Le père de Marc Vivien Foé: « Je sais pourquoi mon fils est mort »

Marc Vivien Foé

Marc Vivien Foé. Dix ans déjà … un héritage toujours en friches

Une décennie après la disparition de l’emblématique milieu de terrain des Lions indomptables, ses chantiers en ruine et l’indifférence de l’Etat camerounais et même de ses coéquipiers contribuent inexorablement au bafouement de son riche patrimoine. Evocation.

L’image, telle une tâche indélébile, est restée gravée dans la mémoire des Camerounais. Jeudi 26 juin 2003. Le Cameroun joue la demi-finale de la Coupe des Confédérations contre la  Colombie au Stade Gerland de Lyon (France). A la 72ème minute, Marc-Vivien Foé s’effondre dans le rond central. C’est le Colombien Jairo Patino qui donne l’alerte en se précipitant vers l’international camerounais qui vient de perdre connaissance. Les secours arrivent quelques temps après pour l’aider dans un premier temps à respirer.

L’ancien sociétaire de Rc Lens est emmené au centre médical du stade pour subir un massage cardiaque. Mais en vain. Vers 20h30 le médecin de la Fédération internationale de football (Fifa), Alfred Müller, annonce son décès. Marco est parti. Au Cameroun, c’est la consternation. Marc-Vivien Foé a rejoint la constellation du Lion. La douleur est incomparable, les circonstances de son départ aussi. Des obsèques nationales lui sont réservées. Son pays natal, en chœur avec la planète football, lui rendent un dernier et vibrant hommage. Mais dix ans après, que reste-t-il ?

Hier mercredi 26 juin, c’est avec étonnement que le reporter du Messager (re) découvre le complexe sportif Marc Vivien Foé situé à Biteng, petit village situé à la sortie Est de Yaoundé. L’imposant édifice considéré comme le fleuron de ses œuvres,  n’est plus qu’un chantier abandonné. Partiellement rongée par les termites, la clôture en bois qui délimite les 6 hectares qui font la superficie totale dudit complexe, tient à peine. Le bâtiment principal dont l’une des pièces abrite depuis avril dernier le Commissariat du 20e, dégage une forte odeur de chaux.

Pour la commémoration du dixième anniversaire de son décès, une messe est prévue dans cette bâtisse qui accueille déjà du beau monde : prélat, membres de la famille, amis d’enfance ou du quartier… A quelques mètres plus loin, le stade en terre vibre au rythme d’un match de galla rentrant dans le cadre des activités marquant la commémoration. Le match oppose l’équipe du « deux zéro » de Biteng aux anciens internationaux et amis de Marco. Pas l’ombre d’un seul international camerounais. C’est à croire que personne n’était au courant d’un pareil événement. « On l’a pourtant annoncé depuis des semaines », confirme une amie à la famille Foé.

Mausolée

L’édifice à deux niveaux dont le rez-de-chaussée devrait abriter une piscine olympique, un gymnase, des saunas, et des salles de massage, ressemble désormais à un champ en ruine. La piscine déjà creusée et cimentée a été transformée en dépotoir où s’entassent des bouteilles vides, des bouts de planches, des vieux journaux, des sacs en plastique et parfois même des crottes des chiens. Que dire des murs où gambadent lézards, cafards et autres rapaces ? La cour a été débarrassée des hautes herbes qui la recouvraient jadis, dévoilant ainsi au visiteur toute l’étendue de  la surface que couvre le complexe. Les travaux de construction de ce complexe sportif avaient démarré aux alentours de 2001-2002. Puis, son décès a entraîné l’arrêt brusque et définitif des travaux.

A l’extrême droite, c’est le mausolée de celui qu’on appelait affectueusement « Marco ». Recouvert de carreaux sombres, et entourés de fleurs, on peut y lire, « parvenu à la perfection en peu de temps, il a atteint la plénitude d’une longue vie ». L’édifice autour duquel sont plantés des fleurs bénéficie des soins de Martin Foé Amougou, de son épouse ou encore de ses beaux frères qui se chargent de lui apporter un peu de vie. « Si nous ne nettoyons pas la tombe de notre fils, elle serait déjà tombée en ruines. Depuis son décès, je n’ai pas vu un seul de ses coéquipiers auprès de sa tombe. Je ne comprends pas », regrette le père de l’ancien international qui arbore dans sa veste grise un tee-shirt floqué de l’image de son feu fils. « La messe va bientôt commencer. Viens on va. Laisse comme ça. Nous devons accueillir les célébrants », calme la maman de Foé en tendant la main à son époux.

Prix Marc-Vivien Foé

A l’époque pourtant, ses amis et coéquipiers avaient promis de poursuivre cette œuvre. Dix ans plus tard, rien de nouveau sous le soleil. Les promesses du gouvernement de poursuivre l’œuvre de celui qu’il avait qualifié de « vaillant soldat tombé sur le champ de bataille » ne semblent engager que ceux qui y croient. Le Lion parti, les pouvoirs publics qui avaient juré d’honorer sa mémoire, se sont claquemurés dans un silence des plus déconcertants.

