvement sociopolitique de masse ne soit enclenché sur le terrain, mais que des gens parlent déjà de révolution? Il faut se souvenir qu’ailleurs des gens ont qualifié des mouvements de soulèvement de révolution alors que ceux-ci n’ont abouti à rien de fondamental et que, parfois, ces mouvements sont morts de leur belle mort. On a parlé de la deuxième révolution burkinabé, après la première conduite par Thomas Sankara, quand le peuple du Faso a évincé Blaise Compaoré en 2014. Quand vous regardez le Burkina Faso aujourd’hui et vous jetez un coup d’œil en arrière, pouvez-vous dire que ce fut véritablement une révolution, puisqu’on a encore et toujours les hommes du système Compaoré au pouvoir ?

En un mot, je voudrais dire que nous devons faire attention à l’usage abusif des concepts. Le monde est devenu tel que des esprits peu avertis répètent tellement des contre-vérités que celles-ci finissent par induire certains esprits éclairés en erreur et passent malheureusement pour être des vérités. Il faut donc être vigilant et éviter de se laisser entraîner par des courants inappropriés! Une révolution ne se décrète pas, encore moins avant tout soulèvement populaire décisif, mais elle se constate au bout d’un processus sur la base des bouleversements structurels profonds. Cela dit, ce sont les résultats obtenus qui donnent à un mouvement la stature de Révolution.

Amicalement!

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