Il est de coutume que le “carrefour Ndokoti” à Douala soit fréquenté tous les jours de la semaine de sorte qu’il faille négocier sec pour se frayer un centimètre de passage, mais se vide complètement le dimanche de sa population d’occasion. Ce n’était pas le cas le 1er décembre 2019, où les lieux donnaient l’impression d’être le théâtre d’un rendez-vous populaire.
Et pour cause, comme elle le fait déjà depuis sept années, Madame Micheline Wankam, dame de cœur et marraine des laissés pour compte, avait de nouveau saisi le prétexte de la “Journée Mondiale de Lutte contre le SIDA”, rendue cette année à sa 31ème édition, pour organiser, avec l’Association de lutte contre le Sida et l’Enfance Meurtrie (ALSEM) dont elle est la fondatrice, la traditionnelle offre de denrées alimentaires aux désœuvrés dénommée “1 REPAS POUR LES SANS ABRIS”.
Un événement particulièrement couru dans cette ville capitale économique où, il faut le relever, s’offrir un repas ordinaire pour beaucoup, y compris pour des personnes productrices, n’est pas donné à tous. Raison de plus pour qu’en dehors des dizaines de sans abris répondant à l’appel de l’ALSEM pour partager un repas chaud et copieux, de surcroit gratuit, d’autres personnes, pas forcément démunies, se mettent de la partie.
“Un repas pour les sans abris” agrémenté par le partage à travers divers récits, de la vie au quotidien de ces personnes plus connues ici sous l’appellation des “enfants de la rue”.
L’on apprendra ainsi de certains d’entre eux les raisons qui les ont poussés à quitter le giron familial pour vivre seuls, sans protection, à la merci des vicissitudes d’une vie pleine de pièges. De même qu’il sera donné de partager les vœux de certains de se tirer de cette mauvaise passe existentielle.
Ils savent, comme Bell Bitjoka, “enfant de la rue” depuis six ans déjà, pouvoir « compter à chaque fois sur maman Micheline qui fait tout, même l’impossible, pour nous sortir de là. »
Un autre de ses compagnons ajoute : « Ce repas représente beaucoup pour nous, ça prouve qu’il y a des gens qui se soucient pour nous, et ça nous gonfle mentalement, car nous avons besoin de force pour nous battre contre notre situation. »
Le crédo de “Maman Micheline” : Faire d’une pénible expérience personnelle une leçon de vie
En fait cette mère d’enfants qui a tiré les leçons d’une tragédie familiale personnelle(*) a pris depuis quelques années l’engagement de tenir la main aux personnes laissées pour compte et de rendre léger pour celles-ci, le fardeau d’une vie qui ne fait pas de quartier, et qui, comme s’il s’agissait d’un acharnement, est plus difficile pour certains que pour d’autres.
Aussi, sans être elle-même nantie, madame Wankam qui affirme qu’elle ne trouvera pas de répit tant que ne sera pas « éradiqué le phénomène d’abandon des êtres humains par le reste de la société pour quelle que raison que ce soit », et qui souhaite voir d’autres personnes se joindre à ses partenaires actuels pour lutter contre la précarité et la vulnérabilité des sans-abris et autres sans occupation, ne ménage ni son temps, ni son énergie et ses biens, pour participer à l’allègement de la peine de ceux-ci. Toute chose qui passe prioritairement par le fait de :
- trouver un gite et un couvert pour ces jeunes qui dorment à la belle étoile, se faisant pourchasser et harceler par les forces du maintien de l’ordre pour lesquelles ils représentent –ce qui est compréhensible- le vivier de la délinquance urbaine, voire le réservoir du grand banditisme ;
- faire délivrer à ces personnes des documents d’état-civil pour qu’elles puissent obtenir une pièce d’identité les mettant à l’abri des rafles ciblées, parfois intempestives ;
- mettre l’ALSEM au centre de l’œuvre de resocialisation de ces désœuvrés, à travers la formation à divers métiers que Micheline Wankam financent avec le concours de ses partenaires, afin de les sortir progressivement de la dépendance et de la rue.
Un des bénéficiaires, le jeune Pépé Fokoua Moussa, alias “Mousby la patate” a pu recevoir, à sa propre demande, une formation en art cinématographique, et une autre en dressage canin (maître-chien).
