Afrique : victime de la guerre psychologique

Le continent et ses habitants subissent sans le savoir, et avec la complicité des dirigeants, un matraquage mental qui vise à leur enlever toute dignité, et cela dure depuis des siècles.

Dans l’histoire des peuples noirs, donc de l’Afrique, la domination exercée par les impérialistes s’est toujours faite grâce à la guerre, qui s’est souvent manifesté pas ses aspects violents et barbares. Au fond, le côté sauvage de la guerre ne s’est souvent révélé que lorsque les esclavagistes d’abord, et les impérialistes ensuite, rencontraient de la résistance sur leur chemin. En réalité la guerre se jouait au niveau du mental, de l’intelligence, ce qu’ils plus tard appelé guerre psychologique. Elle est définie comme « l’utilisation de techniques psychologiques pour amener l’adversaire à penser qu’il est en position de faiblesse ou qu’il a intérêt à se rendre. C’est la guerre par les idées plutôt que par les armes matérielles. » De tout temps, elle a toujours consisté à faire croire à l’homme noir qu’il est tout sauf un être humain, qu’il n’est qu’un singe évolué. Ou plus, il est l’incarnation du mal, de la méchanceté et de la barbarie, conforté par les symboles religieux, qui présentent Dieu le bon comme blanc et satan le méchant comme noir. On peut remonter aussi loin qu’en 1685 avec  Le Code noir, un recueil d’une soixantaine d’articles qui rassemble toutes les dispositions réglant la vie des esclaves, considéré comme un meuble qu’on peut vendre,  permet les châtiments corporels pour les esclaves, y compris des mutilations comme le marquage au fer, ainsi que la peine de mort (articles 33-36, et article 38) : tout fugitif disparu pendant un mois (marronnage) aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur l’épaule avant d’avoir le jarret coupé en cas de récidive, pour être simplement tué s’il tente pour une troisième fois.  

Tiers homme

Plus tard, avec l’abolition officielle de l’esclavage, puisqu’elle est restée officieusement active, les impérialistes se sont réunis à Belin en Allemagne en 1884 pour se partager le territoire occupé pas ces singes évolués, territoires qu’ils avaient qualifiés de « tiers-monde ». Ils ont adopté la charte de l’impérialisme qui dit par exemple : article 2° : Aucun pays du tiers-monde ne constitue un Etat souverain et indépendant, article 3° : Tout pouvoir dans les pays du tiers-monde émane de nous, qui l’exerçons par la pression sur
les dirigeants qui ne sont que nos marionnettes. Aucun organe du tiers-monde ne peut s’en attribuer l’exercice ou l’article 8° : qui dit qu’ « on ne négocie pas les accords et les contrats avec les pays du tiers-monde, on leur impose ce
qu’on veut et ils subissent notre volonté.» L’utilisation des expressions péjoratives à chaque fois n’étant pas fortuite, mais ayant pour but de rappeler à au Noir qu’il est inférieur, ou plutôt que si on pouvait lui accorder un statut, il serait considéré comme le tiers d’un être humain normal. Des discours soutenu par des théoriciens comme le philosophe allemand Arthur Schopenhauer mort en 1860, qui disait que « l’homme nègre a une conscience prélogique et essentiellement alimentaire »

Après l’impérialisme et la colonisation, est arrivée la période des indépendances. En respect de l’article 8 de la charte de l’impérialisme, les colons ont fait semblant de partir pour mieux rester, en laissant sur place des « marionnettes » comme prévu dans cet article, avec des peaux noires et des masques blancs. Simplement parce que le noir était encore jugé incapable, dépourvu de bon sens pouvant lui permettre de se prendre en charge. Même à l’air moderne le discours a continué. Jacques Chirac disait en 1990 que l’Afrique n’est pas assez mûre pour la démocratie, et l’un de ses successeurs à l’Elysée, Nicolas Sarkozy dira aussi que l’Afrique n’est assez entrée dans l’histoire. Beaucoup continuent de penser que « le nègre » est en dehors du temps, et est hors-jeu des jeux et enjeux de ce monde en ce qui concerne l’intelligence humaine et scientifique, et qu’il suffit de lui jeter un morceau de pain par terre qu’il courra pour le ramasser.

Intimidation

Les colons au Cameroun

Cette  guerre psychologique destinée à martyriser la conscience noire a été développée avec le temps par des techniques multiformes. L’une des plus utilisées et la surveillance, qui se fait à plusieurs échelles. Le livre Kameroun, une guerre cachée aux origines de la France afrique 1948-1971, relate un épisode de la surveillance à l’époque coloniale au Cameroun, avec pour but d’asservir l’autre : « à la hauteur de ses moyens, Soucadaux a en effet mis la société
politique camerounaise sous étroite surveillance policière. André Bovar
explique par exemple que Soppo Priso, pourtant président de l’ATCAM à
partir de 1954 et ami du Haut-Commissaire, faisait adresser ses
correspondances à des Français pour éviter qu’elles soient lues par les
douaniers. Bovar se plaît également à raconter comment des agents de la
Sûreté espionnaient les rencontres entre Soppo et les agents de l’ONU, ou
la manière un peu gauche avec laquelle ces mêmes espions essayaient
d’infiltrer chaque groupement social, jusqu’aux clubs de femmes… « Tout
le monde était surveillé par l’administration, souffle-t-il, écœuré. Même
moi. » On ne s’étonnera pas, dès lors, de retrouver dans les archives militaires
françaises d’effarants classements. Depuis de longues années, des
centaines de notables camerounais, politiques, religieux ou syndicaux,
sont fichés par l’administration. Chacun d’entre eux est sèchement
catalogué : « bon », « assez bon » « francophile », « très francophile »,
« influent », ou au contraire « douteux », « antifrançais », « médiocre »,
« peu sûr », « partisan de l’indépendance » ! Une obsession du contrôle
qui révèle au passage la perception binaire du champ politique
camerounais. Tout savoir sur tout le monde offre une arme précieuse à
l’administration, qui peut jouer de toutes les formes d’intimidation, même
les moins nobles. Douala, épicentre de la contestation, est bien sûr la
mieux quadrillée. André Bovar se souvient que le chef de la région de
Douala, considéré comme le « numéro deux du Cameroun », se servait de
cette surveillance pour faire taire toute contestation. « Léon Salasc tenait
sa ville tout à fait en main, dit-il. Il avait un service de renseignements
très au point. Au point de savoir, parmi les Européens, qui couchait avec
qui. Quand un Européen protestait, il lui disait : on sait que vous avez
couché avec un tel. Le gars se calmait»

L’absence de crépitement des armes n’est pas synonyme de paix. L’Africain, le Camerounais, doivent comprendre que loin des armes et de la violence, ils font l’objet d’une guerre psychologique de longue date, dont le but est de les vider de toute substance, et elle a des conséquences dévastatrices, visibles même dans le mode de vie quotidien.

Source : Roland TSAPI

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