Le vol d’importantes sommes d’argent est devenu récurrent dans les domiciles des hautes personnalités de la république. Mais jusqu’ici aucune enquête n’a été ouverte pour tracer l’origine de ces fonds conservés dans des mallettes, et qui font l’objet de convoitise de la part des personnels domestiques
Le 11 janvier 2023, le président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguié Djibril a déclaré à la gendarmerie de Tokombéré le vol dans son domicile d’une somme de 85 millions de francs cfa. D’après l’homme politique Aboubakar Ousmane Mey sur son compte twitter, un notable de la chefferie Mada, où Cavaye Yeguié est chef, un valet et le frère cadet du Pan Talba Cavaye ont été mis en garde à vue pour soupçon de vol. Deux jours après, l’information avait évolué. Les suspects en garde à vue ont donné les noms des complices, qui se sont avérés être les épouses du président de chambre basse du parlement. Cette révélation aurait compliqué les choses, devant l’embarras qu’éprouvent les éléments de la gendarmerie pour interpeller les épouses de Cavaye, qui lui-même n’entendait pas le permettre. L’issue de l’affaire serait un arrangement à l’amiable. Des fortes sommes d’argent en liquide dérobées dans les domiciles des hautes personnalités, le Cameroun en a l’habitude. Dans la nuit du 16 au 17 mars 2022, la somme de 800 millions de fcfa a été emportée au domicile du Secrétaire général du Sénat Michel Meva’a Meboutou à Nkomeyos dans la localité de Bibouleman par Sangmelima. Deux jours après, les éléments de la force de l’ordre avaient, d’après le journal en ligne Actu Cameroun, mis la main sur le véhicule utilisé pour ce braquage, et au total 600 millions de fcfa en liquide et 200 millions en bons de carburant ont été spoliés. En remontant dans le passé, on peut évoquer les cas suivants: en 2010, le cuisinier du ministre du Travail et de la sécurité sociale Robert Nkili disparaît avec une mallette contenant la somme déclarée de 300 millions de fcfa. Décembre de la même année, Gilbert Tsimi Evouna, alors délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé et actuel président du Conseil régional du Centre, fait arrêter son chauffeur soupçonné de lui avoir dérobé 300 millions, mais recoupement fait, son propre fils était dans le coup. En mai 2012, l’ancien ministre de la Santé publique André Mama Fouda, dépose une plainte contre ses employés de maison pour vol répétitif d’argent, dont le cumul avoisine 300 millions de fcfa. En avril 2021, le cuisinier du ministre des Sport Narcisse Nkombi Mouellé est condamné à 10 ans de prison pour avoir volé 85 millions chez son patron, en novembre 2021, 75 millions de fcfa sont emportés au domicile de campagne du directeur de l’hôpital central de Yaoundé. A côté de ces cas connus après le vol, il y a des cas détectés après perquisition. L’ancien ministre de l’Eau et de l’énergie Basile Atangana Kouna détenait à son domicile d’importantes sommes d’argent en devises diverses, découvertes après son arrestation.
L’explication la plus plausible qui est peut être donnée à la présence du liquide dans les domiciles, c’est qu’on ne veut pas qu’il laisse des traces. Et quel argent gagne-t-on honnêtement qui ne devrait pas laisser des traces ? Il ne reste plus qu’à conclure que c’est l’argent de la corruption, des retro commissions sur les marchés publics, de l’argent dont on ne peut justifier l’origine, c’est pour cela qu’il n’est pas déposé dans les banques.
Dissimulation
Des fortes sommes d’argent en liquide, c’est comme la drogue, dont la détention est illégale. Dans les cas sus-cités, les enquêteurs sollicités pas les victimes ont toujours été priés de ne pas ébruiter l’affaire. Les victimes savaient d’emblée qu’elles étaient déjà hors la loi, en détenant de fortes sommes d’argent dans leurs domiciles. Personne ne saurait en effet logiquement porter plainte en indiquant que la drogue a été volée chez lui. La première question de l’enquêteur devrait dans ce cas être celle de savoir comment la drogue s’est retrouvée chez lui et quelle en était la destination. Il est dès lors curieux de constater que la justice ne s’est jamais intéressée sur l’origine et la destination des fortes sommes d’argent déclarées dérobées par ces personnalités de la république. En Afrique du Sud, si le président de la république Cyril Ramaphosa, n’a pas encore été destitué, c’est grâce à la forte majorité des députés de son parti au Parlement. Il est sous une procédure de déchéance depuis février 2020, suite à la découverte d’une somme de 580 000 dollars camouflée sous un canapé après que des cambrioleurs se sont introduits dans une de ses propriétés. Une enquête parlementaire a tout de suite été ouverte qui a conclu à une dissimulation des fonds, même si le président justifie la somme par le fruit des ventes des produits de sa ferme.
Si même le président de la république n’échappe pas au respect des procédures quant à la détention de l’argent en liquide, qu’en serait-il pour des ministres et simples directeurs. Mais au Cameroun, le phénomène semble désormais banal, dans un contexte d’insécurité grandissante et de lutte contre la corruption. Pourquoi la justice n’ouvre pas des enquêtes pour savoir d’où provient l’argent conservé en liquide dans les domiciles des hautes personnalités ? Difficile de penser que c’est l’argent gagné dignement, payé par les virements bancaires, et qu’ils ont choisi d’aller décaisser pour le conserver en liquide à domicile. L’explication la plus plausible qui est peut être donnée à la présence du liquide dans les domiciles, c’est qu’on ne veut pas qu’il laisse des traces. Et quel argent gagne-t-on honnêtement qui ne devrait pas laisser des traces ? Il ne reste plus qu’à conclure que c’est l’argent de la corruption, des retro commissions sur les marchés publics, de l’argent dont on ne peut justifier l’origine, c’est pour cela qu’il n’est pas déposé dans les banques. Ces institutions financières sont obligées d’ouvrir les yeux et demander la justification des importantes sommes déposées chez elles, et même alerter les services compétents comme l’Agence nationale d’investigation financière en cas de soupçon, au risque d’être étiquetées comme finançant le terrorisme. Les détenteurs des sommes d’argent aux origines douteuses n’ont dès lors pas de choix que transformer leurs plafonds ou dessous de lits en coffres forts que se plaisent à visiter les cuisiniers, chauffeurs et autres techniciens de circonstance. Et avec la justice qui se tait même quand ces hors la loi viennent se livrer à elle, les domiciles des hautes personnalités se sont progressivement transformés en banques résidentielles ou des résidences banquières. Avec autant d’argent liquide qui circule illégalement, on s’étonne par la suite de la montée de l’insécurité et de la circulation de la drogue