Ces deux formations qu’il met désormais en pratique à travers diverses prestations rémunérées çà et là, lui ont permis de quitter la rue. Il n’a pas oublié qu’il a « été recueilli il y a quelques années par notre maman », alors qu’il se savait perdu, et que celle-ci lui a mis le pied à l’étrier pour le transformer et en faire “l’homme accompli d’aujourd’hui”. « Je vais maintenant voir maman comme un fils va voir sa mère et non comme un nécessiteux qui va aller l’embêter pour ses bobos de poche, même si à chaque fois que je suis confronté à une difficulté qui me dépasse, je fais recours à elle comme le ferait naturellement toute personne ». Il ne manque pas de dispenser des conseils à ceux qui ne sont pas encore sortis d’impasse : « j’ai été enfant de la rue, j’ai longtemps passé la nuit à la belle étoile, et je dis que quand on est dans cette situation, il faut se fixer l’objectif de quitter la rue, au lieu d’embrasser la rue comme si c’était la destination finale de notre vie… Mais je sais qu’il y en a qui, quoi que l’on fasse pour eux, ne quitteront la rue qu’à leur mort, et c’est dommage. »
Une fatalité que madame Micheline Wankam veut conjurer, car pour elle, les sans-abris d’aujourd’hui doivent au moins quitter la rue et intégrer un foyer d’où ils peuvent se déployer, et « réapprendre la notion de logis, pour, pourquoi pas, avoir un jour l’envie de regagner leurs familles naturelles ».
C’est pour cette raison qu’elle avait sollicité et obtenu il y a quelques années de la communauté urbaine de Douala -qui se montra réceptive-, un site sur lequel elle envisageait de construire des foyers pour les sans domicile fixe de Douala, et des espaces agropastoraux. Hélas ! A peine avait-elle commencé à viabiliser le site qui n’était pas habité et à matérialiser le projet, que des gens disposant de “parapluies” et de “godasses” en haut lieu, jetèrent leur dévolu sur le site et l’occupèrent. Envers et contre tous. Depuis, elle ne cesse de se battre pour trouver un autre site. Pas une sinécure ici.
Hommage aux partenaires
souhaite madame Wankam tout en rendant un vibrant hommage à ses partenaires.
En attendant, elle a ajouté à son action de cette année, le financement des déplacements des sans-abris et autres aux fins d’aller se faire dépister du VIH/Sida dans les centres médico-sociaux. Avec la promesse ferme qu’elle subviendra « aux besoins de traitement antirétroviral de ceux qui seront éventuellement dépistés positifs, car s’il est désormais absurde de mourir de SIDA, il le sera davantage si ce sont mes enfants qui en meurent de mon vivant. ».
(*) Tout est parti de l’histoire de l’un de ses neveux, orphelin, que Madame Wankam a élevé et qu’elle avait envoyé poursuivre des études en France. En Hexagone, celui-ci a mal tourné à son insu. Il créchait à la belle étoile, mais faisait croire à sa tante que tout allait bien. Jusqu’à ce qu’il en meure. Micheline Wankam a donc pris la résolution de tenir la main autant qu’il lui sera possible de le faire, à toute personne qui se trouverait contrainte de vivre une situation semblable à celle qui avait emporté son parent. Le baptême de feu humanitaire de cette maman éplorée par le décès de son neveu arrive quand, un jour, après avoir achevé ses emplètes au marché de Nkololoun à Douala, elle est priée par une bambin d’environ 9 ans, de lui donner la possibilité de transporter ses vivres en échange de quelques sous. Maman Micheline s’y refusera en expliquant à l’enfant qu’elle avait laissé ses égaux bien au chaud à la maison et ne pouvait donc pas se servir d’un enfant de son âge. Elle lui donnera néanmoins une petite aumône. Une autre fois, la même scène se reproduit avec les mêmes acteurs. Elle décide alors de connaitre les motivations de l’enfant pour vouloir gagner son pain à cet âge. De fil à aiguille, elle se rendra compte que le bout d’homme était un orphelin laissé à la charge d’un oncle lui-même désoeuvré. Elle contactera l’oncle qui lui confiera volontiers l’enfant. Celui-ci sera recueilli chez elle, éduqué, scolarisé… Ce fut l’acte fondateur d’une participation active à la résolution de la question de l’enfance meurtrie et délaissée par cette dame qui refuse de parler d’orphelinat, car, dit-elle, “ces enfants ne seront jamais orphelins, tant que nous aurons la volonté de leur donner l’amour maternel et/ou paternel”.