Mais ailleurs, on n’a pas oublié Foé. La preuve, en mai dernier, Pierre-Emerick Aubameyang, a remporté le Prix Marc-Vivien Foé pour la saison 2012-2013. L’attaquant international gabonais de Saint-Etienne a été élu meilleur joueur africain de Ligue 1 par un jury de 68 journalistes sportifs. Ce prix qui récompense le mérite et l’effort dans le championnat français est une idée lumineuse de nos confrères de Radio France international (Rfi) et France 24 qui saluent ainsi la mémoire de l’ancien Lyonnais. Il en est à sa troisième édition. Si le Cameroun a choisi de ranger ses héros dans les tiroirs de l’oubli, les anciens coéquipiers et  entraîneurs des clubs où Foé est passé ont décidé de perpétuer sa mémoire.

Une deux avec … Martin Foé Amougou:  « Je sais pourquoi mon fils est mort »

Le père du feu Marc-Vivien Foé qui continue de porter le deuil, déplore l’indifférence criarde dont ont fait montre les coéquipiers de son fils depuis sa disparition.

En ce jour anniversaire des dix ans du décès de Marc Vivien Foé, quel est votre état d’esprit ?

L’émotion reste toujours aussi vive, même si en tant que père et parent, on essaye de soutenir nos enfants en les faisant comprendre que ce sont les choses de la vie. Mais croyez-moi, ça fait mal. Marco était notre force et notre fierté. Il n’y a qu’à regarder à quel point les jeunes qui l’adulaient continuent de se battre pour que sa mémoire reste gravée dans le football. Toute cette nostalgie-là nous obsède et nous attriste aussi mais quand aujourd’hui je constate que ses frères et sœurs, sa mère et moi continuons de l’honorer, ça me fait du bien. Même si à chaque fois que le mois de juin arrive, je souffre sérieusement. Pour ce dixième anniversaire, nous avons décidé de lui dédier une messe de requiem. C’est notre façon à nous de lui dire que nous pensons très fort à lui là où il est.

Ses coéquipiers en sélection nationale vous rendent-ils souvent visite ou viennent-ils souvent se recueillir auprès de sa tombe ?

Jamais. Et ça je puis vous dire que ça me surprend. Depuis que Marco est décédé, personne n’a daigné venir déposer au moins une gerbe de fleur sur sa tombe. Je n’ai vu personne alors que de son vivant, Marco mangeait avec eux, il jouait avec eux, ils partageaient des bons comme des mauvais moments en sélection avec eux. J’ignore si c’est de la méchanceté ou de la haine. Si c’est de cette façon que nous voulons bâtir le Cameroun, je dois vous avouer que ça me fait honte. (…) Vous savez, lorsque le feu président Kennedy des Etats Unis est décédé, on a finalement mis la main sur son assassin quinze ans plus tard. Quant à Marc Vivien Foé, nous savons  de quoi il est mort. Je sais très bien pourquoi il est mort. Je le dis aujourd’hui à haute et intelligible voix. C’est pourquoi ils me fuient. Ils ne veulent pas que je les regarde dans les yeux de peur de leur dire toute la vérité.

Dites nous donc de quoi Marco est mort…

Vous savez, je suis un père et un père ne doit pas parler n’importe comment. Donc, j’ai l’obligation de me réserver.

Que sont devenus ses chantiers ?

Que voulez vous que je vous réponde ? Ils sont tous tombés en ruines. Vous le constatez de vous-même. Personne ne se fait du souci. Si ce n’était pas ma femme, mes petits fils, mes beaux frères et moi, cette tombe ne serait pas propre telle que vous la voyez là. Regardez-moi, regardez l’âge que j’ai pour m’occuper de pareilles tâches. Quand je contemple cet imposant complexe qu’il a commencé, je me rappelle de ce rêve qu’il nourrissait pour la jeunesse de son pays. C’est pour eux qu’il construisait ça. Il songeait à la formation de la jeunesse qui assurera la relève demain. Lui au moins l’a fait mais aujourd’hui, il est en ruines. Il arrivait parfois qu’on n’ait pas l’argent mais on mettait le cœur.

Les promesses du gouvernement et de certains de ses coéquipiers n’étaient donc que du vent ?

Je vous ai dit que rien n’a été fait. Toutefois, ce n’est pas la fin du monde. Vous savez que notre Etat ne fonctionne pas toujours comme nous le souhaitons. J’ai espoir qu’un de ces quatre matins, les pouvoirs publics vont réagir et prendre les choses en main. En attendant, nous avons finalement implanté un commissariat ici puisque avant des jeunes du quartier et même d’ailleurs multipliaient des coups de vol ici. Il y en avait même qui prenaient du chanvre indien au point d’élire domicile dans ce chantier en ruines. S’il n’y avait pas ce commissariat qui a été créé à ma demande pour protéger au moins le tombeau de mon fils, on n’aurait plus rien ici.

