Possibilité de candidater aux futures élections post-transition pour les membres du Conseil militaire de transition (CMT), au pouvoir depuis le coup de force sur fond de succession dynastique consécutif à la mort de Idriss Deby Itno, prorogation de la période de transition de deux ans et élargissement du mandat du conseil de transition, telles sont les principales recommandations relevée dans le rapport de la commission ad-hoc du Dialogue National Inclusif et Souverain du Tchad publié le 28 septembre 2022.
Des recommandations à l’origine d’une forte préoccupation au Tchad où, se confiant à nos confrères du quotidien français “Le Monde”, le politologue tchadien Evariste Ngarlem, se dit convaincu que « L’adoption de la résolution concernant l’éligibilité du président du Conseil militaire de transition [Mahamat Déby] et la prolongation de la transition pour vingt-quatre mois aura pour conséquences sur le plan national la résistance de partis politiques, de la société civile et de l’Union africaine ». Et l’homme des sciences d’avertir : « L’Union européenne et les Etats-Unis n’accepteront pas que la transition soit prolongée après le 20 octobre ni l’éligibilité du PCMT. Ces partenaires prendront des sanctions contre le Tchad et le CMT sera dos au mur ».
Un avertissement qui n’a pas tardé à se vérifier du côté des Etats-Unis dont les officiels ont affirmé en langage diplomatique, craindre un “monopole du pouvoir au sein de l’exécutif” au Tchad. En d’autres termes, une confiscation du pouvoir au profit des militaires actuellement aux commandes à N’Djamena, ou plus précisément du Général Mahamat Kaka Idriss Deby en faveur de qui la recommandation controversée n’est ni plus ni moins que du taillé sur mesure.
Le porte-parole du Département d’Etat (ministère des Affaires étrangères) américain, Ned Price, a clairement fait savoir la “profonde préoccupation” de son pays le 1er octobre, en notant que « … ces recommandations restent à discuter dans le cadre d’un débat ouvert », et en annonçant de la part du Département d’Etat, « l’intention de suivre de près ce débat ». « Nous avons fait part de nos préoccupations aux dirigeants du Conseil militaire de transition, en partageant notre évaluation selon laquelle les recommandations de la commission constituent un monopole du pouvoir au sein de l’exécutif en place qui, s’il est adopté, compromettrait la transition démocratique promise au peuple tchadien”, a-t-il en outre avisé.
Jusqu’ici, Les États-Unis ont manifesté leur préférence pour une transition qui soit à la fois inclusive, pacifique et rapide en vue de remettre le pouvoir à des autorités civiles démocratiquement élues, donc en phase avec le peuple tchadien qui n’a été dirigé depuis son indépendance le 11 août 1960 que par des régimes autocratiques (François Tombalbaye) ou à lui imposés par la force des armes (Félix Malloum, Goukouni Weddeye, Hissène Habré, Idriss Deby 1 -arrivé au pouvoir le 4 décembre 1990-) ou maintenus au pouvoir grâce à la répression et l’intimidation (Idriss Deby 2, 3, 4, 5, 6 et 7 -le tombeur de Hissène Habré en 1990 s’étant fait élire et réélire six fois de suite à partir de 1991 -parfois en dépit des choix exprimés réellement dans les urnes-, avant d’être tué le 19 avril 2021 lors d’une confrontation entre les forces armées régulières -qu’il conduisait pour la circonstance en sa qualité de Maréchal du Tchad– et la rébellion du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad partie de la Libye). C’est d’ailleurs à a suite de son décès brutal, alors qu’il venait de “remporter” [sa] sixième “élection”, que son fils Mahamat prit sa succession, en violation de la Constitution du Tchad qui stipule en son article 81 qu’«En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement définitif constaté par la Cour Suprême saisie par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les attributions du Président de la République, à l’exception des pouvoirs prévus aux articles 85, 88, 95 et 96 sont provisoirement exercées par le Président de l’Assemblée Nationale et, en cas d’empêchement de ce dernier, par le 1er Vice-président », d’une part, et que « Dans tous les cas, il est procédé à de nouvelles élections présidentielles quarante cinq (45) jours au moins et quatre vingt dix (90) jours au plus, après l’ouverture de la vacance. »
Il faut noter que compte tenu de tous ces antécédents dramatiques, les Etats-Unis ont, depuis l’année dernière, marqué leur accord avec une résolution du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine de mai 2021 – du reste rappelé le 19 septembre 2022– qui urgeait le Conseil militaire de transition de se conformer à son engagement de ne pas laisser un ou ses membres prendre part à des élections, d’une part, et d’autre part, de veiller à assurer un processus de transition inclusif et consensuel dirigé par des civils. Non sans recommander une nette séparation entre le gouvernement de transition et le CMT dont les des rôles et fonctions devaient à cet effet être clairement définis.
Faut-il rappeler qu’au moment de sa prise du pouvoir à la tête d’une junte de 15 Généraux, c’est le Général Mahamat Deby qui avait annoncé qu’il rendrait le pouvoir aux civils à l’issue d’une transition de 18 mois devant déboucher le 20 octobre 2022 sur des élections « libres et démocratiques » auxquelles aucun membre du Conseil militaire de transition ne pourrait être candidat ? L’actualité récente donne finalement raison aux opposants et à la société qui retoquèrent alors cette “promesse” fallacieuse, la qualifiant même de « foutage de gueule ».