Il s’est dit beaucoup de choses au sujet de vos relations très tendues avec la veuve marie Louise Foé…

Je le sais. Moi aussi j’ai écouté toutes ces inepties mais je dois vous rappeler que je suis un papa. Il est donc inconcevable que je fasse quoi que ce soit pour nuire à ma belle fille que j’ai toujours considéré comme ma propre fille. Que ceux qui avancent du n’importe quoi à tout vent le sachent. Tout allait bien jusqu’au moment où un beau jour … pouf ! Je ne sais pas si ce sont des gens mal intentionnés qui l’ont conseillé ou qui que ce soit. C’est devenu invivable. On disait tout et n’importe quoi sur ma belle fille et moi. Il y a eu de la distance mais je suis resté un père, donc un sage. (…) Depuis que Marco est mort, les gens ont pris de l’argent par ci par là et se sont mis à créer la zizanie ; pensant qu’ils sont à l’abri. Mais je dois leur dire que l’argent n’achète pas le sommeil ; il n’achète pas la vie.

Michelle Foé. « Que la famille Foé redevienne unie et solidaire »

Elève au collège adventiste de Yaoundé, la jeune fille (18 ans) du feu international camerounais, rêve de poursuivre l’œuvre de son défunt papa.

Dix ans après le décès de ton papa, quel sentiment t’anime au moment où une messe de requiem est dite en sa mémoire ?

C’est toujours la même émotion qu’il y a dix ans. Rien n’a changé. C’est un mélange de joie et de tristesse même si à sa mort je n’étais encore qu’une gamine. La joie parce que mes grands parents font du mieux qu’ils peuvent pour pérenniser la mémoire de mon père. Chaque année, il y a une cérémonie qui est organisée ici à Biteng et je crois que c’est à travers cela que je vis en gardant à l’esprit que mon papa vit toujours en nous. Par contre je suis déçue de la rapidité avec laquelle ceux qui l’ont côtoyé, fréquenté et joué avec lui l’ont rangé dans les tiroirs de l’oubli. J’entends ici ses coéquipiers de l’équipe nationale. Personne parmi eux n’est passé déposer ne fusse qu’une gerbe de fleur sur son tombeau et cela me choque énormément.

Comment as-tu vécu sa disparition tragique ce fameux 26 juin 2003 ?

Je n’avais que huit ans et j’ignorais même que c’était mon père. Je vivais à l’époque avec maman. Lorsqu’il s’est écroulé, j’ai d’abord cru qu’il n’y a rien qu’il se relèverait comme le font tous les footballeurs lorsqu’ils tombent au cours d’un match et se relèvent après des soins. Bref, j’ai pris ça comme un fait banal mais c’est des années plus tard que je me suis rendu compte que c’était mon père et que c’était vraiment la fin. Pour dire vrai, je n’ai pas de souvenir profond de mon père étant donné que je n’étais encore qu’une gamine. C’est en grandissant que je réalise à quel point il me manque. En regardant les images de lui vivant à la télévision ; en écoutant les gens parler de lui, le décrire, continuer de l’admirer. On le présente comme un héros, un vrai patriote et ça me rends vraiment anxieuse. J’aurais voulu moi aussi le connaître et le découvrir tel qu’on me l’a décrit (…) Mais c’est impossible.

A quoi ressemble la vie à la maison depuis le 26 juin 2003 que ton père est parti ?

La famille est séparée ; elle est divisée. Je suis comme une inconnue aux yeux de mes frères et sœurs. Ils ne me connaissent même pas mais moi je les connais parce que j’ai vu des photos d’eux à la maison. Aux dernières nouvelles, maman Marie Louise Foé a demandé à grand père et grand-mère de me faire sortir de la maison s’ils veulent que leurs petits-fils reviennent. Tout ça montre qu’il y a une discorde au sein de cette famille. Si seulement je connaissais l’origine de tous ces problèmes. Malheureusement j’étais encore très jeune lorsque cela a commencé. Il m’est donc impossible de dire exactement par quel bout la situation est arrivée à ce niveau.

S’il fallait émettre un vœu aujourd’hui, ce serait lequel ?

(Elle écrase une larme). Je dirais juste que tout redevienne comme avant. A l’époque où papa étais là. Que la famille redevienne unie et solidaire. Je souhaite réaliser mon rêve, être quelqu’un de bien et poursuivre l’œuvre qu’il a commencée. Je sais que ce ne sera pas facile parce que papa était quelqu’un de respecté dans ce pays mais j’essayerai de faire de mon mieux. Si possible, être plus que ce qu’il a été.

Entretien avec Christian TCHAPMI

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